HX641 26455
RC1 48 .L97 M. Pasteur et la rag
Columbîa Winihexsiitp
in tï)e Cîtp of i^eto Porfe
Collège of ^tpëîdanô anb â)urgeong
î^eference ^.itirarp
M. PASTEUR
LA RAGE
DU MÊME AUTEUR
Manuel de médecine légale et de jurisprudence médi-
cale, un volume in-12 de 736 pages, 4^ édition. Paris,
Steinheil, 1886.
Traité clinique des maladies des femmes, par G. Tho-
51 -s et A LuTAUD, un vol. in-8 de 800 pagps, avec pré-
face analytique du professeur Pajot. — Paris, Steinheil,
1887.
Du vaginisme, suivi d'une leçon clinique du professeur
Lorain, -in-g» de 80 pages. — Paris, 1874.
Traité de la fièvre typlioïde de Ch. Murchisnn, traduit
de l'anglais, par le docteur Lutaud, in-8° de 400 pages. —
Paris, 1878.
Traité j^ratique de Vart des accouchements 'en collabo-
ration avec le professeur Delore, de Lyon) un vol in-8° de
550 pages. — Paris, 1882.
Précis des maladies des femmes, un vol. in-! 2 de 516
pages — Paris, 1882. G. Masson, éditeur.
Manuel de chirurgie antiseptique, de Mac Gormac, tra-
duit de l'anglais, par le docteur Lutaud un vol. in-8° de
360 pages. — Paris, 1882.
Etude sur les hôpitaux d'isolement en Angleterre (en
collaboration" avec le docteur W.-D. Hogg , un vol. in-8
de 300 pages, avec 45 plans. (Get ouvrage .i été cité hono-
rablement par l'Institut). — Paris, 1886, .J.-B. Baillière.
De V è2oithélioma du col utérin (traduction d'une mémoire
de Marion Sims\ — Paris, 1880, Steinheil.
La, profession médicale en Angleterre {Gazette hebdo-
madaire, mai 1873).
Des mesures sanitaires et répressives dirigées contre la
prostitution en Angleterre {Gazette hebdomadaire,
mai 1874).
Le cancer devant la Société 'pathologique de Londres en
1874 {Archives générales de médecine, novembre, 1874).
Du rétrécissement de Vuréthre chez la femme et de son
traitement x>ar Véiectrolyse. traduction d'un mémoire de
M. Newmann {Archives générales de médecine, janvier
1876) .
De l'ovulation dans ses rapports avec la menstruation
{Annales de gynécologie, iuin 1876).
ASNIÈRES. — IMPRIMERIE LOUIS ROYER ET û".
M. PASTEUR
ET LA RAGE
D' LUTAUD
Rédacteur en chef du Journal de Médecine de Paris
EXPOSÉ DE LA METHODE PASTEUR — FRÉQUENCE DE LA RAGE
INSUCCÈS DU NOUVEAU TRAITEMENT
LA RAGE DU CHIEN ET DU LOUP — STATISTIQUES COMPLÈTES, EU., EIC
J'ai toujours réa>;i poui' ma part conirt
les déplorables tendances a appliquer
dune façon prématurée à la patholo-
fiie les données encore incertaiues de
la physiologie expérimentale.
VULPIAN.
Le plus grand dérèglement de l'esprit
est de croire les choses parce qu'on
veut qu'elles soient.
Pasteur.
PARIS
JULES LÉVY, ÉDITEUR
2, RUE ANTOINE-DUBOIS, 2
1887
»-/- / 5- 3 8 3
LSI
PRÉFACE
Il y a un an que M. Pasteur communiquait à
l'Académie de médecine un procédé de traite-
ment infaillible de la rage. Ce traitement, pom-
peusement et bruyamment annoncé, s'appuyait
alors sur un seul fait : la guérison (?) du jeune
Meister.
A cette môme séance, le président, M. Jules
Bergeron, déclarait que « la date du 27 oc-
tobre 1885 était la plus mémorable dans l'histoi-
re de la science », puis, inaugurant un système
d'intolérance qui s'est prolongé jusqu'à ce jour,
il refusait la parole à MM. Jules Guérin et Colin,
d'Alfort, qui désiraient présenter quelques ob-
servations à M. Pasteur au sujet de son étrange
communication.
Tout le monde connaît lasuite des événements:
les réclames charlatanesques qui inondèrent la
presse politique ; les 3,000 guérisons('?) effectuées
à l'Ecole normale et pompeusement annoncées ;
les conférences, les banquets, les représentations
— 6 —
théâtrales organisées par MM. Pasteur, Chau-
temps et Grancher, etc.. etc.
Négligeant la clinique, foulant aux pieds les
données les plus élémentaires de la médecine
traditionnelle, M. Pasteur, nouvel hercule, s'était
contenté de la simple affirmation. Nouveau pro-
phète, il avait posé les fondements d'une nou-
velle église dont le dogme principal était : Credo
quia ahsurdum.
Tel s'est présenté le célèbre chimiste lorsqu'il
a prétendu avoir trouvé un traitement infailli-
ble de la rage, avant même que le temps néces-
saire à l'incubation de la maladie ait permis de
contrôler cette téméraire affirmation.
Non seulement M. Pasteur affirmait sans
preuves, mais il employait pour la divulgation
de cette prétendue découverte des procédés que
la science, et particulièrement la science médi-
cale, a toujours considérés comme indignes
d'elle.
La science nouvelle se présentait en outre au
monde savant avec un despotisme inconnu jus-
qu'à ce jour. Appuyées par l'Académie des scien-
ces et par un jeune professeur de notre première
Faculté française, les théories pastoriennes
étaient absolument imposées. Quiconque les
mettait en doute était honni et conspué. On
pouvait être anarchiste, communiste ou nihiliste,
mais pas antipastorien. On avait fait d'une sim-
ple question scientifique une question patrioti-
que..
— 7 —
C'est alors que nous avons entrepris dans le
Journal de médecine cette lutte qui dura plus
d'une année. Ceux de nos lecteurs — et ils sont
nombreux — qui ont appuyé nos efforts et nous
ont aidés de leurs conseils, ont pu seuls com-
prendre combien il a été difficile de recueillir les
documents qui ont permis de démontrer que
non seulement M. Pasteur ne guérissait pas la
rage, mais que les doctrines qu'il exposait étaient
contraires aux données les plus élémentaires de
la clinique. 11 nous a fallu des efforts inouïs pour
suivre attentivement les maladesque M. Pasteur
renvoyait de son laboratoire guéris et qui al-
laient succomber dans leurs provinces; pour
démontrer que l'année 1886 avait compté plus
de décès par la rage que les années antérieures.
Aujourd'hui la lumière est faite. M. Colin, à
l'Académie, et M. Peter, à la Faculté de médeci-
ne, ont parlé et enlevé les quelques illusions qui
pouvaient encore rester. Au point de vue expé-
rimental, un savant autrichien, élève et ancien
admirateur de M. Pasteur, a publié le résultat
d'expériences que nous ferons connaître dans
un chapitre de ce livre et qui démontrent
a qu'il n'existe pas de base scientifique pour
l'institution chez l'homme d'un traitement pré-
ventif de la rage après morsure et que le procédé
rapide récemment préconisé par M. Pasteur
transmettrait probablement la maladie à l'hom-
me ». Ces mêmes expériences répétées à Lisbon-
ne par le professeur Abreu, et à Naples par les
-, 8 —
professeurs de Renzi et Amoroso ont donné les
mêmes résultats et démontré que rien ne pou-
vait empêcher l'évolution du virus rabique intro-
duit dans l'économie.
Ainsi nous disions que, non seulement le trai-
tement Pasteur ne pouvait pas guérir la rage^
mais qu'il pouvait la donner.
Les faits ont malheureusement parlé dans le
même sens que nous.
Pendant un an, la méthode a été inoffensive
et inefficace, elle a succombé sous le ridicule.
AujourcVkui elle est devenue dangereuse.
Pendant les deux derniers mois de l'année
1886 la mortalité à la suite du traitement Pas-
teur a pris des proportions vraiment inquiétan-
tes. Onze individus sont morts en présentant
des symptômes insolites qui ressemblaient d'une
manière étrange à la rage de laboratoire.
Une enquête approfondie sur ces onze décès
n'a pas permis de garder plus longtemps le si-
lence. M. le professeur Peter est monté à la tri-
bune de l'Académie de médecine et n'a pas hésité
à déclarer que la nouvelle méthode Pasteur
était dangereuse.
On ne guérissait pas la rage au laboratoire de
l'Ecole normale ; on la donnait.
On m'a reproché d'avoir discuté ces questions
avec passion et d'avoir souvent attaqué avec vio-
lence les pratiques scientifiques de M. Pasteur.
Oui l j'en conviens, j'ai écrit ce livre avec pas-
sion, mais avec la passion que tout médecin
doit apporter lorsqu'il recherclie la vérité.
Je le demande aux plus indifférents : était-il
permis de rester calme lorsqu'on entendait jour-
nellement émettre les hérésies les plus extrciva-
gantes ?
Etait-il permis de ne pas avertir les malheu-
reux qui se rendaient en foule à l'Ecole normale
lorsque nous étions convaincu qu'ils couraient
un véritable danger ?
On nous rendra cettejustice que nous avons,
dans le courant de cet ouvra[,^e, réfuté avec plus
ou moins d'ardeur les doctrines émises par M.
Pasteur sur le traitement de la rage, sans nous
inquiéter de la personnalité de l'individu.
Nous sommes resté exclusivement sur le ter-
rain médical; et si nous nous sommes parfois
laissé entraîner par l'ardeur de nos convictions
â de vives polémiques, elles avaient uniquement
pour objet la défense de la vérité scientifique si
outrageusement offensée par les hommes de
l'Ecole normale.
En a-t-il toujours été ainsi chez nos adver-
saires ?
Dès le début de cette étrange guerre contre le
sens commun, les Pastoriens et leurs amis se
sont présentés comme des matamores intolé-
rants. Ils ne proposaient pas leurs prétendues
découvertes à la discussion du monde médical,
ils voulaient Vimposer. On avait bâillonné la
presse politique, accaparé l'agence Havas, me-
— 10 —
nacé la Presse médicale et organisé par les soins
de M. Vallery-Radot, gendre de M. Pasteur,
une agence de publicité qui adressait aux
journaux de véritables communiqués qui rap-
pelaient les beaux jours de l'Empire.
Afin d'entretenir et de réchauffer l'enthou-
siasme, on faisait vibrer la fibre patriotique. Qui-
conque émettait la plus petite note dubitative
sur la valeur de la méthode était un mauvais
Français vendu à l'Angleterre ou à la Prusse.
Enfin, comme la découverte étrange de M.
Pasteur paraissait violemment offenser le sens
clinique et môme le sens commun, le mot d'or-
dre du camp pastorien était de surenchérir sur
la valeur de l'homme et de l'élever à la hauteur
d'un demi-dieu. Un de ses panégyristes qui siège
au Conseil municipal de Paris, et que nous ne
voulons pas nommer par égard pour ce Corps
constitué, écrivait la phrase suivante : « La
preuve que M. Pasteur guérit la rage, c'cîst que
pendant toute sa vie, qui a été remplie d'affir-
mations hardies, il ne s'est jamais trompe. »
Un autre Pastorien, M. Verneuil, traitait en
pleine Académie de médecine d'oBscuRs blas-
phémateurs les médecins qui se permettaient
de critiquer la grande découverte. Ainsi, pour
eux, critiquer Pasteur, c'était hlasj^hémer et on
sait que le blasphème est une offense qui ne
s'applique qu'à Dieu.
Tout cela était du reste comique. Mais il existe
d'autres antiennes, d'autres clichés colportés par
~ 11 -^
les officieux et la presse officielle qui offensaient
non seulement le sens commun, maisqui étaient
la négation absolue de la vérité.
La défense de la vérité exige donc que nous
en disions quelques mots.
Le cliché le plus répandu et qui était comme
un mot d'ordre dans le camp pastorien était
celui-ci :
« M. Pasteur, le savant désintéressé qui....
que..,, etc.
Afin de mieux répandre cette idée du désinté-
ressement, M. Pasteur avait fait écrire par son
gendre, et publier à la librairie Hetzel, un livre
intitulé : Histoire d'un savant par un igno-
rant.
Dans cet ouvrage où le grotesque le dispute à
l'absurde, il est dit et répété cent fois que M.
Pasteur est l'homme le plus désintéressé des
temps modernes, le savant le plus pur, le savant
le plus modeste, l'étoile la plus brillante, etc.,
etc., en un mot les superlatifs les plus laudatifs
y sont accumulés à l'envi.
D'un autre côté, les Pastoriens faisaient distri-
buer dans toute la presse officielle une seconde
série de clichés dans lesquels le mot d'ordre
consistait à renchérir sur les prétendues décou-
vertes antérieures de cet homme étonnant. C'est
ainsi qu'on imprimait en tête de tous les articles
dithyrambiques consacrés à l'Idole :
— 12 —
M. Pasteur a rendu a la France des servi-
ces INCALCULABLES ;
Il a rendu la richesse aux départements du
Midi en guérissant la maladie des vers à soie.
Il a rendu la richesse à l'industrie des hières
françaises en indiquant un procédé infaillible
pour leur fabrication.
' Il a centuplé les richesses vinicotes de la
France en indiquant un nouveau procédé pour
la conservation et la production du vin.
Il a rendu la richesse aux oviculteurs fran-
çais, en préservant leur bétail de la terrible
maladie charbonneuse.
Il a rendu la richesse aux fermiers français,
en guérisant la terrible m,aladie qui sévissait
sur leurs volailles {choléra des poules).
Il a rendu à la France ses richesses porcines
en guérissant le rouget du porc.
L'énumération des services rendus à la France
ne s'arrête pas là : d'après ses panégyristes, il
aurait guéri non seulement le choléra des pou-
les, mais le choléra humain. C'est lui qui aurait
inventé tous les nouveaux procédés de chirurgie
antiseptiques indiqués par Lister^ etc., etc.
La question est du reste sans importance pour
la thèse que j'ai soutenue dans ce volume, à
— ,13 —
savoir : la méthode proposée par M. Pasteur
pour le traitement de la rage est inefficace ou
dangereuse.
Il m'importe donc peu de savoir si M. Pas-
teur est avide ou désintéressé. Je suis convaincu
qu'il est bon fils, bon père, bon époux, bon
citoyen, etc.. Mais l'insistance apportée par
ses dangereux amis à le sacrer demi-dieu, les
procédés de réclame qu'il a employés dans
la presse politique et le respect que nous devons
à la vérité, nous obligent à examiner avec quel-
que attention les nombreux clichés imprudem-
ment répandus par ses amis.
Il ne faut pas se le dissimuler : M. Pas-
teur, de même que Mesmer et Cagliostro, appar-
tient à l'histoire scientifique de son siècle.
Nous avons la conviction qu'il y a joué un rôle
néfaste ; mais ce rôle n'en aura pas moins été
considérable. Les générations qui nous suivront
auront quelque peine à retrouver la vérité
dans le chaos que nous traversons aujourd'hui.
Nous croyons donc rendre un véritable service
à nos successeurs en rassemblant dans un court
appendice placé à la fin de ce volume, un cer-
tain nombre de documents de nature à jeter
quelque lumière sur la vie et les découvertes
de cet homme remarquable.
Il y a exactement un siècle (1787) un savant
étrange bouleversait le monde par la prétendue
découverte du magnétisme animal, qui pas-
sionna à cette époque tous les esprits.
_ 14 _
Ce savant e^a^Y Mesmer.
De même que Pasteur l'a fait pour la rage,
Mesmer a passionné la France sur la question
du magnétisme ; de même que Pasteur, il atti-
rait dans son Institut magnétique des milliers
de malades imaginaires auxquels il rendait la
santé ; de même que Pasteur, Mesmer recevait
les ovations enthousiastes de la foule ; de même
aussi il recevait de l'Etat un magnifique domaine
et une pension de 20,000 livres (1).
La nation française tout entière et les plus
illustres savants de l'Institut ont acclamé Mes-
mer comme le plus grand génie du monde.
Celui qui aurait, à cette époque, émis quelques
doutes sur la découverte de ce grand homme
aurait probablement été aussi maltraité que nous
l'avons été nous-même en discutant la valeur
du traitement antirabique.
Jussieu et l'Institut étaient avec Mesmer, en
1787, de même que M. Vulpian et l'Institut dé-
clarent que M. Pasteur est infaillible en 1887.
Triste comparaison I Les hommes sont et seront
donc toujours les mêmes !
Nous ne pouvons cependant nous défendre
d'un profond sentiment de tristesse en compa-
rant ces deux époques. En 1787, Mesmer et le
magnétisme animal avaient, en effet, envahi la
(1) On sait que M. Pasteur s'est fait donner par l'Etat la
jouissance du magnifique domaine de Villeneuve-l'Etang
(dépendance du château de St-Cloud, ancienne résidence
impériale) .
— 15 —
France scientifique et jouissaient d'un engoue-
ment aussi absurde et irréfléchi que celui avec
lequel on a accueilli la méthode pastorienne ;
l'Institut, les grands savants, le roi, Marie-Antoi-
nette (1), et les ministres avaient déclaré que le
traitement magnétique était infaillible. Mais un
corps savant, un seul, avait résisté.
Dans une séance solennelle tenue le 18 sep-
tembre 1787, la Faculté de médecine de Paris,
composée de la réunion de tous les docteurs
régents .avait déclaré (^ que la théorie de Mes-
mer était contraire aux théories de la saine mé-
decine et s'appuyait sur des observations de
cures impossibles et invraisem,blables. »
Il faut, pour être juste, ajouter que cette cou-
rageuse protestation fit le plus grand tort à la
Faculté auprès des pouvoirs publics, qui étaient
prosternés autrefois devant Mesmer comme ils
le sont aujourd'hui devant Pasteur.
Mais notre Faculté était indépendante il y a
cent ans, et on n'aurait pas alors rencontré des
professeurs capables de marcher à la remorque
d'un thaumaturge comme MM. Vulpian et Gran-
cher ont le triste courage de le faire.
Qui donc voudrait soutenir aujourd'hui que
l'Institut et Mesmer avaient raison contre la
Faculté de médecine de Paris en 1787 ?
(1) AujoUrd'liui les femmes joueut également un rôle
Important dans la coterie pastorienne ; mais c'est la géné-
reuse Madame Boucicaut qui a remplacé l'altière prin-
cesse Marie-Antoiuetie.
— 16 —
Qui donc soutiendra, dans un siècle, que
l'Institut et MM. Pasteur, Grancher et Vulpian
uA^aient raison contre la clinique et le bon sens
médical en 1887?
Le Puissant Mesmer a passé; le Puissant Pas-
teur passera aussi i
Que ces quelques considérations soutiennent
le courage des nombreux médecins indépen-
dants qui ont lutté avec nous pendant cette
dernière année contre l'intolérance et la témé-
rité de la puissante école pastorienne. Ils ont
combattu pour la vérité. De même que le soleil,
celle-ci a pu être éclipsée par les Mesmers, les
Pasteurs et les Granchers de toutes les époques,
mais elle n'en est réapparue que plus radieuse.
Nous avons la conviction que l'Académie des
sciences et l'Académie de médecine ont été l'ob-
jet d'une cruelle mystification, et que la préten-
due découverte delà guérison de la rage est une
des plus grandes erreurs du siècle. Il faut que
cette conviction soit bien profonde pour que nous
ayons abandonné nos études habituelles, et con-
sacré plus d'une année à remonter un courant
qui paraissait alors irrésistible et à combattre
des théories qui avaient pour elles l'appui de
certains corps savants, qui ne nous pardonne-
ront sans doute jamais d'avoir osé lutter contre
l'homme dont ils avaient imprudemment consa-
cré l'infaillibilité.-
Mars 1886.
LA RAGE & M. PASTEUR
INTRODUCTION
QUESTIONS A M. PASTEUR.
Quelques-uns de nos amis nous ont parfois
reproché la réserve et même les critiques plus
ou moins acerbes avec lesquelles nous avons
accueilli les étonnantes communications fai-
tes par M. Pasteur à la presse politique, puis
à l'Académie des Sciences et à l'Académie de
Médecine.
Nous allons nous efforcer aujourd'hui d'expli-
quer à nos amis les raisons qui ont dicté nos ap-
préciations et notre conduite. Sans entrer à fond
dans un sujet qui touche à des questions aussi
complexes; nous allons passer rapidement en
revue les arguments pastoriens qui nous ont pa-r
* 2
— 18 —
ru, après examen, heurter profondément les no-
tions les plus élémentaires de la clinique. Nous
dirons ensuite quelques mots des procédés ex-
tra-scientifiques à l'aide desquels M. Pasteur a
sollicité l'attention du public, procédés qui nous
ont paru de nature à blesser violemment le sens
médical et les sentiments de dignité profession-
nelle qui ont toujours fait le plus grand honneur
au corps des médecins français.
Nous relèverons donc contre la méthode Pas-
teur quelques points, ou plutôt quelques simples
et timides objections qui ont dû nécessairement
se présenter à l'esprit de tout médecin. Par mé-
decin, j'entends l'individu qui, après avoir reçu
une solide instruction théorique et pratique, se
livre ensuite à la pratique de son art. Celui, en
un mot, qui passe sa vie à soigner des malades.
Le type ainsi défini se trouve naturellement dif-
férer essentiellement de l'individu qui, après
s'être rapidement pourvu du diplôme doctoral,
s'élance ensuite dans une voie latérale, telle que
la chimie, la physique, la botanique, la pharma-
cie et même la physiologie. Quel que soit le ni-
veau qu'il atteigne dans sa branche accessoire
et les services qu'il rende à la science, le méde-
cin ainsi dévoyé perd le sens de la clinique et se
trouve par cela même incapable de juger les
— 19 —
questions ressortissant de la médecine pratique.
C'est malheureusement cette catégorie de sa-
vants, très honorables sans doute, qui composent
la majorité de l'Académie des sciences et de l'A-
cadémie de médecine et se trouvent par cela
même les juges souverains et les directeurs de
l'opinion médicale.
Après cette digression, qui m'a paru nécessai-
re pour expliquer comment nos premiers corps
savants ont pu emboucher la trompette de l'en-
thousiasme en présence de découvertes dont l'é -
Irangeté nous aurait semblé demander un peu
pltis de réserve, nous allons donc poser les ques-
tions suivantes, que nous considérons comme
le programme de la discussion scientifique de la
méthode :
Le chien qui a fait la morsure est-il enragé ?
L'individu traité est-il atteint de la rage?
Pourquoi le nombre des enragés a-t-il été cen-
tuplé depuis trois mois ?
Qu'est-ce que la rage des loups ?
Pourquoi la rage est-elle plus grave lorsque
la morsure est plus profonde ?
Pourquoi le virus rabique ne donne-t-il lieu à
aucune réaction locale ou générale ?
— 20 -
Nous aborderons ensuite quelques points se-
condaires; mais, nous le répétons, nous ne pou-
vons traiter ici ces questions à fond, notre inten-
tion étant simplement de faire toucher du doigt
les points faibles auxquels les pastoriens n'ont
pas même songé à répondre.
Le chien qui a fait la morsure est-il en-
?^a5fé ? Dans un article entièrement favorable à
la nouvelle méthode, notre regretté maître et
ami Dechambre écrivait les lignes suivantes:
« Nous comprenons qu'on se montre exigeant
dans l'interprétation du fait de vaccination anti-
rabique relaté par M. Pasteur ; qu'on demande,
par exemple, si le chien était réellement en-
ragé. » Nous avons donc le droit d'être exigeant,
puisque notre maître l'était, et la première ques-
tion à poser est la suivante : Existe-t-il des si-
gnes physiques et anatomiques certains pouvant
prouver qu'un chien est atteint de la rage ?
Les vétérinaires avouent sur ce point leur incer-
titude et leurs hésitations. C'est ainsi que le chien
qui avait mordu Meister a été déclaré enragé
parce qu'o?2 a trouvé des fragments de bois dam
son estomac. J'en appelle aux professeurs d'a-
natomie pathologique, MM. Cornil et Grancher,
qui ont emboîté le pas derrière M. Pasteur, est-
ce là un eigne anatomo-pathologique de quelque
valeur ? C'est cependant le seul signe certain de
la rage, si nous en croyons Bouley. On donne
encore comme signe de la rage chez le chien
quelques symptômes communs à un grand nom-
bre de maladies de la race canine, tels que la
tristesse, l'œil hagard, la perte d'appétit, etc.
Mais, nous le répétons, la rage canine ne se ma-
nifeste par aucun signe anatomo-pathologique ;
les symptômes de cette affection sont vagues et
mal définis, et les vétérinaires, qui discutent de-
puis longtemps cette question, sont loin d'être
d'accord. Nous affirmerons donc, jusqu'à preuve
au. contYSiive., quQ rien n'établit que les chiens
qui ont mordu Meister et Jupille étaient enra-
gés et qu'il n'est par conséquent pas démontré
que ces deux individus ainsi que les 1500 autres
donnés comme guéris étaient vraiment atteints
de la rage. Nous reviendrons du reste plus lon-
guement sur ce point.
22 —
II
L'Individu traité est-il atteint de la ra-
ge ? Ce que nous venons de dire nous dispense
d'entrer dans de longs développements sur cette
seconde question. Tant qu'un individu n'a pas
présenté les symptômes de la rage, il n'existe
aucun signe permettant d'afflrmer qu'il est at-
teint de cette affection . Ce point n'est contesté
par personne.
J'ai pu recueillir un certain nombre de faits
qui prouvent jusqu'à l'évidence qu'il n'existe A,
cet égard que tâtonnements et incertitudes. En
voici un :
. Un médecin honorable et instruit, qui exerce
aux environs de Paris, et que je ne puis nom-
mer dans la crainte d'attirer sur sa tête les colè-
res des puissants pastoriens, a été appelé, le 16
novembre 1884, près d'un enfant de six ans hor-
riblement mordu par un chien. Les morsures
avaient labouré le visage, perforé la lèvre supé-
rieure et fait sauter deux dents. L'enfant est
cautérisé deux heures après l'accident, avec
une solution de chlorure d'antimoine. Le chien
fut abattu, autopsié et déclaré enragé. Il était
— 23 —
impossible que des lésions semblables n'aient
pas inoculé le fatal virus. En présence d'une
situation aussi grave, notre confrère, grand ad-
mirateur de M. Pasteur, (il a changé depuis),
écrit au maître pour le supplier de faire quelque
chose pour cet enfant. Voici la réponse du pro-
fesseur de l'Ecole normale (1) :
« Monsieur,
« Les cautérisations que vous avez pratiquées
doivent vous rassurer pleinement sur les consé-
quences de la morsure.
« Ne faites plus aucun traitement ; c'est inu-
tile.
«L. Pasteur. »
Est-il nécessaire de commenter cette épître ?
Ainsi, voilà M. Pasteur qui convient lui-même
de son ignorance des choses de la médecine, qui
donne une consultation aussi insensée ! qui
déclare qu'en présence de la cautérisation faite
deux heures après l'inoculation, tout traite-
ment est inutile ! Ce serait presque comique si
ce n'était profondément triste !
(1) Il va sans dire que nous tenons à la disposition
de nos amis ce curieux document.
— 24 —
Mais le fait le plus remarquable à déduire de
cette observation est le suivant: l'enfant que
M. Pasteur a refusé de soigner, mordu par un
chien déclaré enragé le 19 novembre 1884, se
porte aujourd'hui très bien., deux ans après l'ac-
cident. Supposons un seul instant que M. Pas-
teur ait accepté dQ traiter ce petit malade et lui
ait inoculé ses virus, n'aurait-on pas considéré
ce cas comme le pendant bien légitime des gué ■
risons miraculeuses de Jupille et deMeister? On
l'aurait fait avec d'autant plus de raison que
le chien qui avait inoculé cet enfant avait été
déclaré enragé par les vétérinaires les plus ins-
truits de Paris, que les blessures, nombreuses et
profondes, avaient été immédiatement constatées
par des médecins compétents. Toutes ces garan-
ties n'existaient pas pour Jupille mordu dans
le fond du Jura par on ne sait qui et on ne sait
comment, et qui avait bien des chances d'être un
enragé de circonstance.
Ce fait démontre donc qu'il est impossible d'é-
tablir avec certitude qu'un individu est atteint
de la rage et qu'il n'est nullement démontré que
les 3,000 enragés guéris par M. Pasteur étaient
véritablement des hydrophobes.
— Zo
III
Pourquoi le nombre des enragés a t-il été
plus que centuplé depuis quinze mois'] Quelques
statistiques. — Cette question en est une que le
simple bon sens nous obligea poser à M. Pasteur.
Les statistiques les mieux établies démontrent
que la rage faisait en France, avant l'invention
du traitement antirabique, de 12 à 30 victimes.
Or, d'après la récente circulaire adressée au Fi-
garo et àtoute la presse politique, le nombre des
ENRAGÉS GUÉRIS pendant un an se serait
élevé à 3,000 1 Cela ferait donc pendant l'année
plus de TROIS MILLE CAS de rage mortelle au
lieu de vingt. Comment expliquer une telle as-
cension ? On serait presque tenté de croire que
les gens deviennent enragés à plaisir depuis
qu'on leur offre la certitude de la guérison.
Les statistiques de tous les pays démontrent
que le nombre des victimes que fait la rage est
extrêmement minime. D'après les statistiques
présentées par le D^ Frisch (1) à la Société des
(1) Ce médecin, qui élait venu étudier le traite-
ment Pasteur, a formulé son opinion devant la So-
ciété des médecins de Vienne, de la façon suivante :
« Quant à la valeur de ce traitement préventif, il
2*
— 26 —
médecins de Vienne, la rage a fait en Autriche,
de 1879 à 1885, 13, 8, 5, 7, 2 et 10 victimes. En
Prusse, où le seul traitement prophylactique
consiste à museler les chiens, il y a eu dans les
cinq dernières années 10, 6, 4, 1 et 0 personne
ayant succombé à la rage. On le voit, l'hydro -
phobie occupe une place peu importante dans
notre pathologie, surtout si on la compare à la
phthisie, à la diphthérie, à la variole.
n'est pas encore possible de se prononcer avec cer-
titude, parce que la durée de l'inoculation de la
rage est très longue. Il faut donc attendre encore
des renseignements ; mais rien n'empêche de répé-
ter les expériences de M. Pasteur (Séance du 17
avril] 886}.»
Or, voici comment M. Pasteur et ses amis ont inter-
prété ces paroles dans une dépêche reproduite par tous
les journaux politiques: « Le docteur Frisch, qui a été
envoyé dernièrement à Paris par un comité viennois
pour étudier la méthode d'inoculation Pasteur, a fait
un résumé de ses recherches dans une réunion publi-
que à IHôtel-de-V^ille. Il a loué sans réserve le systè-
me de M. Pasteur et il a dit qu'il devrait être adopté
par tous les médecins de l'âutriche. « Je ne sais pas
qui est chargé du service de la publicité à l'Ecole nor-
male, mais je crains vraime qu'il n'abusent par
trop de la crédulité du corps medjcal français.
Depuis cette époque Von Frisch a institué à Vienne
une série d'expériences que nous reproduisons plus
loin et qui contredisent d'une façon absolue celles de
M. Pasteur.
— 27 —
Mais cet argument ne diminue en rien le mé-
rite de M. Pasteur s'il a vraiment découvert le
remède de la rage. N'y aurait il qu'un seul en-
ragé en France chaque année, je serais éternel-
lement reconnaissant au professeur de l'Ecole
normale s'il le guérit et ne regretterais pas les
millions dépensés à cet effet. En attendant, je
supplie les autorités de ne pas trop s'en rapporter
à la méthode nouvelle et de ne pas négliger les
mesures qui sont de nature à contribuer, con-
curremment avec M. Pasteur, à la prophylaxie
de la rage, nous voulons parler du musèlement
des chiens qui, rigoureusement appliqué en Al-
lemagne, a fait descendre à zéro la mortalité
occasionnée par cette terrible maladie.
IV
Qu'est-cê que la rage des loups ? Nos lecteurs
connaissent dans leur ensemble les faits sur-
venus au laboratoire de la rue d'Ulm. Ils
savent que la méthode a donné quelques in-
succès. Non seulement une enfant, puis une
femme sont morts de la rage, mais encore une
série de Russes se sont montrés vraiment réfrac-
— 28 ~
taires à l'effet des virus moelleux. Au nombre
de cinq, ils sont venus mourir dans nos hôpi-
taux et un sixième a succombé à son retour en
Russie.
Cet insuccès était certainement de nature à
déconcerter toutes les prévisions. Mais pourquoi
n'ont-ils pas voulu guérir ? Est-ce parce qu'ils
étaient Russes ? On ne pouvait sérieusement
penser à donner cette explication et, à bout d'ex-
pédients, on a dit qu'ils étaient morts parce
qu'ils avaient été mordus par des loups.
D'après M. Pasteur, la rage du loup serait dif-
férente de celle du chien. Elle serait plus grave.
En outre, les loups ont une manière spéciale
d'inoculer leur virus, ils vont plus profondé-
ment, etc.
A l'appui de cette assertion le professeur a
communiqué au Figaro et à l'Académie des
sciences une série de faits des plus concluants.
Nous les reproduisons textuellement (1) :
(1) Cette communication, envoyée sous forme de
circulaire à tous les journaux français, n'a pas été lue
à l'Académie de médecine. Pourquoi ? L'auteur a peut-
être pensé qu'elle y serait moins favorablement accueil-
lie.
— 29 —
« i» En 1706, le 27 février, à Saint-Julien-de-
Civry (Saône-et Loire), huit personnes étaient
mordues par un loup enragé. Elles mouraient
toutes en un espace de temps variant de dix-
sept à soixante-huit jours.
2^* Le 20 décembre 1806, neuf personnes
étaient mordues près de Bourges ; huit sont
mortes.
3" Le 10 octobre 1812, à Bar-sur-Ormie, dix-
neuf personnes étaient mordues. — Un méde-
cin cautérisa et lava leurs plaies avec du mu-
riate d'ammoniaque liquide. Elles ont succombé
en une période de treize à soixante- onze jours.
4° Le 23 février 1849, à Darbois, un berger
nommé Dumont, âgé de soixante-quatre ans,
mourait mordu par un loup, après trente-deux
jours de souffrances.
5" En 1866, trois personnes mouraient dans
l'Aveyron.
Ainsi, voilà les faits cliniques qu'on nous pré-
sente I M. Pasteur est allé chercher dans les al-
manachs du temps, des observations datant du
dix-huitième siècle, et dépourvues de toute au-
thenticité pour expliquer la mort de ces pauvres
Russes. Il fallait nous donner des faits récents
ou tout au moins remontant à une époque moins
— 30 —
légendaire, ce qui nous eût permis de les contrô-
ler.
Nous avons nous-même recherché des faits
plus récents et ceux que nous avons recueillis et
que nous pubherons démontrent que la mortali-
té par la rage du loup n'est pas plus élevée que
celle par la rage du chien.
Je crains bien que les honorables confrères
chargés de souffler M. Pasteur lorsqu'il parle
médecine ne l'aient engagé dans une mauvaise
voie. Il nous semble plus simple d'admettre que
ceux des Russes qui sont morts avaient vrai-
ment la rage et que ceux qui sont retournés en
Russie, ne l'avaient pas. Ils ont été mordus par
le même animal, cela est vrai, mais les uns ont
subi l'inoculation, les autres y ont échappé. Si
M. Pasteur était médecin, il saurait qu'il arrive
souvent que sur plusieurs enfants, vaccinés avec
le même virus, un certain nombre échappent à
l'inoculation.
Pourquoi la rage est-elle plus grave lorS'
que kl morsure est plus profondel Dans sa
communication au Figaro et â l'Académie des
sciences. M. Pasteur donne encore une raison
" 31 —
pour expliquer l'insuccès de sa méthode sur les
Russes. Nous citons :
a La différence de gravité s'explique par la
puissance de mâchoire du loup qui porte le vi-
rus plus profondément dans le système... Lat
mort des personnes mordues par les loups est
beaucoup plus fréquente en raison du nombre
des blessures, de leur profondeur et de leur gra-
vité. »
Cet argument doit certainement convaincre
les lecteurs du Figaro et du Petit Journal^ rasa?,
je crois que les médecins sont plus difficiles.
Comment ! l'inoculation est plus grave lorsque
le virus est porté plus profondément dans le sys-
tème ! Voilà qui renverse toutes les idées reçues.
J'avais cru jusqu'à ce jour que le vaccin s'inocu-
lait quelle que soit laprofondeur de la piqûre. On
nous a même toujours conseillé de préférer l'ino-
culation peu profonde comme beaucoup plus
sûrcn Tout cela est peut être changé ; mais je se-
rais heureux de connaître à cet égard l'opinion
de la Commission de la vaccine à l'Académie
de médecine.
32 —
VI
« Pourquoi le virus moelleux ne donne-t-il
lieu à aucune réaction locale ou générale ? Un
des principaux griefs qu'adressaient les Pasto-
riens à leur confrère Ferran était ainsi formulé :
« Vous prétendez inoculer un choléra atténué;
comment se fait-il que votre inoculation ne don-
ne lieu à aucun phénomène local ou général ?
Vos malades devraient avoir un petit choléra ou
tout au moins présenter une réaction quelcon-
que indiquant l'introduction du virus dans
l'économie. Comme rien de tout cela n'a heu,
nous avons bien des raisons de croire que vous
n'injectez que del'eau sale ne possédant aucune
propriété virulente spéciale. »
Nous n'avons certes pas l'intention d'émettre
une semblable opinion sur le virus moelleux.
Mais les faits qui se passent à l'Ecole normale
n'en sont pas moins de nature à renverser ce
qu'on nous avait appris autrefois sur les virus.
Prenons des maladies essentiellement virulen-
tes, telles que la variole, la vaccine, la syphilis,
etc. Nos ancêtres, qui inoculaient déjà au siècle
dernier la variole atténuée, n'obtenaient-ils pas
toujours une petite vérole, une éruption quelcon-
— 33 —
que? Le virus vaccinal inoculé ne donne-t-il pas
toujours naissance à une pustule? L'inoculation
de la syphilis ne produit-elle pas le chancre in-
duré ? Tout cela est clair, positif, incontestable.
La maladie transmise par inoculation donne
naissance à une maladie de même nature. Mais
rien de tout cela n'a lieu pour la rage atténuée.
On inocule de la moelle plus ou moins virulen-
te, et puis on n'a rien, pas la plus petite pustule,
pas même de l'érythème, aucune réaction géné-
rale pouvant se rapprocher des accidents rabi-
ques réels. Tout cela est bien étrange et bien en
contradiction avec ce qu'on nous avait appris
autrefois sur la transmission des maladies vi-
rulentes.
Telles sont les principales questions que nous
voulions adresser à M. Pasteur et aux honora-
bles confrères qui ont accepté les yeux fermés
les faits surprenants cjui ont étonné à juste rai-
son le monde scientifique pendant ces six der-
niers mois.
Mais nous tenons essentiellement à déclarer
qu'il n'y a dans notre attitude ni parti pris, ni
hostilité. Nos lecteurs savent que nous avons à
cœur de prendre au sérieux toutes les questions
de science présentant un intérêt pratique. Celle
qu'aborde M. Pasteur est certainement de ce
- 34 —
nombre, et nous serons très heureux de voir un
jour la pratique confirmer ce qui a semblé de-
voir rester jusqu'à ce jour dans le domaine de
là théorie spéculative. Comme l'a fort bien dit
le savant Autrichien, M. Frisch, la question doit
être réservée, la période d'incubation de la rage
étant quelquefois très longue.
Je supplie donc mes confrères de modérer
leur enthousiasme et je crois qu'il est convenable "
d'apporter quelques réserves.
On me dit : « La France n'a qu'un grand hom-
me et vous cherchez à le déprécier. » Mais c'est
dans l'intérêt môme du Grand Homme que les
réserves me semblent nécessaires, indispensa-
bles. Pensez donc comme il est cruel, aux yeux
de l'Etranger, de reconnaître que nous avons été
trop loin, que la méthode est imparfaite, et quel-
le amère déception pour notre patrie et pour
nous-mêmesi, dans un an, la méthode Pasteur
était abandonnée ou démodée ! Que le public
prenne feu et flamme, qu'il s'enthousiasme à la
lecture des tartines dithyrambiques qui lui sont
servies chaque jour, cela est dans l'ordre. Mais
nous pensons que les médecins et les véritables
hommes de science ne doivent accepter que sous
bénéfice d'inventaire les découvertes dont les
applications pratiques ne sont pas encore dé-
montrées. Comme l'a fort bien dit le professeur
— 35 —
Brouardel, en parlant des inoculations préven-
tives de l'Espagnol Ferran, précurseur, col-
lègue et émule de M. Pasteur, il ne faut pas
passer trop tôt du domaine de la théorie dans
celui de la pratique.
Nous aurons à parler plus tard des pro-
cédés à l'aide desquels M. Pasteur et ses amis
ont appelé l'attention des gens du monde sur
leur découverte. Quoique cette question sorte
un peu du cadre purement scientifique, nous
croyons nécessaire de mettre au grand jour cer-
tains agissements qui nous paraissent de nature
à compromettre sérieusement la dignité de no-
tre profession.
Tels sont les points les plus importants qui
nous semblent devoir servir de base à la discus-
sion de la nouvelle méthode.
Nous allons les reprendre et les discuter à
nouveau, en faisant connaître les principaux
documents qui s'y rattachent.
CHAPITRE ^^
EXPOSÉ DE LA MÉTHODE
Avant d'aller plus avant dans la critique, il
nous a paru nécessaire de remémorer à nos lec-
teurs les points les plus importants de la mé-
thode.
Cet exposé sera fait aussi clairement que pos-
sible et avec la plus stricte impartialité.
La méthode comprend les quatre opérations
suivantes : Trépanation d'un lapin ; Dessicca-
tion de ses moelles ; Préparation du virus
moelleux ; Injectio?!. du bouillon à Vhomme.
l'J" TEMPS : TRÉPANATION DU LAPIN.
Voici comment on procède :
On coupe avec des ciseaux les poils qui cou-
vrent le sommet de la tété, puis on divise la
peau avec un bistouri sur une longueur de quel-
ques centimètres.
Le crâne se trouve ainsi mis à découvert. Adap-
tant alors une couronne de trépan au centre de
— 37 —
cette incision, on enlève en quelques tours de
roues une rondelle osseuse, de la largeur d'une
lentille, ce qui permet d'apercevoir la dure-mère.
On pique délicatement cette membrane avec l'ai-
guille d'une petite seringue Pravaz, et on fait
pénétrer à la surface même du cerveau quelques
gouttes de son contenu, lequel contenu n'est au-
tre que le prétendu virus rabique de M. Pasteur.
On retire alors la seringue et on réunit par deux
points de suture la plaie des téguments.
Que devient alors le lapin?
L'animal se réveille de l'anesthésie à laquelle
il a été soumis, puis* il éprouve du cinquième au
sixième jour les effets du virus et de l'opéra-
tion qu'il a subie. Il devient triste et abattu,
mange peu et traîne péniblement ses pattes de
derrière. Puis ses pattes de devant s'entrepren-
nent à leur tour, et, la paralysie se généralisant,
il tombe sur le côté et meurt le septième jour
dans cette attitude sans convulsions, sans cris
et sans présenter du reste aucun des symptômes
habituels de la rage.
Il est à remarquer, en effet, que le lapin, de
même que les autres animaux auxquels M. Pas-
teur inocule son virus moelleux, succombent
sans présenter aucun des symptômes de la rage.
C'est une objection que faisait très judicieusement
— 38 •-'
M. Jules Guérin à l'Académie de Médecine,
(séance du 21 octobre 1885). « Ces expériences,
disait l'illustre savant, se rapportent à une rage
artificielle, à une rage théorique et nullement à
la rage des rues, à celle qui est transmise du
chien à l'homme. »
L'autopsie des lapins vient également à l'ap-
pui de cette manière de voir. On sait que le
centre nerveux est (d'après M. Duboué) le siège
de la localisation du virus rabique : « Vous au-
rez beau soumettre à la dissection la plus minu-
tieuse le cerveau, la moelle épinière et le bulbe
qui réunit le cerveau à la moelle, a dit M. Cons-
tantin James, à qui nous empruntons quelques-
uns des passages de ce chapitre, nulle part vous
ne trouverez des traces, je ne dis pas seulement
de la présence, mais même du passage de ce
virus.
Le microscope donne de même des résultats
entièrement négatifs : point de microbes ; pas
même ces granulations que M. Pasteur avait si-
gnalées d'abord comme caractéristiques de la
rage. C'est au point qu'en mettant en regard
l'un de l'autre le cerveau d'un lapin tué plein de
vie dans une garenne, et le cerveau d'un lapin
mort de la rage dans nos laboratoires, il vous
sera impossible de distinguer le cerveau sain du
cerveau contaminé. »
— 39 -
En somme, pour les animaux comme pour
l'homme, il n'existe aucune lésion anatomique
qui puisse démontrer chez un individu l'exis-
tence de la rage. 11 faut donc convenir que cette
maladie est peu connue, aussi bien dans ses
symptômes que dans ses lésions.
2" TEMPS. — DESSICCATION DES MOELLES,
Nous venons de voir comment on inocule le
lapin et comment il succombe. Les moelles qui
doivent être soumises à la dessiccation pour être
délayées ensuite dans du bouillon stérilisé pro-
viennenttoutes deces animauxinoculés et morts
par trépanation. Voici comment on procède en-
suite.
Le lapin qui a succombé sert à inoculer celui
qui lui succède, et tiinsi de suite, sans qu'il y ait
jamais d'interruption; or, chaque jour on ino-
cule quelque nouveau lapin jusqu'à ce qu'on ait
obtenu un nombre suffisant.
Chaque lapin est ensuite autopsié et sa moelle
disposée dans un flacon spécial. On obtient alors
toute une collection de moelles au nombre de
quatorze, chiffre qu'avait d'abord fixé M . Pas-
teur, comme correspondant à celui des inocula-
tions à faire. Ces quatorze moelles représentent
donc, d'après M. Pasteur, quatorze degrés dif-
— 40 —
férents d'activité. Le degré le plus faible corres-
pond à la moelle la plus ancienne et ne saurait
déterminer aucun symptôme rabiqae ; le degré
le plus fort correspond à a moelle la plus récen-
te et renfermerait, au contraire, les éléments de
la rage la plus terrible ; quant aux degrés inter-
médiaires, ils forment une véritable gamme de
virulence.
Il s'agit maintenant de .préparer le bouillon
stérilisé dans lequel on doit dissoudre les moel-
les devant servir aux inoculations. On obtiendra
alors le virus moelleux dont il a tant été ques-
tion.
3' TEMPS. — PRÉPARATION DU VIRUS MOELLEUX.
Voici comment on obtient ce fameux virus :
On prend un kilogramme de veau que l'on
ajoute à un poids égal d'eau préalablement
bouillie et fdtrée, puis ou fait bouillir le tout
pendant une demi-heure. A ce moment, on re-
tire le bouillon du feu, et on le filtre pour le dé-
barrasser de la graisse et autres substances in-
solubles. Comme il est d'ordinaire un peu acide,
on le neutralise en y ajoutant peu à peu de la
potasse jusqu'à ce que le papier bleu de tourne-
sol qu'on y plonge ne change pas de couleur.
• Il s'agit maintenant de le stériliser.
— 41 —
On renferme pour cela ce bouillon dans un
ballon en verre, dont on étire ensuite le goulot
jusqu'à ce qu'il se termine par une pointe effi-
lée qu'on bouche à la lampe d'émailleur. Ce bal-
lon est placé dans une sorte de marmite de Pa-
pin, pendant quinze à vingt minutes, à une cha-
leur de 115". Comme il n'y a pas de microbe
qui puisse résister à cette température, le bouil-
lon se trouve ne pi us contenir d'êtres vivants, en
d'autres termes, il est « stérilisé ■». Il n'y a plus
alors qu'à l'approprier aux inoculations.
Voici comment procède M. Pasteur ou plutôt
M. Roux (1).
Il enlève délicatement une moelle d'un flacon
en la retirant par les fils qui la maintiennent
suspe]\due au coton servant de bouchon. A por-
tée de sa main se trouve une lampe à esprit de
vin. Il passe rapidement la moelle à travers la
flamme, pour tuer les germes qui auraient pu
se déposer à sa surface. Avec une paire de ci-
seaux qu'il flambe également, il découpe deux
ou trois petits morceaux de moelle, d'un centi-
mètre de longueur environ, qu'il coupe encore
(1) \r. Pasteur a depuis longtemps abandonné à ses
aides la manipulation des bouillons et le traitement.
Il ne daigne aujourd'hui se montrer que pour les visi-
teurs de tnarqiie.
.3
— 42 —
en morceaux plus fins et qu'il laisse tomber dans
un verre à pied. Sur la table sont placés aussi
de petits ballons en verres fermés à la lampe et
préalablement remplis d'un bouillon stérilisé. Le
préparateur brise la pointe d'un ballon et aspire
avec une pipette un peu de liquide qu'il intro-
duit dans le verre. Ce bouillon va servir de vé-
hicule à la moelle rabique. Avec une baguette
de verre, on triture, on pile la moelle au milieu
du bouillon, on fait une sorte d'émulsion qui
donne une liqueur jaunâtre. C'est le liquide des-
tiné aux inoculations.
D'après cette description, exactement emprun-
tée au manuel opératoire pastorien, le virus
moelleux se composerait donc simplement d'une
solution de moelle de lapin rabique dans du
bouillon de veau.
Ce bouillon aurait une virulence plus ou moins
intense selon le degré de dessiccation de lamoelle
qui a servi à la solution. Ainsi la moelle de dix
jours seraitdix fois moins virulente que la moel-
le fraîche d'un jour.
Voilà du moins ce que nous dit M. Pasteur.
Mais tout cela est-il bien conforme aux données
scientifiques qui se rapportent à l'étude géné-
rale des virus ? Nous nous permettons d'en dou-
ter.
— 43 —
C'est toujours la vaccine, ce virus parfaite-
ment isolé et déterminé, qu'on prend comme
terme de comparaison lorsqu'il s'agit de liqui-
des virulents. Or, ce qui a lieu pour le virus
moelleux de M. Pasteur n'a pas lieu pour le vi-
rus jennérien. Pourquoi ? La vaccine, dessé-
chée et recueillie àPétat de croûte, peut être en-
voyée au loin et conserver sa virulence pendant
des mois et des années. Il n'en estpas de même,
paraît-il,, pour le virus moelleux que les Pasto-
riens se plaisent à comparer au virus jennérien.
Ce prétendu virus perd toutes ses propriétés par
la dessiccation et ne peut plus les recouvrer. Mys-
tère étrange.
Or admettons qu'il en soit ainsi. M. Pasteur
coupe ses petits fragments de moelle et les met
dans son bouillon de veau après les avoir sou-
mis et une dessiccation plus ou moins longue.
QUESTIONS DE QUANTITE ET DE POIDS.
Mais il omet de nous dire quelle quantité de
moelle il place dans son bouillon. Il ne pèse pas
sa moelle et ne se rend nullement compte de
la proportion dans laquelle elle se trouve asso-
ciée au bouillon. En un mot la question de poids
et de quantité lui paraît négligeable.
_ 44 —
Quand nous employons les alcaloïdes tels
que la morphine, la strychnine et autres poi-
sons cent fois moins redoutables que les préten-
dus virus pastoriens. nous les pesons scrupu-
leusement et nous tenons, avant de les faire in-
gérer à nos semblables, à savoir dans quelles
proportions ils se trouvent associés au véhicule.
Mais M. Pasteur n'a pas jugé cette précaution
nécessaire. Il découpe deux oq trois petits mor-
ceaux de moelle et les met dans son bouillon.
Quant à la dessiccation, elle se fait également
par à peu près sans tenir compte de l'état hygro-
métrique de l'air et des autres circonstances.
Et voilà la méthodequ'on nous donne comme
le type de la précision scientifique !
4*^ TEMPS. — INOCULA.TION A l'hOMME.
Arrivons maintenant au point délicat : l'ino-
culation à l'homme. -— Voici comment on pro-
cède :
Sur une table du laboratoire sont rangées dix
fioles dans l'ordre de leur activité. Pourquoi dix
seulement, puisque nous savons qu'on en avait
préparé quatorze ? C'est que M. Pasteur a pensé
que les quatre moelles les plus récentes, ne pou-
vaient être utilisées, à cause de leur trop grande
.^ 45 —
virulence. Quant au nombre dix, il représente
la durée de la cure, qui est en moyenne de dix
jours, à une injection par jour.
Mais pourquoi dix, en effet, au lieu de sept,
de douze ou de quatorze. M. Pasteur lui-même
n'en sait rien. Il va par à peu près comme les
empiriques. Nous verrons du reste plus loin que
la méthode a été souvent modifiée selon que les
individus étaient Français ou Russes, qu'ils
avaient été mordus par des chiens ou des loups,
etc., etc. (1).
Voici, d'après un témoin oculaire, la scène qui
se passe tous les jours au laboratoire :
« M. Pasteur, debout devant la porte d'entrée,
fait l'appel des « mordus », qui viennent se faire
inoculer. Ils sont divisés en dix séries, autant
par conséquent qu'il y a de fioles.
C'est la première série qui commence le défilé.
Celle-ci se compose des nouveaux arrivants qui,
appartenant pour la plupart aux nationalités les
plus diverses, sont venus pour se soumettre au
traitement. Ils passent tous devant M. Pasteur,
(1) Nous reproduirons plus loin les variations de la
MÉTHODE. Depuis les nombreux de'cès survenus après
son traitement et souvent à cause de son traitement,
l'illustre ehimiste a modifié la méthode dans sa tota-
lité.
3-
— 46 —
lequel adresse à chacun une bonne ■parole^ puis
se dirigent vers l'inoculateur, afin de recevoir
l'injection préservatrice.»
ROLE DU PROFESSEUR GBANCHER,
La seringue est tenue par un professeur de la
Faculté de Paris, M. Grancher, qui injecte déli-
catement le virus moelleux dans l'abdomen des
enragés.
On se demande pourquoi c'est un professeur
de la Faculté de médecine qui fait les injections
sous-cutanées, alors que le plus modeste externe
des hôpitaux ferait aussi bien cette besogne.
On a pensé sans doute qu'il fallait un peu
de solennité et il s'est trouvé un professeur qui
ne dédaignait pas de s'associer à la publicité et
à la réclame dont on entourait la méthode. Mais
cela est sans importance. Continuons la techni-
que pastorienne.
« Quand toute la première série a été inoculée,
elle se retire, puis on passe 1 la seconde, puis à la
troisième, et ainsi de suite, jusqu'à ce que toutes
les dix aient reçu l'injection graduée, augmen-
tant chaque jour d'un degré la force de la liqueur.
Chaque injection est l'affaire de quelques se-
condes, car on procède absolument comme pour
— 47 —
les piqûres de morphine. La seule sensation per-
çue est celle de cette piqûre. Il ne survient non
plus, ni le même jour, ni les jours suivants, la
moindre irritation locale de la peau, ^
IL DOIT y AVOIR DES ERREURS.
Mais au milieu de ces centaines d'individus
qui se présentent, il est impossible de conserver
un ordre parfait ; supposez qu'une personne qui
fait partie des premières séries, par conséquent
des injections les plus faibles, se trouve en re-
tard, et, ne voulant pas s'être déplacée en vain,
se glisse parmi celles qui appartiennent aux der-
nières séries. Comme son organisme n'aura pas
été préparé par des injections suffisamment gra-
duées, elle recevra, non plus le préservatif de la
rage, mais la rage elle-même, car le virus qu'on
lui inoculera est plus terrible que la bave du
chien hydrophobe.
Cela a dû arriver quelquefois, et les inoculés
ne s'en sont pas plus mal portés. Je n'hésiterais
pas, pour ma part, à me laisser inoculer le bouil-
lon n° 10 et même le n° 14 et j'ai la conviction
absolue que je ne prendrais pas la plus petite
rage.
— 48 —
TRAITEMENT TOUR LES MORSUB.ES DE LOUP.
Le traitement que nous venons d'indiquer
s'appliquait d'abord à tous les mordus par des
chiens ou par des loups. Mais les nombreux in-
succès survenus sur des Russes mordus par des
loups ont engagé le maître à modifier sa mé-
thode. Voici à quelle occasion :
Neuf Russes de Wladimir furent mordus le
25 mars et cautérisés, six heures après, avec
l'cicide azotique, par le docteur Vicknevsky ;
puis, une fois qu'on leur eut fourni les fonds né-
cessaires pour leur voyage, ils partirent pour
Paris accompagnés de ce médecin, et se pré-
sentèrent, le 8 avril, à la consultation de M.
Pasteur.
C'est par eux que M. Pasteur inaugura son
nouveau système d'inoculations à l'usage des
« Morsures de loup ». Ce système consiste à fai-
re trois injections par jour, de force toujours
croissante, une le matin, l'autre l'après-midi, la
troisième le soir, et chaque fois deux seringuées
au lieu d'une, par conséquent six seringuées
par vingt-quatre heures.
Le quinzième jour du traitement, M. Pasteur
a interrompu ses inoculations, afm de laisser re-
poser ses malades, se proposant (le les reprendre
- 49 -
plus tard. Mais un de ces Russes étant mort de
la rage le 19 avril, le D' Vicknevsky a préféré
repartir. lia donc quitté Paris avec les huit
Russes restants. Sur ces huit Russes, l'un est
mort également de la rage pendant la route,
après trente-six heures de cruelles souffrances.
Enfin, quelques jours après leur retour à Wladi-
mir, un troisième Russe a succombé de même
à la terrible maladie. Par conséquent, trois dé-
cès sur neuf mordus 1
Tels sont les faits et tels sont les chiffres, les
seconds aussi authentiques que les premiers. ■
Voici comment un des panégyristes de M. Pas-
teur, M. G. James, apprécie les faits : « Evidem-
ment toute conclusion basée sur ces résultats se-
rait chose prématurée, puisque M. Pasteur en
est encore, pour ce qui se rapporte à la morsure
du loup,à la période d'essais. » Quant à ces essais,
je les quah fierai d'un mot : ils me stupéfient, au
point de vue physiologique.
Comment ! Voilà un virus — le numéro 2 par
exemple — dont une goutte suffit pour tuer le
chien le plus robuste, et c'est par seringuées
pleines que vous l'injecterez, plusieurs fois cha-
que jour, dans les veines d'un homme ! Et cet
homme n'éprouvera ni une démangeaison dans
la piqûre, ni un simple étourdissement dans le
cerveau ? Mais il n'y a pas d'animal antédiluvien,
- - 50 —
fût-ce le mastodonte, qui ne fût foudroyé par
un pareil poison à pareille done. Décidément M.
Pasteur joue ici avec son virus, comme un
dompteur joue avec ses fauves.
Surtout qu'on ne voie pas dans cette dernière
réflexion de ma part, une pensée critique. Non.
.Ce que j'ai voulu dire, c'est que jamais un mé-
decin n'aurait osé faire pareille tentative ; car
enfin, ce que vous inoculez, ce n'est pas le contre-
poison, c'est le poison lui-même. Or, qui vous
garantit que, si vous en centuplez la dose, dans
l'espoir d'en centupler les effets, vous ne travail-
lerez pas au contraire dans le sens du mal, en
ajoutant une trop forte proportion de virus à cel-
le dont la dent de l'animal a déjà vicié l'orga-
nisme d'où résultera plus tard quelque terrible
explosion rabique.
Mais le prophète a prononcé : inclinons-nous.
Seulement c'est le cas ou jamais de dire :
« Mais pour être approuvés
De semblables projets veulent être achevés. »
Depuis cette époque, M. Pasteur a fait subir
à son traitement de nombreuses variations qui
ont enlevé à sa méthode toute la rigueur scien-
tifique qu'elle semblait avoir dans les débuts.
Nous aurons l'occasion d'en parler plus loin.
CHAPITRE II.
EXAMEN DE LA MÉTHODE. — LES PAR-
TIES VRAIMENT SCIENTIFIQUES DE LA
DÉCOUVERTE NE SONT PAS DUES A
M. PASTEUR QUI S'EN EST ATTRIBUÉ
FAUSSEMENT LA PATERNITÉ.
M. Pasteur a exposé à l'Académie des sciences,
dans une série de communications solennelles,
comment il était arrivé à sa splendide découverte
du Traitement de la Rage. Cette découverte se
compose elle-même d'une sorte de trinité com ■
prenant :
1° Découverte de l'état réfractaire par inocu-
lations.
2° Découverte de la substitution du lapin au
chien pour les inoculations du virus rahique.
3° Découverte du siège de la rage dans les
centres nerveux.
Or, il se trouve qu'aucune de ces découvertes
ne lui appartient en propre. Qui ose dire cela ?
Précisément, son panégyriste, M. Constantin
James. Nous n'en voulons d'autres preuves que
— 52 —
les passages guillemélés qui vont suivre et que
nous empruntons à son travail: La Rage; Avan-
tage de son traitement par la méthode Pasteur.
a On peut appliquer à la découverte de M.
Pasteur ce que lui-même a dit des Générations
spo7itanécs à propos des êtres vivants : « Elle
n'est pas née spontanément dans son cerveau ;
« il en existait des germes dans l'atmosphère de
la science». Ainsi Magendie,il y plus d'un demi-
siècle, avait jeté les fondements de la méthode
elle-même par des expériences que celles de M.
Pasteur n'ont fait que confirmer et féconder.
Puis^ tout à fait dans ces derniers temps, avant
même que Pasteur s'occupât de la rage, MM.
Galtier et Duboué, avaient préparé le terrain
par d'importants travaux. »
La questian ainsi posée, M. Constantin James
va nous fan^e l'exposé des titres respectifs des
trois savants que nous venons de nommer à la
découverte de M. Pasteur.
Magendie.
«s Voici comment s'exprimait Magendie, en
1821, dans un article de son Journal de Physio-
logie expérimentale intitulé : Expériences sur
LA Rage :
« J'ai pris, sur un jeune homme atteint de la
— 53 —
rage par morsure de chien que j'avais dans une
de mes salles à l'Hôtel-Dieu, un peu de sa salive,
et ]'ai inoculée, avec mon confrère Brescliet, à
un chien, en la plaçant sous la peau du front.
L'animal est devenu enragé au bout d'un mois.
Deux chiens qui furent mordus par celui-ci de-
vinrent aussi enragés après quarante jours.
Ceux-ci mordirent plusieurs autres chiens, mais
sans aucune suite fâcheuse pour eux.
« Dans cette série d'expériences, la ragiî
s'arrêta donc d'elle-même a la troisième
génération. »)
« Ainsi voilà l'État réfractaire à la Rage
découvert et signalé par Magendie, il y a plus
de soixante ans I
» Et qu'on ne regarde pas ces expériences de
Magendie comme n'ayant eu aucune portée dans
son esprit, et étant tombées depuis lors à l'état de
lettre morte. Non ; il aimait au contraire à y re-
venir. Ainsi, pendant que Claude Bernard et moi
étions attachés à son laboratoire du Collège de
France, lui comme préparateur du cours, moi
comme rédacteur des leçons, il les répéta plu-
sieurs fois devant nous ; seulement il crut re-
marquer que l'état réfractaire était obtenu plus
sûrement à la quatrième qu'à la troisième ino-
culation.
4.
- 54 -
« C'est ce qui explique pourquoi, lorsque j'eus
plus tard l'occasion de rappeler ces expériences
à l'article : Mor,^ures de chiens enragés^ de mon
traité des Premiers soins (1), je les modifiai
dans le sens que je viens d'indiquer. Voici, en
effet, comment je m'exprimais :
« Je citerai, à propos de certaine innocuité du
virus rabique, les expériences suivantes de Ma-
gendie :
« On fait mordre par un chien enragé un
chien qui ne l'est pas ; celui-ci, au bout de qua-
rante jours, offre tous les symptômes de la rage.
On se sert alors de ce second chien pour en faire
mordre un troisième, lequel, au bout du même
temps, devient enragé à son tour. Ce troisième
chien pourra également communiquer la rage à
un quatrième; mais là s'arrête la faculté trans-
missible du virus, car aucun des animaux que
mordra ce quatrième chien ne deviendra hydro-
phobe.
« Partant de ces expériences que M. Pasteur
toutefois m'a dit n'admettre que sous toutes
réserves, et que du reste il ignorait, on peut se
demander comment la rage ne s'est pas déjà
(1) Premiers soins à donner avant Varrivée du mé-
decin, page 77. Paris, l&GS.
— 55 —
éteinte d'elle-même depuis longtemps, par épui-
sement de la vertu inoculable de son virus.
a C'est que, chez l'animal en liberté, il existe
des sources où ce virus se retrempe, chose qui
échappe à nos expériences de laboratoire »
K Voilà donc la découverte de Magendie rap-
pelée près de cinquante ans plus tard, puisque
la première édition de mon livre parut en 1868.
Quant au passage souligné qui se rapporte à M.
Pasteur, il trouve son explication dans un entre-
tien que nous eûmes ensemble au sujet de la
rage, et dont je dois dire un mot.
« Ayant été lui faire visite, le lendemain
même du jour de sa nomination à l'Académie
française, pour l'en féliciter, par conséquent le 9
décembre 1881, — les dates ont ici leur impor-
tance — la conversation tomba sur la question de
la rage, dont il commençait à peine l'étude. Je
lui demandai s'il connaissait les expériences de
Magendie ; il me répondit que non. Je les lui ra-
contai alors dans tous leurs détails, insistant sur
chacune : il y opposa la plus complète incrédu-
lité. C'est en souvenir de cet entretien et de cette
dénégation que j'insérai dans la seconde édition
de mon livre qui parut un an après, la phrase
soulignée.
« Il est vrai que plus tard M. Pasteur annon-
- 56
çait à l'Académie des Sciences (séance du 25
février 1884) qu'il possédait dans son laboratoire
des chiens rendus réfradaires à la rage au
■moyen d'inoculations successives. N'était-ce pas
reconnaître tacitement tout à la fois et la véracité
des expériences de Magendie et leur antériorité ?
« Mais laissons de côté ces questions de priorité
qui ne sauraient, du reste, faire doute pour
personne. Je me serais même abstenu de les
soulever s'il se fût agi de tout autre que de Ma-
gendie. Mais, maintenant surtout que Bernard
n'est plus, le seul avec moi qui connût « à fond »
ses travaux, je regarde comme un devoir de dé-
fendre et au besoin de revendiquer les droits de
celui dont je fus pendant plus de vingt ans — et
ce sera l'honneur de toute ma vie — le collabo-
rateur et l'ami. »
M. Galtier.
« L'Académie des Sciences, dans sa séance du
S5 août 1879, recevait de M. Galtier, professeur à
l'Ecole vétérinaire de Lyon, une note, sous forme
de Conclusions., qui débutait ainsi :
« La rage du chien est transmissible au lapin,
qui devient de la sorte un réactif commode et
inoffensif pour déterminer l'état de virulence ou
de non-virulence des divers liquides provenant
— 57 -
d'animaux enragés. Je m'en suis déjà servi à ce
titre un grand nombre de fois, pour étudier les
différentes salives et beaucoup d'autres liquides
pris sur le chien, sur le mouton et sur le lapin
enragés. »
« L'annonce de ce fait frappa d'autant plus
vivement les esprits que, non seulement il enri-
chissait la science d'une découverte nouvelle,
mais que, de plus, il rendait facile et sans danger
une étude qui jusqu'alors avait été très difficile.
Je suis peut-être un de ceux qu'elle impressionna
le plus fortement. C'est que je me rappelais les
expériences deMagendie sur la rage où nous ne
disposions que de chiens contre lesquels il nous
fallait soutenir une lutte des plus vives et que
nous ne pouvions maîtriser qu'en les garrottant,
le chloroforme n'existant pas encore, du moins
dans la pratique. Avec les lapins, au contraire,
on agit avec une sécurité d'autant plus grande
que la rage elle-même ne les fait pas sortir de
leur placidité naturelle
« Le second fait annoncé par M. Galtier est
celui-ci :
<t Non seulement le lapin est susceptible de
contracter la rage et de vivre un certain temps
après l'éclosion de la maladie, mais il est cons-
tant, d'après toutes nos expériences, que la
-~ 58 —
période d'incubation est plus courte cliez lui que
chez les autres animaux. Sur vingt-cinq cas do
rage expérimentés dans ces conditions, je suis
arrivé à une moyenne approximative de dix-
huit jours, »
« Prenons acte de ces deux faits dont, à me-
sure que nous avancerons dans ce travail, nous
verrons grandir l'importance et multiplier les
applications. »
M. DuBOuÉ.
Œ M. le docteur Duboué (de Pau) a publié,
en 1879, un traité sur la Rage (I), où il s'est
surtout proposé d'en bien fixer le siège. Dans le
compte rendu que M. Bouley en a donné à l'Aca-
démie des Sciences (séance du 25 avril 1879), il
déclare que c'est un livre aussi original que
sérieusement pensé. 11 est de fait que tout dénote
chez son auteur un rare esprit d'observation,
puisqu'il est arrivé par la physiologie seule à des
déductions d'une étonnante justesse. Voyons
comment il pose la question :
« Quand on veut dégager une inconnue à l'aide
d'une équation algébrique, ce serait folie que de
le tenter si on ne possédait pas quelques données
(i) De la Physiologie pathologique et du Traitement
rationnel de l? Rage. Pans, 1879.
— 59 —
préalables d'une parfaite exactitude. Or, nous
trouvons précisément dans la rage deux choses
d'une saisissante clarté, ce sont ; Le -point de
départ et le ■point d'arrivée.
« Quel est le point de départ? C'est une plaie
virulente du tégument externe d'un des tissus
sous-jacents.
« Quel est le point d'arrivée? C'est la mort et la
mort par le bulbe rachidien et la protubérance.
« Or, il n'est jamais, indifférent, en physiologie
pathologique surtout, de savoir d'où l'on part et
où on va. »
« Non, dirons-nous aussi à notre tour, ce n'est
jamais indifférent ; sous ce rapport, notre con-
frère a joint l'exemple au précepte. Hàtons-nous
d'ajouter que, dans la solution qu'il donne du
siège de la rage, il est tombé tellement juste que
c'est la seule aujourd'hui qui ait cours dans la
science.
« C'est donc bien réellement dans le bulbe et la
protubérance que réside le virus rabique. »
Telle est, d'après M. Constantin James, la part
contributive de chacun à la découverte de M.
Pasteur.
Voici le résumé qu'il en donne :
<t Magendie n'est pas seulement le premier en
date, il l'est de môme en importance. C'est bien
— 60 -~
lui, en effet, quia créé la méthode des « Inocula-
tions successives d'animal à animal », pour atté-
nuer et même éteindre la virulence de la rage,
inoculations qui forment la base du système de
M. Pasteur.
« M. Galtier, de son côté, a singulièrement
facilité les études sur la rage en substituant pour
les inoculations le lapin au chien, c'est-à-dire un
animal moffensif à un animal féroce, et en abré-
geant d'une manière considérable la période d'm-
cubation de cette maladie.
« Enfin, M. Duboué a localisé le premier le
siège de la rage dans les centres nerveux et dé-
montré que les nerfs sont les agents de trans-
port du virus rabique au cerveau.
« Chose aussi piquante que bizarre par ses
coïncidences ! C'est dans le courant de l'année
1879, par conséquent deux ans avant que M.
Pasteur s'occupât de la rage, que MM. Galtier
et Duboué ont exécuté leurs travaux et en ont
donné la primeur à l'Académie des Sciences,
dont précisément M. Pasteur est membre. S'il
s'agissait d'hommes moins distingués, je dirais
que leur histoire a été un peu celle de ces « pra-
ticiens » qui dégrossissent le marbre, en atten-
dant que le ciseau du statuaire en fasse sortir le
chef-d'œuvre projeté par son génie. »
Et nous aussi, si nous ne craignions de dépoé-
— 61 —
tiser cette gracieuse image de notre confrère,
nous dirions que ces praticiens qui dégrossissent
le marbre ressemblent singulièrement à des gens
qui tirent les marrons du feu pour qu'un autre
s'en régale.
Ce qui est certain, c'est que les seuls éléments
scientifiques qui peuvent être dégagés du gâchis
de l'école normale, à savoir : Vétat réjractaire
à la rage chez les animaux et le siège de la vi-
rulence clans les centres nerveux ont été décou-
verts par d'autres que M. Pasteur et que celui-
ci, qui connaissait parfaitement les travaux de
ses prédécesseurs, s'est bien gardé de les citer.
Gesontdes procédés scientifiques auxquels le pro-
fesseur de l'école normale nous a habitués depuis
trop longtemps pour que nous les trouvions ex-
traordinaires. Nous avons cependant pensé qu'il
était de notre devoir de rétablir les faits et de
rendre justice aux vrais et modestes savants qui
ont illustré la science par des travaux sérieux
sans employer la publicité charlatanesque de
l'Ecole normale.
4-
CHAPITRE III
POURQUOI LE VIRUS MOELLEUX NE
DONNE-T-IL LIEU CHEZ L'HOMME A
AUCUN PHÉNOMÈNE MORBIDE ?
Le fait qui étonne peut-être le plus les médecins
dans les recherches nouvelles de Pasteur, c'est
qu'à la suite des inoculations l'on n'observe aucun
phénomène morbide.
Ceci nous parait absolument inexplicable et
tout à fait contraire à ce que nous savons sur les
inoculations des maladies virulentes à l'espèce
humaine .
Voyez ce qui se passe après l'inoculation de la
vaccine, de la variole, du charbon, de la syphilis,
etc. , etc. .. Lorsque le sujet n'est pas réfractaire au
développement de l'affection inoculée — et certes
M. Pasteur ne peut guère invoquer limmunité
rabique de ceux qu'il inocule, car alors pourquo
leur distribuerait-il ses bouillons de culture? — •
lors donc que le sujet n'est pas réfractaire au
développement de l'affection inoculée, il se pro-
— 63 —
duit chez lui, après un laps de temps variable
suivant les cas, une série de phénomènes morbi-
des bien connus, bien étudiés. La variolisation,
la vaccination peuvent être considérées comme
les types de ces opérations vraiment médicales
qui ne suppriment certes pas totalement le mal,
mais qui préservent d'une maladie presque tou-
jours mortelle au prix d'une affection qui n'a le
plus souvent que peu de gravité.
Rien de semblable dans le traitement de la
rage tel qu'il est pratiqué à l'École normale. Le
bon sens et surtout le sens médical enseignent
qu'une maladie atténuée se traduit non par l'ab-
sence de tout phénomène morbide, mais par des
phénomènes morbides atténués. Que l'inocula
tion successive de virus de plus en plus forts ne
détermine pas, grâce à une accoutumance de
l'organisme fort peu compréhensible, je l'avoue,
les symptômes mortels de la rage, on peut à la
rigueur le soutenir, mais qu'elle ne produise
rien, absolument rien ! pas le moindre petit
symptôme rabique, pas le moindre vestige d'hy-
drophobie! voilà qui est décidément merveilleux!
Ce n'est plus de l'art médical, c'est de la prestidi-
gitation I Le grand savant ne guérit pas la rage,
il l'escamote.
Je sais bien qu'un de nos confrères allemands,
M. Ullmann, qui a travaillé six semaines au
— 64 —
laboratoire de la rue d'Ulm et qui a subi dix
inoculations ainsi que d'autres médecins, a res-
senti le premier et le second jour un peu d'abat-
tement et que les dernières injections ont provo-
qué une légère infiltration avec vives déman-
geaisons.
Les Pasto riens triompheront peut-être en lisant
cette émouvante symptomatologie ; mais j'avoue,
pour ma part, qu'elle est loin de me suffire et
que je ne saurais en rien y reconnaître des trou-
bles morbides dus au virus rabique. Qu'est ce
que cet abattement ressenti le premier et le se-
cond jour, alors que s'il est un fait bien connu
sur la rage, c'est que c'est une maladie à plus ou
moins longue incubation ? Y a-t-il là quelque
chose de sérieux, je le demande, quelque chose
qui réponde à cette question posée par tout mé-
decin vraiment digne de ce nom : « Mais dites-
nous donc ce qu'éprouvent les vaccinés ? »
Cette question que maintenant ils regardent
comme indiscrète, les élèves de M. Pasteur l'a-
vaient cependant bien posée à M. Ferran. Ils
étaient même allés beaucoup plus loin, puisqu'ils
ne s'étaient pas contentés de la symptomatologie
donnée par le médecin espagnol et avaient pré-
tendu qu'ils n'y reconnaissaient que des phéno-
mènes d'intoxication vulgaire ou de septicémie,
— 65 -
qu'il leur fallait un bon petit choléra atténué pour
qu'ils daignassent reconnaître que Ferran injec-
tait autre chose que de l'eau sale. Comment
donc ne veulent-ils pas que nous réclamions
aussi maintenant une bonne petite rage atténuée,
en miniature, oh ! pas grand'chose — nous ne
sommes pas exigeants — mais enfin quelque
chose, afin que nous puissions avoir la foi qui
sauve et nous prosterner devant le virus mira-
culeux ?
On nous traitera sans doute d'esprits obtus et
l'on nous répondra que la théorie même de la
méthode veut qu'il ne se produise aucun phéno-
mène morbide. On accoutume progressivement
l'organisme aux virus successifs de plus en plus
forts et l'on arrive ainsi à le rendre absolument
réfractaire à l'action de la rage extravirulente.
Ce ii'est plus une vaccination, c'est une Mithri-
datisatioyi ! ! Nous ne faisons plus de la micro-
biologie, mais de la toxicologie. C'est assez
risqué, au point de vue scientifique, d'assimiler
un virus à un poison végétal ou minéral. Mais
enfin, admettons le rapprochement pour qu'on
ne nous accuse point de farouche intolérance.
Je ne sais si le fameux roi d'Asie ne mettait que
10 jours pour s'habituer à tolérer sans la moin-
dre crampe d'estomac des doses hypertoxiques ;
ce que je sais, c'est qu'il ne nous viendra jamais
— 6Q —
à l'esprit d'administrer à un malade des quanti-
tés croissantes d'arsenic ou de strychnine, de
manière à lui faire prendre le dixième jour des
doses toxiques de ces substances : nous serions
trop sûrs du résultat final. Et, cependant, il s'a-
git là de substances connues, agissant directe-
ment sur l'organisme, que l'on peut régler et
conduire, tandis que dans les vaccinations rabi-
ques on est aux prises avec un virus mal défini
et dont lé microbe était encore absolument in-
connu il y a quelques semaines.
M. Pasteur a étudié l'action de ses bouillons
de culture sur le chien, c'est possible : mais ce
qui est certain, c'est qu'il ignore complètement
les effets de ces bouillons sur l'homme, puisqu'il
n'a jamais rien observé après leur administra-
tion.
Il ignore absolument, je le répète, si le pre-
mier virus qu'il injecte est capable de produire
le moindre phénomène rabique et au bout de
combien de temps et ainsi de suite jusqu'à son
dixième virus.
Sur tous ces points nous sommes dans l'obscu-
rité la plus complète, la plus absolue. On cher-
che en vain dans ses travaux sur la rage et sur-
tout dans l'application qui en a été faite à l'hom-
me, le hen scientifique qui a pu guider le pro-
— 67 —
fesseur de TEcole normale, on ne trouve qu'em-
pirisme et résultats stupéfiants.
La neutralisation d'un virus rabique déjà
inoculé par V inoculation successive non d'un
antidote, mais de virus rahiques de virulence
progressive, et tout cela sans le moindre phéno-
mène morbide, voilà le Credo qui nous est pré-
senté par l'Ecole normale. C'est le grand mystère
de la religion nouvelle. Que les dévots courbent
la tète et s'inclinent !
Pour nous, nous ne pouvons que protester : au
nom de la critique scientifique, nous réclamons
des explications, et nous avons la ferme convic-
tion, en provoquant la discussion sur ce point,
de rendre un réel service à la science française.
CHAPITRE IV
LES PERSONNES SOIGNÉES A L'ÉCOLE
NE SONT PAS ATTEINTES DE LA RAGE.
— ON NE PREND AUCUNE PRÉCAUTION
SÉRIEUSE POUR S'EN ASSURER.
Nous avons démontré combien il était difficile,
même pour un vétérinaire expérimenté, de dia-
gnostique d'une manière certaine la rage du
chien.
Nous allons établir aujourd'hui, en choisissant
quelques faits précis parmi les nombreux que
nous possédons, qu'on inocule à l'Ecole normale
des centaines de personnes qui ne sont pas enra-
gées et qu'on accepte, pour le traitement, des
individus qu'on déclare enragés sans se livrer à
aucune enquête sérieuse.
Les faits que nous allons rapporter sont d'une
authenticité absolue et nous sommes en mesure
de fournir à cet égard les renseignements les
plus positifs.
Premier fait. - Le neuf février de cette année,
— 69 —
un maréchal-ferrant de la rue Royer-Collard est
prié par une femme de la rue Saint- Jacques de
mettre à mort son chat, vieux, infirme et galleux,
mais inoffensif et nullement enragé, dont elle
voulait se débarrasser.
L'exécution eut lieu. Le maréchal-ferrant s'a-
perçut le surlendemain qu'il avait une légère
éraillure à la main. Immédiatement, effrayé par
lalecture de son Petit Journal, il se croit enragé;
il éprouve, en effet, 48 heures après lamortde ce
chat, des spasmes dans la joue. A partir de ce
moment, il dit qu'il est enragé, ne dort plus et
est en proie à des terreurs continuelles.
Le 27 février, il se rend à l'Ecole normale sans
aucune attestation de vétérinaire et déclare qu'il
a été mordu par un chat enragé. Sans autre pré-
ambule ni information, il est inoculé et reçoit les
dix bouillons classiques du 27 février au 9 mars.
Le 30 mars suivant, éprouvant toujours les
mêmes symptômes spasmodiques, en proie aux
mêmes terreurs et à la même insomnie, il se
décide (il aurait pu commencer par là) à consul-
ter son médecin, qui lui prescrit très judicieuse-
ment des douches froides. Une amélioration est
obtenue, mais comme elle n'est pas suffisante,
notre confrère administre en outre 4 grammes
par jour de bromure de potassium. A partir de
— 70 —
ce moment, l'amélioration se manifesta et les
accidents cessèrent presque complètement.
Interrogé par son médecin et par un professeur
consultant à l'effet de savoir s'il avait déclaré à
M. Pasteur avoir éprouvé les symptômes de la
rage, il répondit: « Je m'en suis bien gardé, il ne
m'aurait pas inoculé. »
Le beau-père, homme sensé et pratique, qui
avait assisté à l'exécution du chat, a déclaré que,
non seulement son gendre n'avait pas été mordu,
mais qu'il n'avait pas été égratigné et que d'ail-
leurs,eùt-il été égratigné, le chat n'était ni malade
ni enragé.
Deuxième fait. — Un étudiant en droit à la
Faculté de Montpellier, également hanté par le
spectre de la rage à la suite des lectures des jour-
naux politiques qui en parlent avec une telle
insistance, se croit enragé. Il prend le train et se
rend immédiatement rue d'Ulm où, sans aucune
espèce d'enquête ni de certificat, il est immédia-
tement inoculé. Le lendemain, inoculation du
bouillon n° 2. Ce même jour l'étudiant se décide
à déclarer qu'il n'est pas sur d'avoir été mordu,
mais qu'il a simplement rêvé l'avoir été. On
cessa les inoculations et on le considéra comme
un aliéné. C'est par là qu'on aurait dû commen-
cer avant de l'inoculer. En effet, cet étudiant,
— 71 —
examiné depuis pardeux spécialistes, fut reconnu
comme étant simplement atteint du délire des
persécutions. 11 a même raconté à ses consul-
tants « qu'il avait rêvé être mordu par un mor-
ceau de chien enragé ».
Nous rapportons ce fait pour démontrer avec
quelle légèreté les inoculations sont pratiquées
chaque jour à l'Ecole normale.
Troisième fait.— Mademoiselle X. voit mourir
son chien de maladie. Elle se rappelle que dans
les derniers jours de sa vie le pauvre animal
l'avait léchée. Prise de peur à la suite de la
lecture de son journal, elle se croit menacée de
la rage et se rend à l'École normale où elle est
immédiatement inoculée en même temps que son
palefrenier qui s'était dit : « Si mademoiselle
est enragée, je pourrais bien l'être aussi, puisque
j'ai été également léché. » Il va sans dire que ces
individus furent inoculés comme les précédents
et sont venus grossir la liste des 1,500 individus
arrachés à une mort certaine.
Quatrième fait. — J'emprunte ce fait au
Temps, organe officiel des paslorieos. On lisait
dans le numéro du 8 mars :
a Parmi les personnes que traite en ce moment
— 72 -
M. Pasteur à son laboratoire de la rue d'Ulm, se
trouve M. Emile Monestier., rédacteur au Petit
National. M. Moiiestier a été mordu, jeudi der-
nier, à onze heures du soir, par un chien qui
s'est précipité sur lui dans la rue du Bouloi, et
qui, après lui avoir enfoncé profondément ses
crocs d^ns la cuisse, a pris la fuite. Le rédacteur
du Petit National a subi, hier, sa première ino-
culation rabique. »
Ainsi voilà un individu qui a été inoculé sans
que rien ait prouvé que le chien qui l'a mordu
était enragé.
Il est vrai que le même journal, le Temps.^
écrivait dans le numéro du 15 mars :
« M. Emile Monestier qui fut récemment
mordu par un ckien enragé a pu continuer ses
travaux comme à l'ordinaire ; il se rend chaque
matin au laboratoire de M. Pasteur pour y
suivre le traitement prescrit et il a constaté que
les inoculations qui ne durent pas plus d'une
demi-seconde, ne sont jamais douloureuses. »
Ainsi voilà comme on écrit l'histoire à l'Ecole
normale. Le chien, qui était inconnu le 8 mars,
était déclaré enragé le 15.
Cinquième fait. — En juillet 1886, un méde-
cin du corps de santé qui habite une ville du
midi est venu se faire traiter à l'Ecole normale
dans les conditions suivantes :
— 73 —
La femme de notre- confrère avait été mordue
au doigt par un petit chien d'appartement très
inoffensif avec lequel elle avait l'habitude déjouer
fréquemment.
Huit jours après l'aaimal présentant une ap-
parence insolite, on envoie chercher un vétéri-
naire.
A peine celui-ci fut-il entréque le chien se jeta
sur lui et le mordit au bas de la jambe sur son
pantalon et ses bottes qui ne furent en aucune
façon lacérés.
Il n'en fallut pas davantage ; il fut déclaré en-
ragé, condamné et exécuté séance tenante.
C'est alors que les faits deviennent intéres-
sants et instructifs.
Aussitôt le médecin militaire se rappela, non
sans effroi, que le chien lui avait souvent léché
les mains. Il examina avec anxiété sonépiderme
et n'y constata aucune espèce d.'éraillure.
De son côté, lebrosseur se rappela également
avoir été léché sur les mains ; il conçut les mê-
mes inquiétudes et crut apercevoir sur ses mains
quelques petites gerçures. Celles-ci furent immé-
diatement cautérisées, bien que rien ne démon-
trât que le chien l'eût jamais léché sur les gerçu-
res si fréquentes sur la main d'un brosseur.
Un conciliabule eut lieu entre les quatre parties
intéressées (le médecin, sa femme, le vétérinaire
— 74 —
et le brosseur) et on résolut de partir pour Paris
pour se faire traiter par le maître.
Il n'est pas besoin dédire que ces quatre clients
furent acceptés à l'Ecole normale et soumis aux
inoculations réglementaires.
Ainsi, voici comment on recrute les clients,
voici les garanties qui sont demandées aux affo-
lés qui se précipitaient en foule rue d'Ulm.
Quelles sont, dans ce cas, les preuves qu'on
pourrait fournir à l'appui de la rage chez le chien
incriminé ? Le seul symptôme morbide qu'eût
présenté cet animal consiste à avoir mal accueilli
le vétérinaire. Il n'en faut pas davantage pour
que toute la famille se croie atteinte, y compris
ceux qui n'avaient pas été mordus.
Sur ces quatre personnes, une seule avait été
mordue par un animal qui semblait parfaite-
ment sain et ne présenta quelques symptômes
insohtes que huit jours plus tard.
Et voilà comment on recrute les clients dont
l'agglomération constitue les 3,000 enragés de
l'Ecole normale !
Nous abuserions de la patience de nos lecteurs
si nous rapportions tous les faits de nature à
démontrer qu'on inocule à l'Ecole normale des
centaines d'individus qui ne sont pas enragés^
C'est certainement le cas de dire : ah uno disee
otnnes.
— 75 —
Je ne ferai certainement pas un crime à M.
Pasteur d'inoculer ses dix bouillons aux indivi-
dus qui n'ont point de mal et de leur donner
ainsi une assurance morale qui ne peut qu'être
utile. Mais ce que je reproche au grand chimiste,
c'est de déclarer, par les circulaires qu'il adresse
chaque jour au Figaro, que les 3,000 individus
qui ont passé à l'Ecole normale ont été arrachés
à une mort certaine. Il y a là un manque de
bonne foi et d'exactitude scientifique qui est de
nature à jeter le plus grand discrédit sur les
procédés employés à l'Ecole normale.
Nous examinerons plus loin les questions rela-
tives à la mortalité de la rage et les faits qui
peuvent expliquer l'énorme affluence des enra-
gés pendant ces six derniers mois. Nous exami-
nerons par quels prodiges de publicité et de
réclame l'école pastorienne est arrivée à faire de
la rage une maladie à la mode. Pourquoi le
nombre des enragés, qui avait été de 12 pen-
dant le dernier trimestre de 18S5, s'est subite-
ment élevé à 1,500 pendant le premier trimestre
de l'année 1886.
CHAPITRE V
FRÉQUENCE DE LA RAGE.
Nous avons déjà donné dans l'introducliou
(voir page 25) quelques notions sur la fréquence
de la rage dans divers pays.
Les documents officiels que nous reprodui-
sons montrent que la rage est d'une grande
rareté en France.
On sait qu'en Orient, où les chiens errants ne
sont l'objet d'aucune surveillance, la rage est à
peu près inconnue.
Les statistiques de tous les pays démontrent
que le nombre des victimes que fait la rage est
extrêmement minime. D'après les statistiques
présentées par le D'' Frisch à la Société des mé-
decins de Vienne, la rage a fait en Autriche, de
1879 à 1885, 13, 8, 5, 7, 2 et 10 victimes. En
Prusse, où le seul traitement prophylactique
consiste à museler les chiens, il y a eu dans les
cinq dernières années 10, G, 4, 1 et 0 personne
ayant succombé â la rage. On le voit, l'hydro-
— 77 —
phobie occupe une place peu impoi tante dans
notre pathologie, surtout si on la compare à la
phthisie, à la diphthérie, à la variole.
FRÉQUENCE DE lA RAGE EN FRANCE.
En France, sur l'initiative du comité consul-
tatif d'hygiène, une circulaire ministérielle en
date du 17 juin 1850, prescrivait une enquête
générale sur la rage. Depuis lors, de nombreuses
circulaires ont rappelé la première et l'enquête
résumée dans cinq rapports de Tardieu et un de
Bouley nous donne une idée exacte de la fré-
quence de la rage et de sa répartition sur le ter-
ritoire français.
11 y a eu en France :
En 1850 27 cas de mort
— 1851 12 —
— 1852 46 —
— 1853 37 -
— 1854 21 —
— 1855 21 —
— 1856 20 —
— 1857 13 -
— 1858 17 —
— 1859 19 —
— 1860 14 —
A reporter. , 247 —
— 78 —
Report 247 cas (le mort.
En 1861.., 21 —
— 1862 26 —
— 1863 49 —
— 1864 66 —
— 1865 48 —
— 1866 : 64 —
— 1867 37 —
— 1868 ,... 56 —
— 1869 36 —
.- 1870 6 —
— 1871 14 —
— 1872.. 15 -
Total 685 cas de mort
en 23 ans ou 30 par an en moyenne.
Ainsi, d'après les chiffres empruntés à Brouar-
del, et dont personne n-e conteste l'authenticité,
de 1850 à 1872 la moyenne des cas de mort
par hydrophobie a été de vingt-sept. En 1851, il
y en a eu douze ; en 1857, treize ; en 1860, qua-
torze ; en 1870, six ; en 1871, quatorze ; en 1872,
quinze.
En s'appuyant sur ces chiffres, il est donc
établi que dans certaines années, le nombre
des cas de mort par la rage peut s'abaisser à
six, et cela, bien entendu, avant l'avènement de
M. Pasteur. Or, si l'on considère que, pendant
un an 5 c'est-à-dire, depuis l'invention de l'admi-
— 79 —
rable découverte, il s'est produit en France trente
décès rabiques, on verra que le traitement pas-
torien n'a pas eu une grande influence sur cette
maladie dont la mortalité est, d'ailleurs, très
faible.
FRÉQUENCE DE LA RAGE CHEZ LES ENFAMTS.
Au-dessous de 5 ans 24
de 5 à 15 ans 88
de 15 à 20 — 36
de 20 à 30 — ....: 53
de 30 à 60 — 164
de 60 à 90 — 31
Ce tableau fait ressortir, d'après Bouley, ce
fait intéressant que le plus grand nombre des cas
de morsures correspond à l'âge de l'imprévoyance,
de la faiblesse et surtout de l'âge des jeux et de
la taquinerie. Bien des chiens, sous le coup de
la rage, épargneraient les enfants auxquels ils
sont familiers, s'ils n'étaient poussés à bout par
les harcèlements continuels auxquels les enfants
se livrent d'autant plus volontiers, que ne re-
connaissant pas dans le chien avec lequel ils
jouent, son humeur habituelle au moment des
premières manifestations de l'état rabique, ils
sont déterminés, par là, à l'exciter davantage.
D'un autre côté, cette si grande proportion
_ 80 ^.
d'enfants mordus s'explique par le nombre plus
grand des chances qu'ils courent d'être atteints
par des chiens errants dans les rues des villes ou
des villages, où ces enfants se trouvent si com-
munément réunis en groupes pour se livrer à
leurs jeux.
Il est également important de rechercher l'es-
pèce de l'animal qui a fait la morsure. (Enquête
du comité d'hygiène, 1850 à 1872.)
Chien 655
Loup 38
Chat 22
Renard - 1
Vache 1
"tïT
COMBIEN d'individus MORDUS DEVIENNENT
ENRAGÉS.
Il est non moins important de rechercher com-
bien, sur une quantité donnée d'individus mor-
dus, il en meurt de la rage.
La statistique suivante empruntée à M. Le-
blanc, nous donne un aperçu de la question et
prouve surabondamment que les individus mor-
dus par des chiens enragés ne deviennent pas
nécessairement enragés.
— 81 —
« Sur trente-six individus de sexe et d'âge
différents, dit Leblanc {Documents -pour sercir
à l'histoire de la rage, Paris 1873), mordus par
des cliiens enragés morts sous mes yeux, trente
et un n'ont présenté aucun symptôme de rage et
cinq ont succombé. Le siège de la blessure fai-
te sur des parties nues et l'absence de cautéri-
sation ont été constatées dans ces derniers cas.
Cependant, parmi ceux dont l'issue n'a pas été
funeste on remarque des blessures faites à la
main et non cautérisées.
DURÉE DE l'incubation.
L'enquête du comité d'hygiène de 1862 à 1872
portant sur cent soixante-dix cas, montre qu'a-
près la morsure, les accidents rabiques se sont
déclarés :
Avant le 15e jour 8 fois
Du 15e au 20'! 6 «
Du 20& au 30s 94 ,
Du 30e au 40e 26 »
Du 40e au 50-3 29 »
Du 50= au 60° 19 .
Du G0« au 703 H »
Du 70e au 80e 9 ,
Du 80e au 90° . 15 »
Du. 90e au 100° 6 ,,
Du 100e au UOe.., 4 »
5*
— 82 •
Du 110e au 120e 1 fois.
Du 120"» au 130e 4 »
Du 130e au 140-= 1 »
Du 140'= au 150e 1 »
Du 150« au 160e 3 »
Du 160e au 170e 0 »
Du 170e au 180e 1 ,
Du 180e au 190e 0 \
Du 190= au 200" 0 »
Du 200« au 210° 0 y>
Du 210e au 220'= 1 »
Du 220e au 230e 0 »
Du 230= au 240e 1 »
Soit:
lei' mois de là 30 jours... . 38 fois
2e _ de 30 à 60 —..,., 74 »
3e — de 60 à 90 — 35 »
4e _ de 90 à 120 — 11 »
5e _ de 120 à 150 — 6 »
6e _ de 150 à 180 — 4 »
7-^ - de 180 à 210 — ft »
8« — de 210 à 240 — 2 »
En sorte que sur cent soixante-dix cas, cent
quarante-sept fois la rage s'est déclarée dans les
trois premiers mois qui ont suivi la morsure et
vingt-trois fois à une époque plus éloignée. D'a-
près ces documents, la rage n'a pas paru plus de
huit mois après la morsure.
— 83
Le dépouillement des observations publiées
par des médecins donne des chiffres très compa-
rables aux précédents :
1er mois 16
2e
3e
5=
6"
41
16
10
4
4
7e mois
3
8e -
9e —
.... 0
0
1Û« —
15e _
1
1
18= —
.... 1
LES MEDECINS OBSERVENT TRÈS RAREMENT
LA. RAGE.
Les articles critiques que nous avons publiés
sur le Traitement de la rag<i ■par la rtiéthode
Pasteur et les questions adressées au professeur
de l'Ecole normale nous ont valu un très grand
nombre de lettres. Nous remercions sincèrement
les confrères qui ont bien voulu, en nous -four-
nissant des renseignements cliniques, nous en-
courager ainsi à continuer la campagne que nous
avons entreprise contre l'intolérante et puissante
coterie qui, des hauteurs de l'Ecole normale,
voudrait imposer à l'Ecole clinique des procédés
qui répugnent à la fois au sens médical et à la
dignité professionnelle.
La plupart de nos correspondants ont été, com-
me nous, frappés du nombre énorme de 1,^00
enragés arrachés à la mort par M. Pasteur. Nous
— 84 —
publions aujourd'hui quelques lettres qui s'élè-
vent, au nom du simple bon sens, contre les as-
sertions hyperboliques du professeur de l'Ecole
normale et que nous pouvons grouper sous ce
titre : Fréquence de la Rage.
Gournay, 8 juin 1886.
J'exerce la médecine à la ville et à la en mpagne depuis
bientôt 30 ans (septembre 1856). Il m'a été donné de
voir et d'observer beaucoup de choses pendant ce long
exercice dans une clientèle nombreuse et très variée.
Or, bien que j'aie donné mes soins à un assez grand
nombre de personnes mordues par des chiens, les uns
reconnus enragés, les autres passant pour l'être et sur
lesquels je n'ai pu être renseigné, je n'ai observé qu'un
cas de rage et encore m'a-t-il fallu aller dans le dépar-
tement de l'Eure, à 25 kilom. de Gournay, ma rési-
dence. J'ai bien entendu parler de 2 ou 3 autres cas,
mais je ne les ai pas constates moi-même. Peut-être
convient-il d'attribuer cette rareté exceptionnelle de la
rage dans nos contrées à l'influence d'un pasteur
connu dans un rayon peu étendu, n'ayant pas la presse
à sa disposition, visité seulement par les commères du
pays et qui est célèbre, en Normandie et en Picardie,
depuis plus d'un siècle (l'aïeul, le père et le fils ne fai-
sant dans l'esprit du public qu'un seul berger) sous le
nom modeste d'homme du Gallet.
Toutes les bêtes mordues (hommes ou animaux)
lui sont conduites et pas une ne devient enragée. A
quel traitement a-t-il recours, quel genre d'inoculation
— 85 -
pratique-t-il ? Je n'en sais rien, ne l'ayant jamais vu
opérer. 11 se contenterait, m'a-t-on dit, de la simple
apposition des mains. Elles ont une vertu, telle, ses
mains, qu'il lui sufCt d'en tendre une vers un troupeau
de bestiaux ravagé par un chien enragé pour que tous
les animaux mordus, ceux-là seulement, viennent vers
lui et il les renvoie guéris delà rage présente et préser-
vés de toutes les rages futures. Jugez si cet homme ne
devrait pas être plus connu. Il joint à sa propriété an-
tirabique une modestie excessive et un désintéressement
peu commun. Je suis convaincu que dans notre pays les
braves gens mordus par des chiens enragés continue-
ront encore longtemps à l'allei' trouver de préférence à
tout autre, avec cette pensée qu'il guérit toujours aussi
bien et qu'il ne fait jamais de mal.
Voilà, Monsieur, ce que j'ai vu de la rage depuis 30
ans dans le pays de Bray.
Veuillez agréer, etc.
Dr Ch. DUVÀL,
Membre du Conseil Général de la Seine-Inférieure.
Saint-Céré (Lot).
J'exerce la médecine à Meyssac(Gorrèze) et plus tard à
Saint-Céré (Lot) depuis 33 ans : je voyage assez réguliè-
rement, dans un rayon de SO à 30 kilomètres autour
de ma résidence.
J'ai la certitude qu'il y a eu assez souvent autour de
moi des chiens liydrophobes qui ont même communiqué
la rage à une vache, une autre fois à un taureau, mais
bien souvent à d'autres chiens ; il ne se passe guère
d'années sans que la municipalité se voie dans la néces-
site d'ordonner d'abattre les bêtes mordues et de muse-
ler les chiens qui doivent paraître dans les rues. Cinq
ou six fois j'ai eu à cautériser des plaies faites aux
mains ou aux bas des jambes par des chiens crus enra-
gés. 11 ne m'a jamais été donné d'observer un cas de
rage humaine.
Faut-il vous raconter que dans nos contrées les sujets
mordus (bourgeois ou paysans) ne manquent pas de se
rendre chez un empirique des environs de Souillac
Lot) pour y manger (comme moyen préventif) une
omelette que l'on prétend faite avec de la poudre d'huî-
tres mâles !
Je crois pouvoir attribuer à ce fait le petit nombre de
sujets que mes confrères et moi avons à cautériser.
Agréez, etc.
D'' Brun.
J'ai l'honneur de vous informer que j'ai exercé la mé-
decine pendant vingt ans en ville et dans mon service
d'hôpital (je suis médecin en chef de l'hôpital civil d'Au-
xerre) et que je n'ai jamais observé dans ma pratique
personnelle un seul cas de mort par la rage confirmée
consécutive à la morsure d'un chien.
Agréez, etc.
D"^ Drouin,
à A'ixerre.
J'ai exercé la médecine pendant 42 ans en ville et dans
mon service d'hôpital (pendant 33 ans) ; je n'ai observé
dans ma pratique personnelle ou dans celle de mes con-
frères aucun cas de mort par la rage confirmée, consé-
cutive à la morsure d'un animal. J'ai 70 ans, j'ai fait et
— 87 —
je fais encore beaucoup de clientèle, je n'ai jamais vu
un seul cas de rage, quoique j'aie eié appelé à donner
des soins à de nombreuses personnes mordues par des
animaux déclarés enragés (chiens et chats) par des vété-
rinaires des plus autorisés. D'' X.
Monsieur et honoré Confrère,
Je reçois à l'instant le n» 13 du Journal de médecine
de Paris renfermant, entre autres articles, la nécrolo-
gie des individus qui, ayant été mordus par des loups,
par des chiens ou par des chats, et traités (1) par M.
Pasteur ou ses complices, n'ont pas été préservés de
la rage, malgré les affirmations du maître. Il est vrai
que tous ceux qui sont restés indemnes sont comptés à
l'actif de ce qu'oa appelle la méthode ; quant à ceux
qui sont atteints, il y a toujours une excuse à l'usage
des crédules : ainsi, l'homme de Grenoble était un ivro-
gne ; l'inoculation devait échouer (il est vrai qu'on n'a
inventé cette excuse phénoménale qu'à la mort) j les
parents du jeune homme de Dordrecht ne connaissaient
que la langue hollandaise ; ils n'auront pas compris
les instruciions qu'on^leur a données en français ; d'où
inexécution des prescriptions et mort de l'inoculé.
Quant à la petite Peltier, de Paris, l'institutrice de la
rue Saint-Benoit, que j'ai vue, m'a affirmé que M. Pas-
teur avait dit, après le traitement : « Il n'y a plus au-
cuti danger, vous pouvez la renvoyer en classe. «
L'institutrice a refusé de la reprendre ; 4 jours après
elle était atteinte de la rage et mourait en moins de 36
heures. Alors M. Pasteur déclara qu'il avait commencé
— 88 —
le traitement trop tard ; et, chose curieuse ! les parents
défendent énergiquement M. Pasteur.
Que de luttes j'ai soutenues déjà oonlre Tengouc-
ment incroyable da public, même médical, qui accepte
comme inlailliblc (et démontré tel), celte pratique con-
sistant à ajouter, pour préserver de la rage, un peu de
virus rdbique à celui que l'animal a déjà inoculé par
sa morsure ! Mais quand je considère le culte que l'on
rend à feue Mme Paillasson sous le nom de Notre-Dame
de Lourdes, je me dis que la bêtise humaine, la crédu-
lité ignorautc, n'ont pas de limites et sont les seuls
agents sur lesquels comptent les thaumaturges de la
rue d'Ulm, ainsi que ceux de Lourdes. Comment se
fait-il que l'Académie de médecine, si sévère envers
les autres remèdes secrets, se montre si bienveillante
pour celui-ci ? Comment se fait-il que mon ex-collègue
d'internat Peter, qui avait entrepris une louable cam-
pagne contre ec charlatanisme, ait donné seslôfr. pour
l'institut Pasteur {Officiel du 20 septembre) ? Est-ce
qu'il aurait, lui aussi, trouvé son chemin de Damas? Je
ne puis le croire, et je me propose de l'interroger à ce
sujet.
Véritablement, M. Pasteur cst^ devenu le fondateur
d'une religion, et ses adeptes sont des fanatiques aussi
intolérants que les sectaires des autres cultes ; je m'en
aperçois à chaque instant à la Chambre, où les Paul
Bert de tous les déparlements me traitent en profane,
en impie, et ne seraient pas fâchés de voir allumer à
mon usage une foule de bûchers. Pensez-donc : oser
élever des doutes sur une affirmation de M. Pasteur !
De plus, j'ai publié il y a 2 ans environ, dans le Jouf
— 89 —
nal de médecine de Laborde, une protestation contre la
communication louangeuse faite à l'Académie de mé-
decine, par Dujardin-Beaumetz, sur des expériences de
désinfection faites en ma présence à l'hôpital Coctiin, à
propos du choléra, sur les microbes du charbon, de la
tuberculose et de la maladie des poules,... et rien du
choléra. Enfin, dans plusieurs circonstances, à la
Chambre des députés, je me suis élevé contre cet en-
goûment pour les affirmationssanspreuvesd'un homme,
contre les expériences peu sérieuses, point concluantes
qu'il donne comme des axiomes ; contre ces principes
posés : tout chien qui mord est enragé ; tout homme
mordu deviendra enragé, qui sont la base du traite-
ment préventif. Bochefontaine, pour démontrer qu'il
était certain de la non contagion du choléra, inoculait
sur lui-même des liquides de l'intestin des cholériques
et même en avalait ; M. Pasteur a-t-il assez de certi-
tude sur l'excellence de sa méthode (!) pour se faire
mordre par un chien véritablement enragé et se traiter
ensuite ?
J'admire les chiffres publiés par son entourage :
quand, il y a quelques années, on ne constatait que de
40 à 10 mordus par des chiens certainement enragés,
sur lesquels 1/9 ou même 1/10 devenaient enragés, je
frémirais — si j'étais un partisan du Pastor asinorurn—
en considérant que depuis 10 mois il y a eu en France
2,503 individus mordus par des chiens qualifiés enragés.
Il est vrai que l'on tue aussitôt l'animal qui a donné le
coup de dent et qu'on se donne bien garde de l'en-
fermer pour savoir ce qu'il deviendra. — Pendant une
pratique médicale à la campagne, s'étendantà 14 ou 15
-- 90 —
villages, où les chiens, très nombreux, sont en toute
liberté, j'ai souvent traité des morsures de chiens et de
chats ; je n'ai pas été une seule fois appelé pour
une morsure de chien ou de chat enragé. Et dans
mon département non plus que dans la Côte-dOr et
la Haute-Marne, limitrophes d'Essoyes, j'affirme que
pendant ces 20 ans il n'y a pas eu un seul êlre hu-
main mordu par un animal enragé. Il est vrai qu'on
parait aujourd'hui vouloir rattraper le temps perdu ;
une morsure fait aussitôt penser à la rage, et deux per-
sonnes d'Autricourt (Côle-d'Or), village voisin d'Es-
soyes, sont allées récemment implorer le secours du
Dieu. — Dans l'Yonne, mon pays d'origine, on conduit
les chiens mordus à Mezilles, canton de Saint-Fargeau;
le sonneur fait rougir au feu la clé de l'église, l'appuie
sur le front de l'animal, qui est certainement préservé
delà rage, aussi bien, du moins, que par le virus atté-
nué. Tout récemment, la condamnation, en Savoie,
d'un rival gênant de M. Pasteur nous a révélé l'exis-
tence du gâteau antirabique.
Pardonnez -moi la longueur de cette lettre qui ne
manquera pas de vous ennuyer ; mais je serais inta-
rissable quand je m'attaque à de telles monstruosités.
Je vous en dirai de belles, si vous le voulez, quand je
serai rentré à Paris, et je vous donnerai l'appréciation
de M. de Saint- Vallier, appréciation très juste et faite
en termes exquis.
Croyez, je vous prie, à .nés ineîlleuïfS sentiments*
D-" MicHoUj
Disputé de l'Aubôi
— 91 —
RARETE DE LA. RAGE.
rcrmettez-moi d'apporter, aussi, à mon tour, ma
petite pierre à l'édifice que vous avez entrepris, poussé
par la logique et l'intérêt delà vérité, contre les ino-
culations antirabiques de M. Pasteur. Comme vous,
Monsieur, depuis déjà longtemps, j'avais des tendances
à protester contre l'engouement de la presse politique
pour ce qu'elle appelle la guérison de la rage. Mais
qu'aurait pu la protestation d'un humble médecin de
campagne, d'un pygmée contre l'aigle dont la réputa-
tion plane sur les deux hémisphères ? Néanmoins,
enhardi par les exemples déjà nombreux de vos corres-
pondants, je viens vous dire, aussi, que, exerçant dans
le Lot-et-Garonne depuis près de 40 ans, j'ai eu bien
des fois l'occasion de voir des individus mordus par des
chiens, quelquefois par des chats bien et dûment enra-
gés. Je les ai cautérisés soit avec le nitrate d'argent,
soit avec l'acide phénique, soit avec la teinture d'iode,
très rarement avec le fer rouge. Les uns peu après
l'accident, d'autres au bout de 24 et même 48 heures,
et je n'ai jamais vu survenir un seul cas de rage. Je
suppose que mes confrères de la contrée ont dû, comme
moi, avoir eu leur bonne part d'individus mordus et
j'affirme n'avoir jamais entendu dire qu'un seul cas de
rage se soit présenté dans un rayon de 40 lieues et plus.
Quand il est question de rage on se rabat encore sur
un cas qui aurait eu lieu dans notre région, il y a plus
de 80 ans, chez une demoiselle qu'on étouffa entre deux
matelas. De sorte que sans être aussi affirmatif que votre
— 92 —
correspondant,le Vieux vétérinaire (1), je ne serais pas
éloigne' d'adopter sa doctrine et considérer ce qu'on
appelle la rage comme une espèce de tétanos auquel je
l'avais déjà, in petto, comparée depuis long-temps en
cherchant, surtout, à me rendre compte de la façon
dont se transmet le virus de la circonférence au centre
et ne pouvant faire introduire dans ce cas que la lésion
nerveuse locale qui un peu plus tôt un peu plus tard,
sous l'influence de la douleur et, surtout, de la crainte
et de la surexcitation morale provoque les accidents
nerveux qui constituent la rage comme ils constituent
le tétanos.
J'ai vu, dans ces dernières années,, un industriel qui,
dans une chute de plusieurs mètres] de hauteur, se frac-
tura les 2 malléoles du pied droit avec une large ouver-
ture de l'articulation tibio-tarsienne à travers laquelle
sortirent les extrémités du tibia et du péroné. Je pro-
posai l'amputation immédiate à laquelle se refusa le
malade. Devant ce refus, je me décidai à lui appliquer
un bandage par occlusion, c'est-à-dire le bandage de
l'entorse un peu élevé sur la jambe, collodionné, phéni-
qué, etc.
Pendant neuf jours le malade alla parfaitement ; pas
de suintement, pas de fièvre, pas d'odeur ; je croyais à
un succès certain, lorsque, tout à coup, après un ébran-
lement nerveux occasionné, la veille au soir, par une vive
contrariété et aussi par les préoccupations inévitables
(1) Nous publions plus loin une lettre d'un vieux vété-
rinaire qui contient de curieuses observations sur la
rareté de la ra^e.
— 93 —
que causait au blessé le chômage de son industrie, il
fut pris de trismus et ensuite de convulsions dans la
gorge et les voies respiratoires et mourut étouffé dans
les 36 heures sans pouvoir avaler ni salive ni liquides.
S'il eût été mordu- par un chien, nul doute que cette
affection eût été prise pour un cas de rage.
Je vous autorise, à faire de cette communication
l'usage que vous voudrez bien dans l'intérêt de la
science et de la vérité. Dans tous les cas, je reconnais
que si la pratique de M. Pasteur n'a pasd'autre efficacité,
elle a, jusqu'à présent, celle de rassurer les malades
qui viennent réclamer ses soins, et c'est beaucoup.
Il est à souhaiter qu'elle n'ait pas de plus grands in-
convénients que l'omelelle traditionnelle.
Agréez, etc.
D'' GiPOULou.
Libos, 28 juinl88ô.
CHAPITRE VI
LA RAGE DU CHIEN.
Nous avons énoncé, dans un précédent chapi-
tre, les principales objections qui se présentent
nécessairement à l'esprit de tout médecin en pré-
sence des miracles opérés chaque jour à l'Ecole
normale où le nombre des enragés augmente
dans d'effroyables proportions et approche au-
jourd'hui le chiffre énorme de 3,000.
Cette excessive et soudaine élévation du nom-
bre des rabiques nous avait amené à poser à Fil-
lustre chimiste une question qui ne s'était peut-
être pas présentée spontanément à son esprit :
Pourquoi tant d'enragés ? Êtes-vous sûr que les
chiens qui ont mordu vos 3,000 clients étaient
vraiment atteints de la rage ?
C'est en étudiant ce second point que nous
avions ém.is l'opinion que la rage était encore,
même chez le chien, une maladie mal définie et
qu'il n'existait aucun signe anatomique certain
pouvant prouver qu'un chien est vraiment ai-
teint de la rage.
— 95 —
Cette affirmation nous a valu plusieurs déné-
gations de la part de vétérinaires distingués.
Nous devons donc répondre à nos confrères de
l'art vétérinaire et, au risque d'entraîner nos lec-
teurs dans une discussion un peu technique, nous
allons nous efforcer, par une longue incursion
dans le domaine vétérinaire, de démontrer que :
L'étiologie et la symptornatologie de la rage
sont encore mal définies chez le chien et chez la
plupart des autres animaux.
L'autopsie ne révèle aucun signe anatomiqiie
se rattachant particulièrement à cette affection,
La grande majorité des chiens qui ont mordu
les 3,000 malades de l'Ecole normale ont été
déclarés enragés sans qu'aucune preuve incon-
testable ait permis d" étahlir cette assertion.
Nous allons nous adresser, pour établir notre
démonstration, aux auteurs les plus autorisés
de l'art vétérinaire, et notamment à Bouley, dont
l'article Rage occupe plus de 200 pages du Dic^
tionnaire de Dechambre, à M. Watrin et à
M. Signol, notre distingué collègue de la So-
ciété de médecine de Paris.
Avant d'aborder Isi symptomatologie de la rage
du chien, nous dirons quelques mots de la viru-
lence^ de la spontanéité de Vincubation et de l'é
tiologie.
SIÈGE DE LA VIRULENCE.
Sur ce premier point, les auteurs sont loin d'ê-
tre d'accord. Alors ciu'il est généralement admis
aujourd'hui que le siège de la virulence réside
dans les tissus des nerfs et du cerveau, fait qui a
été établi par Duboué, de Pau (et non par M.
Pasteur), les auteurs vétérinaires considèrent gé-
néralement la salive comme le seul véhicule du
virus rabique.
« En défmitive, dit Bouley. ce qui ressort de
tous les faits observés et de toutes les expérien-
ces qui ont été faites, c'est que la salive surtout
est virulente, aussi bien dans les glandes qui la
sécrètent que dans la cavité buccale : et même
ces faits, comme ces expériences, semblent dé-
montrer que c'est dans la salive exclusivement
que résident les propriétés virulentes. Toutefois,
rappelons-le bien, à l'égard de la deuxième par-
tie de cette proposition il faut se tenir dans une-
certaine réserve qui est commandée par les quel-
ques cas où l'inoculation du sang est signalée par
les expérimentateurs comme ayant donné lieu
à des manifestations morbides d'ordre rabique
(Gohier et Hertwig) ou s'en rapprochant (Eckel
et Lafosse). » (1)
(1) Dictionnaire des sciences médicales, art. Rage.
— 97 —
En ce qui concerne la virulence, il est bon de
rappeler que Rossi,de Turin, avait déjà affirmé,
en. 1820, que les nerfs partageaient avec la salive
la propriété de communiquer la rage.
Mais Bouley n'a jamais admis ce fait et se
trouvait en désaccord complet avec les Pastoriens
lorsqu'il disait « que ces faits doivent être consi-
dérés comme exceptionnels ». Chacun sait, en
effet, que les inoculations se font à l'école nor-
male non pas avec la salive de l'animal enragé,
mais avec sa moelle.
SPONTANEITE DE LA RAGE.
Les mêmes divergences existent chez les au-
teurs vétérinaires en ce qui concerne la sponta-
néité de la rage. Alors que Bouley et l'école pas-
torienne la nient absolument, M. Leblanc a ac-
cumulé un nombre considérable de faits qui en
démontrent la possibilité. Ce qui est certain, c'est
que la rage est inconnue encore aujourd'hui
dans plusieurs contrées.
D'après Azara, cette maladie serait inconnue
sur le versant oriental des Andes ( Voyage dans
l'Amérique méridionale , et Ulloa déclare n'en
avoir jamais entendu parler à Quito, capitale de
l'Equateur (A voyage io South America).
6*
Au rapport de M. Liguistin, vétérinaire en
premier de l'un des régiments faisant partie de
l'expédition du Mexique, la rage serait extrême-
ment rare dans ce pays.
Les Barbades ne la connaissaient pas avant
1741, Saint-Domingue avant 1776, la Jamaïque
et la Guadeloupe avant 1783. La rage ne s'est
montrée à l'île Maurice, pour la première fois,
qu'en 1813.
Clarke affirme qu'elle est inconnue à la Gôte-
d'Or (Guinée) et au Cap de Bonne-Espérance.
Nous savons de source certaine que la rage n'a
jamais été observée sur le territoire australien,
qui compte plusieurs millions d'habitants.
M. U. Leblanc croyait à la spontanéité de la
rage canine, et il y croyait si bien qu'il lui attri-
buait une part principale dans le développement
de cette maladie, la contagion n'ayant, suivant
lui, qu'un rôle secondaire ; et si la rage sponta-
née est si fréquente à Paris, comme il se croyait
en droit de l'affirmer, c'est que les chiens étaient
maintenus par leurs propriétaires dans un état
d'étroite séquestration, soit dans les apparte-
ments, soit dans les cours, et mis ainsi dans l'im-
possibilité de satisfaire leurs appétits sexuels,
d'autant plus excités que ces animaux étaient
dans de meilleures conditions hygiéniques. « Il
suffit, disait M. Leblanc dans sa communication
— 99 =-
académique, d'avoir été témoin une seule fois de
l'état d'exaspération d'un chien qui est à côté
d'une chienne en chaleur, pour comprendre com -
bien peuvent être grands les troubles fonction-
nels qui résultent des besoins sexuels non satis-
faits. J'ai vu encore tout récemment un chien
qui était resté pendant un assez long temps à
côté d'une chienne en chaleur, dont il était sé-
paré par une barrière à claire voie. Ce ctiieii avait
été constamment agité et en érection. Son maî-
tre, qui le conduisit à la promenade pour le dis-
traire, remarqua que, contre son habitude, ce
chien cherchait querelle à tous les chiens quil
rencontrait dans la rue ; quelques jours plus tard,
les signes formels de la rage se manifestèrent. »
On le voit, la non spontanéité de la rage, qui
ait partie du dogme pastorien, est loin d'être
admise par tous les vétérinaires.
Il est également démontré qu'il existe fré-
quemment des épizooties de rage survenant sou-
vent sous les influences météorologiques. Les
faits publiés à cet égard sont nombreux et con-
cluants.
RÉCIT d'une Épidémie de rage au pérou.
Le récit le plus intéressant que nous connais-
sions sur ce point est celui que M. Fleming a
— 100 —
extrait d'un article de l'Edinhurgh med. and
surg. Journal, 1841, sur les Maladies du Pérou
{Diseuses in Peru], par A, Smith, etd'un livre du
même auteur : Pcru as it is, vol. II, p. 248. Voi-
ci ce récit, tel que M. Fleming l'a reproduit dans
son livre : Rahies and Hydrophobiai
« Avant 1803, on n'avait jamais eu connaissan-
ce qu'aucun chien eût été attaqué delà rage, soit
dans le Pérou, soit dans les contrées qui l'entou-
rent ; mais à cette époque, cette maladie fit ex-
plosion, pendant les chaleurs de l'été, dans les
vallées des côtes du nord ; de là elle se répandit
vers le sud, le long des plaines maritimes, attei-
gnit la cité d'Aréquipa, au commencement de
1807, et s'étendit jusqu'à Lima, à la fin de la
même année.
Cette maladie se développa spontanément sous
l'influence de la température excessive des an-
nées 1803 et 1804. Sur la côte nord, communé-
ment appelée Costa Abajo, où elle commença, le
thermomètre Réaumur marquait 30° dans quel-
ques-unes des vallées. L'air était immobile : au-
cune brise ne ridait la surface de l'Océan. Les
animaux se précipitaient instinctivement dans
les eaux inanimées des lacs et des étangs pour
trf'uver quelque soulagement aux souffrances
que leur infligeait l'excès de la chaleur.
La maladie s'attaqua à tous les quadrupèdes,
— 101 --
sans distinction d'espèces, et elle donna lieu à
de tels accès de frénésie que quelques-uns d'en-
tre eux, dans leur fureur, se mordaient eux-
mêmes et se mettaient en lambeaux. Dans les
localités où la chaleur était extrême, plusieurs
personnes présentèrent tous les symptômes de
Vhydrophobie sajis avoir été m.ordues.
Ce fut parmi les animaux de l'espèce canine
que la maladie fit le plus de victimes, et elle
revêtit sur quelques-uns un tel caractère de bé-
nignité que leurs morsures n'étaient pas mor-
telles, mais le plus grand nombre étaient gra-
vement atteints, et par leur intermédiaire, la
contagion se propagea aux animaux de leur
espèce, aux autres quadrupèdes et à l'homme
lui-même.
« Dans les villes d'Ica et d'Aréquipa, le nom-
bre des personnes qui moururent des suites de
morsures de chiens enragés fut plus considéra-
ble encore, et les cas observés moins équivoques
que ceux dont il vient d'être question. Dans Ica,
une seule chienne enragée mordit, dans une
nuit, quatorze personnes, dont douze mouru-
rent; les deux qui survécurent avaient été sou-
mises à un traitement médical.
« Dans la cité d'Aréquipa, on discourut
beaucoup sur la question de savoir si la mala-
die à laquelle on avait affaire était une hydro'
— 102 —
phobie vraie (légitimate hydrophobia), et de 'sa-
vants écrits furent publiés pour et contre parles
docteurs Rosas et Salvani. Beaucoup de temps
fut perdu à cette guerre de plumes
« Dès que le vice-roi du Pérou, Abascal,
fut avisé que l'hydrophobie épidémique s'appro-
chait de la capitale, il ordonna que tous les
chiens de la ville fussent mis à mort : et, par
cette mesure prévoyante, il sauva Lima du fléau
qui le menaçait. Les quelques malades hydro-
phobes, qui, à cette époque, furent admis dans
les hôpitaux, n'étaient pas des habitants de la
cité, mais venaient des vallées et des fermes en-
vironnantes.
Lorsque cette calamiteuse épidémie fit son
apparition dar s les vallées de Costa-Abajo, les
chiens, d'après la relation de don José Figuera,
s'en allaient la queue pendante entre les jambes,
et la bave s'écoulait abondamment de leur
gueule ; ils fuyaient la présence de l'homme,
poussaient des hurlements retentissants, puis
ils s'affaissaient sur leurs membres et restaient
sans mouvements. Les chats, avec leurs poils
hérissés, se sauvaient sur le toit des maisons. Les
chevaux et les ânes se précipitaient furieux ^ les
uns contre les autres; ils se jetaient à terre, se
roulaient et mouraient comme foudroyés. La
décomposition des cadavres était immédiate. Les
— 103 —
bestiaux, au noir pelage, beuglant et mugissant,
se précipitaient en bondissant les uns contre les
autres, et luttaient avec tant d'acharnement
qu'ils se brisaient leurs cornes. Leur mort était
aussi foudroyante.
Le professeur Estrada a constaté que, sur les
quarante-deux personnes qui moururent à Ica
des suites des morsures des chiens enragés, le
plus grand nombre succombèrent du douzième
au quatre-vingt-dixième jour après l'accident.
Leur maladie se caractérisa par des convulsions,
une grande oppression de la poitrine, des soupirs,
de la tristesse, une respiration laborieuse, l'hor-
reur des liquides et des objets brillants, des fu-
reurs, des vomissements de matières bilieuses,
et enfin des prières instantes adressées par les
patients à ceux qui les assistaient, afin qu'ils
s'écartent d'eux, car ils se sentaient dominés
par le besoin impérieux de les attaquer, de les
mordre, et de les mettre en pièces. Pas un ne sur-
vécut au delà de cinq jours.
Depuis l'année 1808, cette terrible épidémie a
complètement disparu. De temps en temps ce-
pendant, on voit encore des chiens se précipiter
avec violence, ça et là, et mordre tous ceux
qu'ils rencontrent sur leur route, absolument
comme le font les chiens réellement enragés. »
Smith ajoute, après avoir fait cette relation
— 104 —
dans VEdinburgh Med. and Surg. Journal, que
« durant sa longue résidence au Pérou, il n'a ja-
mais été témoin d'un seul cas d'iiydrophobie dé-
clarée ».
ÉTIOr.OGIE DE LA RAGE DU CHIEN. — ACTION DES
INFLUENCES MÉTÉOKOLOGIQUES. — LA RAGE EST
INCONNUE DANS CERTAINS PAYS OU LES CHIEMS
NE SOXT CEPENDANT l'OBJET d'AUCUNE SUR-
VEILLANCE.
Les nombreuses statistiques publiées jusqu'à
ce jour et les observations de tous les médecins
et voyageurs démontrent cependant que les in-
fluences météorologiques n'ont aucune action
sur la production de la rage chez les animaux.
Dans un grand nombre de pays chaud? où les
chiens ne sont l'objet d'aucune surveillance la
ragé est absolument inconnue; aucun cas de
rage n'a jamais été observé en Australie.
Que conclure de ces renseignements, qui nous
sont fournis parce que l'on sait de l'histoire géo-
graphique delà rage? Viennent-ils apporter quel-
ques témoignages en faveur de l'action prépon-
dérante de quelque influence météorologique ?
Evidemment non. On invoque les chaleurs ex-
cessives comme une des causes les plus favora-
bles au développement spontané de cette mala-
die, et les voyageurs qui sont le plus autorisés
— 105 -
parleur savoir et la justesse de leurs observa-
tions, sont d'accord pour affirmer que la rage
est une maladie inconnue dans les régions du
globe où la température est le plus élevée, com-
me Quimto et Sumatra, par exemple, dans les
régions équatoriables ; ou encore dans les con-
trées les plus chaudes de l'Afrique, que Livings-
tone a visitées, sans y constater l'existence de
cette maladie sur les animaux réputés suscepti-
bles de la contracter spontanément. Mais ne peut-
on pas inférer alors de cette immunité de quel-
ques pays très chauds, que l'élévation de la tem-
pérature est la condition à laquelle cette immu-
nité se rattache ? Non, car la rage sévit dans
d'autres contrées où les chaleurs sont souvent
excessives, comme rAbys3inie,rindoustan,rAf-
ganistan, le nord de l'Afrique ; on la vue faire
aussi irruption au Pérou, au Chili, au Brésil,
etc. etc. De sorte qu'en définitive, en présence de
ces faits, on ne saurait attribuer à l'élévation de
la température atmosphérique une influence
telle sur l'organisme du chien, qu'elle serait sus-
ceptible d'y faire développer le germe de la rage
ou d'empêcher son éclosion.
Quand on a vu, en Europe, les recrudescences
de la rage coïncider, dans les grandes villes, avec
un hiver doux et un printemps précoce, on a rat-
taché cette manifestation morbide exception-
— 106 —
nelle, à ce que l'évolution des saisons présentait
d'exceptionnel elles-mêmes ; et, d'un rapport
de coïncidence, on a fait un rapport de causalité.
Mais la rage ne règne pas en Australie, où la
moyenne de l'hiver est de 12" et celle du prin-
temps de 18°. Et puis, est-ce que, dans tous les
cas où, en Europe, l'hiver s'est montré excep-
tionnellement doux et le printemps précoce,
toujours et par une conséquence connue néces-
saire, on a vu les cas de rage se multiplier et ac-
cuser ainsi rinffuence causale dont ils dépen-
draient ? En aucune façon : bien des fois, au
contraire, malgré cette influence présumée cau-
sale, aucune recrudescence rabique ne s'est ma-
nifestée dans les contrées ou les saisons.
INCUBATION DE LA RAGE CHEZ LE CHIEN DANS
TOUTES LES ESPÈCES.
Dans toutes les espèces, la durée de la période
d'incubation de la rage reste variable entre des
limites de temps quelquefois les plus extrêmes,
et, dans aucun cas, il n'est possible de la déter-
miner même d'une manière approximative.
Etant donnée une inoculation, il est impossible de
prévoir au bout de combien de temps elle produi-
ra ses effets, si elle doit en produire.
Suffira-t-il pour cela de quelques jours ou de
— 107 —
quelques semaines ? Ou faudra-t-il quelques
mois et même une longue série de mois ? A tous
ces points de vue, incertitude absolue. Pourquoi
cela ?
Pourquoi le même virus, puisé à la même
source et inoculé dans un même moment à des
individus d'une même espèce, est-il tantôt stéri-
le, tantôt fécond ? Et pourquoi, lorsqu'il mani-
feste son activité, le fait-il dans des périodes de
temps dont la durée est si variable ?
Trois, cinq, six, huit, dix, douze jours dans
quelques cas, et, dans d'autres, au bout seule-
ment d'un nombre de mois égal à celui des
jours qui peuvent suffire à son évolution ?
Dire que les différents organismes constituent
des terrains plus ou moins propices pour la se-
mence virulente, qu'ils ont pour cela plus ou
moins de réceptivité, ou bien encore que le viru s
est plus ou moins actif, c'est exprimer le fait,
mais non pas l'expliquer. »
On le voit, Bouley,,àqui nous empruntons ces
lignes, se déclare impuissant à expliquer un des
faits les plus extraordinaires de la virulencf. ra-
bique. Dans tous les autres virus (syphilis, vac-
cine, etc. ) la durée de l'incubation est à peu
près la même chez tous les individus.
C'est là encore un des points qui contri-
buent le plus à démontrer notre ignorance sur
— 108 ~
cette maladie qui fait depuis si longtemps la
terreurde l'humanité et qui fait cependant si peu
de victimes.
SYMPTOMES DE LA RAGE.
Mais arrivons enfin au point essentiel de notre
étude.
En reproduisant les faits empruntés aux au-
teurs les plus compétents, nous avons surtout
pour but de montrer la difficulté du diagnostic
et l'impossibilité dans laquelle se trouve un vé -
térinaire qui ne voit un chien qiiune seule fois
et qui ne peut le suivre pendant toute V évolution
de là maladie, de déclarer avec certitude qu'il
est enragé.
Bouley a d'abord fort bien réfuté les idées ab-
solument erronées que le public et même beau-
coup de médecins ont encore sur la rage.
« Le mot rage, dit-il, dans notre langue,
comme dans toutes les autres, du reste, n'ex-
prime pas autre chose que les passions furieuses,
la colère, la haine, la cruauté.
Dans le style élevé, comme dans le langage
commun, il a la même signification, et même
lorsque ce mot est employé d'une manière figu-
rée ou familière, il exprime quelque chose d'ex-
cessif et d'outré. On ne saurait trop se tenir en
~ 109 —
garde contre cette idée si fausse que l'on se fait
de la rage du chien, sur la foi même du mot qui
sert à la qualifier. Cette maladie ne se caracté -
rise pas, dans les premiers temps de sa manifes-
tation, par des excès de fureur et des actes de
férocité. Souvent mème^ c'est le contraire qui a
lieu. Un seul jour ne fait pas d'un chien affec-
tueux, cet animal féroce, furieux et cruel à l'ex-
cès que tout le monde croit ; c'est par une transi-
tion insensible qu'il arrive à la période de la
frénésie rabique. Mais quand bien même cette
période n'est pas encore déclarée, il faut que l'on
sache bien que du moment que les premiers
symptômes de la maladie ont apparu, déjà la
salive du malade est virulente et que ses lèche-
ments peuvent être tout aussi dangereux que
ses morsures. Déjà, dès 1828, un vétérinaire an-
glais, M. Delabère-Blaine, avait insisté sur cette
particularité importante. « On suppose naturel-
lement, disait-il, qu'un chien affecté de la rage
doit nécessairement être farouche et furieux, et
dans tous les tableaux que l'on en a faits, cette
maladie est ainsi décrite. Mais bien loin que ce
soit le fait constant, à peine ai-je trouvé un seul
chien adulte qui avait une aliénation totale ;
tandis qu'au contraire, dans le plus grand nom-
bre, les facultés mentales ont été à peine déran-
gées. Les malheureuses victimes de cette mala-
- 110 —
die reconnaissent ordinairement la voix de leur
maître, et y obéissent, et cela souvent jusqu'au
dernier moment. »
LE CniEN ENRAGÉ n'eST PAS TOUJOURS FURIEUX.
« Non seulement le chien enragé est inoffensif
au début de son mal, en ce sens qu'il s'abstient
de toute attaque, mais il arrive souvent encore
que, chez lui, les sentiments affectueux grandis-
sent et s'exagèrent, pour ainsi dire, proportion-
nellement à l'intensité du malaise qu'il éprouve.
Son instinct le pousse, à de certains moments,
à se rapprocher de son maître, comme pour lui
demander un soulagement à ses souffrances, et,
si on le laisse faire, il témoigne volontiers sa re-
connaissance pour les soins qu'on lui donne par
l'ardeur de ses léchements sur les mains et le vi-
sage. Ce sont là de perfides caresses, car, tout
aussi sûrement que les morsures, elles peuvent
inoculer la rage, si la langue hwnide d'une bave
déjà virulente vient à toucher des parties oie la
peau est excoriée ou blessée. »
« Mais dans l'un ou l'autre de ces états, il ne
montre aucune propension à mordre. Il est do-
cile à la voix de son maître et va vers lui quand
il s'entend appeler. Toutefois, ce n'est pas avec
le même empressement que par le passé et sur-
— 111 —
tout avec la même expression de physionomie.
Si sa queue est agitée, elle est lente dans ses
mouvements. Son regard a quelque chose d'é-
trange ; destitué de son animation habituelle.que
la voix du maître n'a réveillée qu'un instant, il
n'exprime plus qu'une sombre tristesse, et, dès
que l'animal ne se sent plus sous l'excitation de
cet appel, il retourne à sa solitude. »
Quand on examine en silence un chien enragé,
on le voit qui s'endort ; ses yeux se ferment, sa
tête s'affaisse, puis quand elle arrive trop bas et
qu'elle rencontre les pattes ou un obstacle, l'ani-
mal se réveille subitement, pour se rendormir
de suite après, comme fait un homme qui dort
debout et dont la tète s'abaisse et se relève auto-
matiquement. « J'ai vu fréquemment, dit M. Du-
buc, des petits chiens qui, étant couchés sur des
chaises, présentaient ce symptôme. Emportés par
la somnolence, ils glissaient de dessus le siège,
tombaient sur le plancher, la tête la première, et
n'étaient réveillés que par la chute. » {De la rage
des chiens^ etc., par Dubuc, Bordeaux. 1873.)
Ainsi, voilà donc un premier point : le chien
enragé n'est pas furieux et le plus souvent il n'a
pas de tendances à mordre.
— 112 —
UN CHIEN QUI LÈCHE EST AUSSI DANGEREUX QU'uN
CHIEN QUI 'mord.
En outre, dit Bouley, les léchements sont
AUSSI DANGEREUX QUE LA MORSURE. Yoilà UTl
point qui me semble bien peu connu des Pasto-
riens. Parmi les clients de l'Ecole normale, il n'y
a que des mordus et non des léchés ; que de-
viennent donc les malheureux qui ont contracté
la rage par léchement ? Ils doivent cependant
être nombreux étant donné la fréquente et dé-
plorable habitude qu'ont un grand nombre d'in-
dividus de se faire lécher par des chiens.
J'insiste sur ce point qui ouvre une parenthèse
nouvelle dans la voie de transmission de la rage
canine.
Bouley, continuant sa symptomatologie, s'ex-
prime ainsi : « Au début de la rage, le malaise
intérieur que le chien éprouve se traduit par un
changement de son humeur. Le plus souvent, il
devient triste, sombre et l'on peut dire taciturne,
car il n'est plus déterminé à aboyer comme il le
faisait en santé, quand sa vigilance était excitée.
Il cherche à s'isoler, se comptait dans la solitude
et dans l'obscurité et va se cacher dans les coins
des appartements, sous les meubles ou dans le
fond de sa niche. »
Qui donc n'a vu des chiens dans cet état?
- 113 —
Pourrait-on, après un seul examen constatant
ces symptômes, déclarer l'animal enragé ? Nous
ne pouvons que très difficilement l'admettre.
Blaine et Bouley attachent une grande impor-
tance à l'irritabilité de l'anim.al. « Alors même,
disent-ils, que l'animal ne paraît pas avoir de
propension à attaquer les personnes qui sont au-
près de lui, cependant il se montre disposé à
ressentir les offenses, et si on lui présente un bâ-
ton, on est sur d'exciter sa colère, même envers
ceux qu'il aime le plus, et il le prend et le secoue
avec violence. Ainsi fait-il encore quand on l'ex-
cite avec le pied. »
Cette épreuve du bâton a, pour Blaine, une
telle signification qu'elle lui suffit pour affirmer
la rage : « On ne saurait trop fortement persua-
der, dit-il dans une note, ceux qui y ont intérêt,
que quand un chien qui, dans d'autres moments
est doux et tranquille, saute après un bâton qu'on
lui présente, surtout si c'est quelqu'un qu'il con-
naît, on peut, sans hésitation, déclarer que ce
chien est enragé. »
J'avoue que, si ce symptôme est caractéristi-
que, j'ai rencontré beaucoup de chiens enragés
dans mon existence.
— 114
LE CHIEN ENRAGÉ n'a PAS HORREUR DE l'EAU.
Nous devons ensuite signaler l'absence de l'hy^
drophobie que la plupart des auteurs considèrent
comme le symptôme capital :
a Depuis le premier jusqu'au dernier moment,
dit Bouley, jamais on n'observe d'aversion pour
l'eau. Dans les premiers moments, l'animal
prend les liquides comme à l'ordinaire, et il y en
a qui continuent à les prendre pendant toute la
maladie. D'autres ne peuvent, à cause de la tu-
méfaction et de la paralysie des parties de l'ar-
rière-bouche, avaler si facilement lorsque la
maladie est avancée ; mais dans ceux-là l'effort
ne cause aucun spasme et aucune douleur ou
crainte. Au contraire, à cause de la chaleur et
de la soif occasionnées par la fièvre, l'animal
cherche de l'eau et, dans la plupart des cas, il
témoigne en avoir le plus grand désir. »
« Loin que la rage du chien, dit-il, soit carac-
térisée par l'horreur de l'eau, elle est, au con-
traire, signalée par une soif qui souvent est tout
à fait inextinguible. »
115
LE CHIEN ENRAGE NE REFUSE PAS TOUJOURS LA
NOURRITURE.
En ce qui concerne la perte d'appétit, il suffit
de citer le passage suivant pour montrer que le
symptôme est loin d'avoir la valeur que lui accor-
dent M. Signol et la plupart des vétérinaires.
« Le chien ne refuse pas d'ordinaire sa nourri-
ture, et quelques-uns même font preuve, lors-
qu'on la leur présente, d'une voracité qui ne leur
est pas habituelle. Mais tous ne tardent pas à
perdre complètement l'appétit, et alors tantôt ils
s'éloignent de leur pitance, sans y toucher et
comme dégoûtés, et d'autres fois ils en mangent
quelque peu, puis ils la rejettent en renversant
l'écuelle qui la contient. Cette manifestation de
dégoût est, d'après Youatt, un signe dans lequel
il faut avoir une grande confiance, »
Mais Vinappétence existe dans toutes les ma-
ladies du chien et ne peut avoir aucune impor-
tance dans le diagnostic différentiel de la rage.
11 en est de même pour la salivation qu'on a
souvent considérée comme caractéristique et sur
laquelle Bouley s'exprime ainsi : « La bave ne
constitue pas, par son abondance exagérée, un
signe caractéristique de la rage du chien, comme
on l'admet généralement d'après les préjugés
populaires. i
— 116
INFLUENCE DES LYSSES.
La même incertitude et les mêmes difficultés
se présentent à l'égard de la présence des lysses
que plusieurs vétérinaires avaient données
comme un symptôme capital :
« Existe-t-il des lysses sous la langue des
chiens enragés ? Un ingénieux et infatigable
chercheur, Auzias-Turenne, a lu sur ce sujet, à
l'Académie de médecine, dans sa séance du l*""
septembre 1868, un mémoire plein d'intérêt in-
titulé : Aperçu historique et philosophique sur
les lysses ou vésicules de la rage, où se trouvent
des renseignements très curieux, à tous les
points de vue, sur cette sorte d'éruption qu' Au-
zias-Turenne assimilait volontiers à celles des
affections éruptives proprement dites.
Auzias-Turenne a démontré incontestable-
ment par ses recherches que les vésicules rabi-
ques ont été vues par un certain nombre d'obser-
vateurs à l'autopsie de chiens qui étaient morts
de la rage ; mais cette éruption est-elle cons-
tante ? Et quand elle se montre, à quelle période
apparaît-elle après l'inoculation rabique ? Est-ce
avant la manifestation des symptômes? Est-ce à
leur période initiale ? Est-ce à la fin ? Autant de
— 117 —
questions qu'il faut se contenter de poser, car
leur solution n'est pas actuellement possiîile. »
{Bouley^ art. Rage, p. 103.)
FRENESIE ET EXCITATION SEXUELLE.
On a attaché une grande importance aux
symptômes fournis par l'excitation sexuelle.
(I Parmi les symptômes, dit Bouley, il faut si-
gnaler maintenant l'orgasme génital qui, chez
le chien, est une manifestation très fréquente de
la rage à sa période initiale, et même ultérieure-
ment. On sait que, même dans l'état physiologi-
que, au moment où le chien témoigne à ses maî-
tres ses sentiments affectueux, cet orgasme in-
tervient assez communément et se traduit par
l'éréthisme du pénis et par des attitudes et des
mouvements dont la signification n'est pas dou-
teuse. Rien d'étonnant donc que, dans l'état ra-
bique, l'exagération de ces sentiments donne lieu
à des manifestations de même ordre, elles-mêmes
exagérées. C'est ce que l'on observe effective-
ment sur un certain nombre de chiens familiers.
Quand ils se trouvent en rapport avec d'autres
chiens, tout à fait au début de la maladie, et
avant qu'ils n'aient encore de la propension à
mordre, ils expriment l'état de surexcitation
sexuelle où ils se trouvent par l'ardeur avec la-
— 118 —
quelle ils leur lèchent l'anus et les parties géni-
tales. « Je prédis une fois l'approche de la rage,
dit Blaine, par l'attachement extraordinaire d'un
petit roquet à un petit chat qu'il léchait conti-
nuellement.»
Il me paraît bien difficile d'admettre ce symp-
tôme comme caractéristique. D'après les auteurs
vétérinaires, on doit soupçonner tout chien qui
présente une excitation sexuelle extraordinaire.
Tout le monde connaît l'ardeur excessive de ces
animaux, et il faut convenir que bien peu de
chiens ont pu échapper dans leur existence.au
soupçon de rage.
Alors que certains auteurs donnent la frénésie
comme un symptôme capital, d'autres, au con-
traire, font ressortir l'importance de symptômes
diamétralement opposés. C'est ainsi que Dela-
bere-Blaine dit qu'il y a des cas où la docilité et
la bonté de caractère du chien sont augmentés
par la maladie.
CONCLUSIONS,
Nous craindrions de fatiguer nos lecteurs en
prolongeant plus longuement notre incursion
dans le domaine vétérinaire. Nous avons sim-
plement voulu démontrer que les symptômes
de la rage sont complexes.^ mal définis et qu'il
— 119 —
est hnpos&ible^ même à iin vétérinaire exercé,
de reconnaître cette maladiepar unseul examen.
Les signes fournis par l'autopsie sont absolu-
ment nuls. Sans doute on trouve chez le chien
mort de la rage de la congestion des méninges et
des poumons, mais il n'existe aucune lésion
caractéristique.
Les vétérinaires admettent généralement que,
lorsqu'on trouve de l'herbe, de la paille ou des
fragments de bois dans l'estomac d'un chien on
doit le considérer comme enragé. Dans beau-
coup de cas, les médecins vétérinaires déclarent
enragés les chiens accusés de morsures, alors
mèm.e que V existence de la rage n'est pas abso-
lument déynontrée. En cela je m'empresse de
déclarer qu'ils ont parfaitement raison. En pre-
mier lieu, tous les honorables vétérinaires qui
existent dans nos campagnes n'ont pas le talent
des cliniciens de l'Ecole d'Alfort ; d'un autre
côté, j'aime mieux voir mourir un chien injus-
tement que d'exposer des individus à la rage,
alors même que celle-ci est problématique.
Le vétérinaire qui fait abattre un chien seule'
ment soupçonné de rage ne fait donc que son
devoir. Il met sa responsabilité à l'abri, protège
la vie des citoyens et débarrasse sa commune
d'un animal qui, s'il n'est pas enragé, s'est tout
— 120 —
au moins rendu coupable de morsures plus ou
moins graves.
Je persiste donc à croire que les 3,000 individus
qui ont suivi le traitement Pasteur n'avaient pas
tous été mordus par des chiens atteints de la rage.
OPINION DE M. COLIN.
Voici du reste comment s'exprime M. Colin,
professeur à l'Ecole vétérinaire d'Alfort, sur les
chiens qui ont mordu les inoculés de M. Pasteur
dans la communication qu'il a faite à l'Académie
de médecine, dans la séance du 9 novembre 1886.
Nous reproduisons plus loin cette importante
communication :
« Il me paraît impossible d'accepter sans exa-
men les chiffres effrayants de la statistique de
M. Pasteur. En un an, 3000 individus sont venus
rue d'Ulm faire traiter leurs morsures d'animaux
enragés. Ces 3,000 individus sont venus après
avoir été mordus par des chiens, des loups, des
chats et ont été traités, c'est certain ; mais que
ces 3,000 individus, dont 1,700 Français, aient
été mordus par des animaux enragés, c'est ce
que je ne puis admettre.
Les éléments de cette statistique sont recueil-
lis par des gens incompétents, ils ne sont pas
contrôlés, ni même très souvent susceptibles de
— 121 -
contrôle. Voici un chien triste, qui sans motif
s'échappe du logis, se jette sans provocation
sur les passants. On le poursuit et on le tue. Ce-
lui-ci est à peu près certainement enragé. Mais
voici un autre chienqui, dans la rue, est agacé ;
il donne un coup de dents, on tombe sur le dé-
linquant ; naturellement, il se défend d'un air
féroce ; sa physionomie confirme les spectateurs
dans l'idée que l'animal peut être enragé ; il est
mis au même rang que l'autre. S'il se trouve un
vétérinaire dans le voisinage, on songe à l'au-
topsie, mais elle est rarement faite ; si elle est
faite elle ne peut donner qu'une présomption.
Si l'on trouve un peu d«^, rougeur à la gorge,
quelques brins de paille dans l'estomac, et il s'en
trouve sur tous les chiens qui n'ont pas l'avan-
tage de manger à table, on incline à déclarer
l'animal enragé. On le fait encore parce que le
chien a mordu et a paru furieux^ parce qu'on l'a
tué, parce que dans le doute il est bon de pren-
dre des précautions, de cautériser les individus,
de surveiller les individus mordus, etc.
Pour ces cas, qui sont les plus fréquents, il
n'y a pas de certitude ; cette certitude ne peut
être acquise qu'au vu de l'animal vivant, malade
et surtout mourant paralysé, quelques jours
après les premiers symptômes rabiques. «
CHAPITRE VII.
LA RAGE DU LOUP
En présence des nombreux insuccès survenus
â la suite du traitement des Russes mordus par
des loups, M. Pasteur, qui n'est jamais pris à
rimproviste, imagina, pour disculper sa mé-
thode, que la rage était constamment mortelle
chez le loup ou que la mortalité atteignait gé-
néralement 95 pour cent.
Il suffit de jeter un coup d'œil sur la littéra-
ture médicale pour reconnaître que l'assertion
du grand chimiste est absolument inexacte. Si,
au lieu de remonter comme il l'a fait intention-
nellement, à des faits du siècle dernier et à des
légendes qui échappent à tout contrôle scientifi-
que, on recherche des faits récents, on constate
que la mortalité de morsures de loup est d'en-
viron 25 à 50 pour cent et non pas de 95 pour cent.
J'indiquerai à M. Pasteur les faits que vient
de publier la Gazelle hebdomadaire (n° 17, 23
avril 1886) et desquels il résulte que sur vingt-
— 123 —
trois personnes mordues par une louve enragée,
six seulement ont succombé.
D'autres faits publiés dans le Journal des con-
naissances médicales par le D^ Magistel donnent
une mortalité de 9 sur 30 mordus.
Enfm, nous publions sur cette importante
question de la rage du loup, un travail lu à la
Société de Médecine pratique le 15 avril 1886 par
M. Mathieu. M. Pasteur et ses élèves pourront y
puiser d'utiles renseignements.
Les questions qui se rattachent à la rage, à la rage
du loup notamment, ont en ce moment un vif inté-
rêt d'actualité.
Nous pensons donc que la Société de Médecine
pratique ne trouvera pas inopportune la communica-
tion de la note suivante extraite, en partie, dune
thèse présentée en 1826 à la Faculté de médecine de
Paris par le Dr H. N. Thierry (de l'Yonne).
Les 26 mai 1824 et octobre 1825, vingt-sept person-
nes ont été mordues par deux louves enragées dans la
commune d'Argenteuil (Yonne).
La durée de la période d'incubation a été chez les
individus mordus de dix-neuf à trente jours, de qua-
rante à quarante-deuxjours, de cinquante-deux jours,
une fois. Nous avons lieu de croire que dans un cas
qui n'est pas relaté dans le travail précité, le temps
écoulé depuis la morsure jusqu'à la manifestation,
des symptômes rabiques a été d'une année environ
— 124 —
Des vingt-sept personnes mordues dix-huit sont
mortes de la rage; soit les deux tiers.
Quinze avaient été mordues à la tête.
Trois autres ont succombé à la suite de morsures
dont le siège n'a pas été indiqué.
Trois individus mordus à la tête,
Deux mordus aux mains et à nu,
Trois mordus au bras à travers ses vêtements,
Un mordu à la jambe à travers leurs vêtements,
N'ont présenté aucun phénomène rabique.
Après ce résumé succinct, faisons connaître quels
ont été le siège, la gravité des morsures faites par ces
louves à chacune de leurs victimes ; quelles ont été
pour chacunes d'elles les suites de ces morsures.
B âgé de quinze ans. Perforation de la région mé-
tacarpienne à nu. Cautérisation avec l'acide nitri-
que. (Aucun accident rabique.)
F..., âgé de trente-cinq ans. Vingt-sept blessures à
la face, au cuir chevelu ; déchirement des ailes du
nez, et enlèvement partiel de l'oreille. Cautérisa-
tion au cautère actuel. (Mort.)
Dans les six cas suivants, l'étendue des blessures
a rendu la cautérisation impossible.
S. B..., âgé de sept ans. Une partie delà joue en-
levée, plaie grave au cuir chevelu, occiput dénudé.
(Mort.)
B. J..., âgé de cinquante ans. Maxillaire inférieur,
cartilage du nez, os des pommettes dénudées, plu-
sieurs doigts arrachés. (Mort.)
B. M..., âgée de douze ans. Dénuation de la partie
— . 125 -
postérieure de la tête, du côté gauche de la face,
et plaies profondes aux bras. (Mort.)
L. J. , ., âgé de soixante ans. Coronal dénudé, ainsi
que la racine du nez ; les bras et les mains horri-
blement déchirés. (Mort.)
L. M..., âgée de quinze ans. Cuir chevelu presque
totalement enlevé, la face entièrement dilacérée.
(Mort.)
S. S... Plaies au visage pénétrant dans l'orbite, lè-
vre inférieure emportée, blessures nombreuses à
la tête, aux bras et aux mains. (Mort.)
Les cinq blessés suivants ont été cautérisés avec
l'acide nitrique :
B. . . , âgé de sept ans. Quatorze blessures au cuir che-
velu. (Mort.)
P. J. . ., âgé de 50 ans. Blessure à la racine du nez.
(Mort.)
B . D . . . , âgé de soixante-six ans . Ailes du nez per-
forées. (Mort.)
B. N. . ., âgé de cinquante-cinq ans. Blessure légère
à la commissure droite, enlèvement d'une partie
de l'expansion muqueuse de la lèvre inférieure
(Mort.)
V. B. . .,âgé de quarante ans. Six blessures à la face.
(Mort.)
Les trois suivants ont été cautérisés au cautère
actuel.
A. J..., âgé de soixante ans. Trois blessures à la
face- (Mort.)
8.
— 126 —
M âgé de quatorze ans. Plaie pénétrante dans la
pai'Otide, commissure dam côté, égratignures au
cou. (Mort.) ^
G. . ., âgé de dix-huit ans. Morsures légères a 1 angle
de la mâchoire et au cou. (Mort.)
Les six blessés suivants ont été cautérisés avec
l'acide nitrique, et n'ont présenté aucun symptôme
rahique :
Th..., âgé de douze ans. Mordu au bras, à travers
les vêtements.
J..., âgé de trente ans. Six blessures extrêmement
profondes au bras.
B. D..., cmquante ans, idem.
J. P. . ., âgé de six ans. Légères morsures au-dessous
de roreille et à la nuque.
M. N . . . , âgé de quarante-huit ans.Morsm^es aux deux
mains, dénudation du médius.
J. S..., Egratignures aux tempes.
Les deux blessés qui suivent, cautérisés au fer
rouge, ont survécu:
P. . ., âgé de vingt-huit ans. Morsure au front.
D.V.', âgé de trente-cinq ans. Cinq blessures profon-
des à la jambe.
Trois autres personnes sont mortes des suites de
blessures.
La durée des phénomènes rabiques depuis leur
apparition jusqu'à la mort a été :
lo Chez un enfant de sept ans, d"mi jour^
2» Chez un second enfant de sept ans, de deux jours.
— 127 —
3» Chez un homme de cinquante ans, de deux jours.
4° Chez un homme de quarante ans, de trois jours et
demi.
5o Chez un homme de soixante-six ans, de trois jours
et demi.
6° Chez un homme de cinquante ans, de deux jours
et demi.
La durée du drame pathologique a été moindre
chez les jeunes enfants que chez les adultes.
Il ne serait pas sans intérêt de rechercher si la
rage qui a pour cause la morsure du loup n'a pas
une marche plus rapide que la rage inoculée par les
chiens de rue.
Les lysses rabiques ont été recherchées dans la
bouche des malades et n'ont pas été découvertes.
Il eût été plus à propos de se livrer à cet utile
examen pendant la période d'incubation, époque à
laquelle les lysses rabiques ont été signalées et dém-
érites par Magistel et avant lui par d'autres obser-
vateurs chez des individus mordus par des loups en-
ragés.
En comparant le nombre des victimes qui succom^
bent à la suite de morsures de loups enragés (les 2/3
dans l'observation que nous venons de relater) à celui
des victimes de la rage du chien de rue (5 à 6 % des
individus mordus) on arrive à cette conclusion :
« La nocuité du virus rabique chez le loup est su-
périeure à la nocuité du virus rabique chez le chien
de rue; »
— 128 —
La division des virus en torts et en faiWes n'est
pas un fait scientitique nouveau: il a été déduit de
l'observation clini([ue, il y a vingt-cinq ans, par Au-
zias-Turenne.
Le chien familier n"est, zoologiquement parlant,
qu'un canis (loup, chacal), dégénéré, modifié à rinfini
par lïnfluence des milieux, des croisements, de l'ali-
mentation, de réducation, etc. Cet animal essentiel-
lement carnassier à l'état sauvage, est devenu par-
fois, dans l'intimité de l'homme, forcément herbi-
vore.
Devant des modifications aussi profondes que celles
qui séparent un canis primitif de l'un de ses dérivés
éloignés, le chien comestible des Chinois, par exemple,
n'es't-il pas permis d'admettre que chez ce dernier la
rage a perdu de son intensité contagieuse.
Remarquez bien, je vous prie, qu'en admettant
cette h\-pothèse à laquelle les laits observés donnent
l'apparence de la probabilité, nous ne disons pas que
la Rage, quel que soit l'animal du genre chien d'où
elle procède, ait perdu de sa gravité.
Elle est toujours mortelle, et cette terrible maladie
eût-elle, chez un chien enragé arrivé au maximum de
dégénérescence zoologique, une tendance à s'atté-
nuer, que le virus rabique affaibli chez ce dernier
anim'al reprendrait bientôt de la force en passant par
un autre chien se rapprochant du type primitif.
Auzias-Turenne a dit :
« Un virus est régénéri par un bon terrain. Un
— 129 —
virus est affaibli par un ma«¥ais-terrain ; il s'y dé-
grade. »
Quelle que soit la valeur des appréciations qui
précèdent et qui pourront être contestées, les taits
observés restent et ceux-ci autorisent à croire:
« Que le loup est un plus puissant agent de conta-
gion de la rage que le chien de rue. »
Nous disons « que le chien de rue », car il est des
chiens familiers très rapprochés des types primitifs
et dont les morsures rabiques sont presque aussi
souvent mortelles que celles du loup enragé lui-
même.
Quant au siège des blessures rabiques, qu'elles
soient infligées à l'homme par un loup ou par un
chien, il est reconnu depuis longtemps que celles de
la tête ont une gravité exceptionnelle.
Nous avons déjà cité plus haut les faits pu-
bliés par ^r, Magistel en 1824 et que M. Pasteur
ignore sans doute. Nous avons sous les yeux le
travail publié par ce médecin (1), qui a observé
dans les communes de Burlay et de Saint-Tho-
mas-des-Bois (arrondissements de Saintes et de
Marennes), dix cas de morsures de loup enragé..
Cinq seulement sont morts.
(1) Mémoire sur l'hydrophobie. Cn vol. in-8". Chez
Compère jeune, Paris, 1824.
— 130 —
On voit donc que M. Pasteur a été mal ren-
seigné lorsqu'il a affirmé à l'institut que la mor-
talité à la suite de morsures de loups était de 75
et même de 95 pour cent. Une observation plus
exacte des faits ramène cette mortalité de 30 à
50 pour cent.
CHAPITRE VIIL
LA MÉTHODE PASTEUR CONTRÔLÉE A
VIENNE PAR LES EXPÉRIENCES DU
PROFESSEUR VON FRISCH.
Nous avons parlé, dans l'introduction de cet
ouvrage, de la visite faite, il y a six mois, par le
Dr von Frisch, professeur de Bactériologie à
Vienne, au laboratoire de la rue d'Ulm. Ce sa-
vant, qui avait été envoyé à Paris par un Comité
de dames viennoises, présidé par la princesse de
Metternich, pour y étudier le traitement de la
rage, était retourné à Vienne complètement sé-
duit par la nouvelle méthode.
La visite du professeur viennois eut lieu en
avril 1886. Depuis cette époque, M. von Frisch a
entrepris une série d'expériences destinées à con-
trôler celles de l'Ecole Normale. Les résultats
obtenus à Vienne ont été en contradiction abso-
lue avecceux de M. Pasteur. Nous reproduisons,
d'après le correspondant viennois de la Semaine
médicaZe, le travail du professeur von Frisch.
Avant d'emploj'er les inoculations antirabiques chez
— 132 -
l'homme, M. Pasteur avait appliqué avec succès son
traitement préventif à 20 chiens qu'il avait fait mordre
par un chien enragé. Ces expériences ne sont pas —
d'après M. von Frisch— exemptes de toute objection,
parce qu'on ne sait pas combien de ces chiens mor-
dus ont été réellement atteints de rage ; il n'est mê-
me pas impossible que le virus rabique ne se soit
fixé chez aucun des animaux mordus. Le procédé le
plus siir pour transmettre le virus rabique est, d'a-
près M. Pasteur lui-même, la transplantation de
particules de substance cérébro-spinale au moyen de
la trépanation. Il faut donc, dit M. von Frisch, étu-
dier Fefficacité des inoculations préventives de M. Pas-
teur, sur des animaux auxquels on a transmis le virus
rabique par la voie de la trépanation, autrement dit
sur des chiens qui, sans ces inoculations préventives,
seraient atteints de la rage au bout d'une certaine
période d'incubation.
Dans ce but, M. von Frisch a entrepris les expé-
riences suivantes :
Seize lapins ont été inoculés par la voie de la tré .
PANATioN avec un morceau de moelle cervicale, dis-
soute dans du bouillon stériUsé. Cette moelle prove-
nait d'un chien enragé; inoculée à des lapins jusqu'à
la troisième génération, elle donna à la troisième
transmission une période dïncubation de seize jours.
Quinze de ces animaux furent inoculés d'après la
méthode de ^I. Pasteur ; on commença avec le virus
le plus faible (la moelle séchée pendant quinze jours
d'un lapin inoculé avec le virus fixe d'une période
— 133 —
d'incubation de sept jours) et on injecta chaque jour
des virus de plus en plus forts. Chez le premier ani-
mal, la première inoculation préventive fut pratiquée
vingt-quatre heures après la trépanation ; chez tous
les autres, un jour plus tard, pour voir combien de
temps avant l'apparition probable de la rage l'in-
fluence de l'inoculation préventive se manifesterait
encore.
Le seizième lapin ne fut pas inoculé d'après la mé-
thode de Pasteur, pour pouvoir servir de témoin. Il
tomba malade le dix-huitième jour et succomba à la
rage le vingt et unième jour après la trépanation.
Des quinze animaux inoculés, le treizième, le qua-
torzième et le quinzième présentèrent les premiers
symptômes de la rage avant qu'on leur eût appliqué
le traitement préventif; treize sont morts de la rage
du quatorzième au vingt et unième jour après la tré-
panation.
A l'époque où M. von Frisch a fait cette commu-
nication à l'Académie des sciences, deux animaux se
trouvaient encore dans la péiiode d'incubation ; ces
deux animaux succombèrent à la rage, Fun, le hui-
tième, et l'autre, le treizième jour après la dernière
inoculation préventive, c'est-à-dire, le premier, 28
jours, et le second, 33 jom's après la trépanation.
Dans une seconde série d'expériences, M. von
Frisch a essayé d'abréger la série des onze inocula-
tions indiquées par M. Pasteur, en omettant méthodi-
quement quelques virus de façon à rendre ainsi les
8-
— 134 —
animaux plus vite aptes à la réception du virus le
plus fort. Tous les animaux de cette série succombè-
rent à la rage. Un seul survécut. Celui-ci reçut dix
injections (virus fixe séché depuis treize jours jus-
qu'à un jour) ; les injections furent commencées le
cinquième jour après la trépanation. Il est impossible
de dire pourquoi cet animal a échappé à l'infection,
dit M. von Frisch, mais eu égard aux résultats obte-
nus chez les autres animaux, il est permis de suppo-
ser que le virus n'a pas été fixé par la trépanation.
Bien que les symptômes présentés par les animaux
devenus rabiques à la suite de la trépanation, et
malgré les inoculations préventives, aient été tout à
fait identiques au tableau clinique présenté par les
animaux auxquels la rage a été inoculée parla voie
de la trépanation, M. von Frisch a injecté des par-
celles de la moelle allongée de ces lapins à d'autres
animaux, afin de ne laisser place à aucun doute sur
la cause de la mort. Les animaux ainsi injectés tom-
bèrent malades entre le neuvième et le quatorzième
jour et moururent entre le treizième et le dix-huitiè-
me jour après la trépanation. 11 est à remarquer que
la période d'incubation chez ces animaux a été réduite
de quatre ou cinq jours. Après avoir obtenu ces ré-
sultats, M. von Frisch a répété les mêmes expérien-
ces sur des chiens.
Cinq chiens furent inoculés le même jour avec du
virus rabique provenant d'un chien enragé, transmis
à des lapins jusqu'à la quatrième génération et
ayant présenté, à la dej'nière inoculation, une période
— 135 —
d'incubation de quatorze jours. Chez trois de ces
chiens, on commença les inoculations préventives
vingt-quatre heures après la trépanation : deux autres
servirent de témoins. Ceux-ci tombèrent malades le
douzième et le treizième jour après la trépanation :
l'un succomba à la rage au bout de trente-six heures ;
l'autre fut tué quarante-huit heures après le début
de la période maniaque, à cause de sa tendance
excessive à mordre. Quant aux trois chiens inoculés
préventivement, le premier tomba malade le treiziè-
me jour et succomba trente-six heures plus tard. Le
second présenta les premiers symptômes morbides le
quinzième jour et succomba à la rage le dix-huitième
jour. Le troisième était encore bien portant vingt-
trois jours après la trépanation.
M. von Frisch a inoculé le même jour six lapins en
leur pratiquant une INJECTION sous-cutanee avec de
la moelle cervicale provenant d'un chien atteint de
« rage de rue ». Trois de ces animaux furent soumis
au traitement préventif; la première inoculation fut
faite 24 heures après l'injection . Les trois autres ani-
maux ne furent pas inoculés, ils servirent de témoins.
Tous ces lapins, aussi bien ceux qui avaient été ino-
culés que ceux qui servaient de témoins, étaient en-
core en bonne santé quatre semaines après l'injection.
Il résulte de ces expériences — dit M. von Frisch
— quonne peat ni cht^ las lapins, ni che^ les chiens,
entraver l'apparition de la ra^e par les inoculations
préventives de M. Pasteur, lorsque le virus (d'une pé-
riode d'incubation de 14 jours au minimum) est trans-
mis aux animaux par la voie sûre de la trépanation.
13G —
BEFLEXIONS SUR CES EXPERIEN'CES.
Les très remarquables expériences du profes-
seur von Frisch, de Vienne, sur la prétendue pro-
phylaxie pastorienne de la rage, semblent avoir
eu pour but « la recherche de l'absolu », ce qui
n'est pas pour déplaire à M. Pasteur, grand
amateur de précision, comme on sait.
Pour déterminer la valeur de la prétendue pro-
phylaxie pastorienne, il fallait, en effet, possé-
der la « rage absolue i, et lui opposer les inocu-
lations pastorienhes.
Comme contre-épreuve, il importait de se pla-
cer dans les conditions de rage contingente et
éventuelle, et opposer à celle ci les mêmes inocu-
lations.
Von Frisch a donc fait deux séries d'expérien-
ces qui, toutes deux, ont réduit à néant les pré-
tentions de M. Pasteur,
La première série d'expériences consiste, rap-
pelons-le, à donner la rage d'une façon inévita-
ble. Par sa seconde série d'expériences, le savant
professeur de Vienne place ses animaux dans les
conditions où se contracte habituellement la rage.
C'est-à-dire que, dans sa première série d'ex-
périences, von Frisch inocule directement la ma-
tière rabifique au sein même de la moelle. Dans
— 137 —
la seconde série d'expériences, c'est sous la peau
qu'il introduit cette matière rabique.
Ce qu'il voulait donc, c'était d'obtenir la rage
d'une façon certaine et absolue — et de l'obtenir
à jour fixe — de façon à déterminer si les ino-
culations pastoriennes, dites préventives, retar-
daient l'apparition de la rage soit de quelques
jours, soit indéfiniment (ce qui équivaudrait à la
préservation).
En conséquence, il inocula par trépanation de
la substance nerveuse d'un chien enragé dans le
bulbe d'un certain nombre de lapins et, à la troi-
sième génération (1), il obtint une rage, dont la
durée d'incubation était de seize jours.
Cette rage absolue dans sa production et fixe
dans son incubation, étant obtenue, il l'inocula
par trépanation à 10 lapins. Puis voici ce qu'il
fit et voici ce qui advint.
Un seul des lapins ne fut pas inoculé par le
bouillon moelleux, dit piéservateur, et suivant
la méthode pastorienne. Il devait servir de té-
moin. Eh bien, ce lapin mourut de la rage, le
vingt et unième jour après la trépanation.
(1) On entend par généralion l'inocula lion qui est
successivement répétée d'un animal à l'autre. Exemple; :
Le lapin n" 1 est inoculé, puis succombe, sa moelle
sert à l'inoculation du n" 2 qui succombe, et ainsi de
suite.
— 138 —
Quant aux 15 autres lapins, ils furent inoculés
par le bouillon dit préservateur, et inoculés de
jour en jour. Tous moururent de la. rage et
tous moururent dans le même tem,ps que le lapin
non inoculé.
De sorte que l'inoculation pastorienne dite pré-
servatrice, non seulement ne préserva de la rage
AUCUN des animaux, mais même ne retarda
chez AUCUN l'apparition de celle-ci. En somme,
il se passa sur les lapins du professeur von Frisch,
ce qui se passe tous les jours sur les inoculés de
M. Pasteur à l'Ecole normale.
On ne pouvait pas plus complètement échouer ;
on ne pouvait pas plus complètement démontrer
que la méthode pastorienne, dite préservatrice
de la rage, n'en préserve absolument pas.
C'est là une première démonstration de von
Frisch contre Pasteur.
Voici la seconde :
Ce n'est pas par trépanation, c'est par morsure
qu'on contracte habituellement la rage, c'est-à-
dire par inoculations sous-cutanées. En consé-
quence, von Frisch, pour se rapprocher des con-
ditions habituelles de transmission de la rage,
injecta sous la peau de six lapins une dissolution
de la moelle cervicale d'un chien enragé : trois
de ces lapms furent inoculés avec les bouillons
— 139 —
pastoriens et trois ne le furent pas. Or^ ceux-ci
ne devinrent pas plus enragés que ceux-là.
Cette expérience est donc absolument l'inverse
de la première, dans laquelle tous les anhiiaux
meurent ; tandis qu'ici aucun ne devient malade.
Ce qui démontre : 1° Que ce ne sont pas les
inoculations pastoriennes qui préservent ; 2" Que
l'on ne devient pas nécessairement enragé pour
avoir été mordu (ou inoculé sous la peau).
Ce qui démontre, comme corollaire, que la
plus grande partie des mordus de M. Pasteur ne
devaient pas devenir enragés, et que ses fameu-
ses statistiques ne prouvent pas ce qu'il prétend
qu'elles prouvent.
Mais, il est très possible que quelques-uns des
lapins de la deuxième série des expériences de
von Frisch (inoculés pastoriennement ou non, ce
qui revient au même, l'inoculation préventive ne
servant à rien), il est très possible que quelques-
uns de ces lapins deviennentenragés d'ici à quel-
que temps, la période d'incubation étant indé-
terminée pour les inoculations ou les morsures
sous-cutanées.
On retombe alors dans le cas des inoculés de
M. Pasteur qui n'en sont pas moins morts enra-
gés quelques semaines après les inoculations pré-
ventives et même sept mois après celles-ci (Ma-
thieu Videau).
— 140 -
En résumé, quand les conditions de transmis-
sion de la rage sont absolues, les inoculations
pastoriennes ne préservent absolument pas.
Quand les conditions de transmission de la rage
sont éventuelles, les inoculations pastoriennes
ne préservent pas davantage, puisque, dans les
dites conditions, la rage peut ne pas apparaître.
Quod erat demonstrandum.
REPONSE DE M. PASTEUR AU PROFESSEUR
VON FRISCH
Les expériences de von Frisch étaient con-
cluantes et M. Pasteur ne pouvait rester sous le
coup d'une aussi accablante déception. Aussi,
répondit-il, au professeur viennois dans la com-
munication qu'il fit à l'Académie des Scien-
ces le 2 octobre. La réfutation du maître est
vraiment surprenante. Elle est contenue dans
ces lignes étranges que nous reproduisons tex-
tuellement :
« 11 me reste à faire connaître à l'Académie les ré-
sultats de nouvelles expériences sur les chiens.
On pouvait objecter à la pratique habituelle des
vaccinations de l'homme après morsure, fondée sur
la vaccination des chiens avant morsure, que l'im-
munité des animaux n'avait pas été suffisamment
démontrée après leur infection certaine par le virus
_ 141 —
raJDique. Pour répondre à cette objection, il suffit de
produire l'état réfractaire des chiens après trépana-
tion et inoculation intra-crânienne du virus de la
rage des rues. La trépanation est le mode d'infec-
tion le plus certain et ses effets sont constants.
Mes premières expériences sur ce point remon-
tent au mois d'août 1885. Le succès avait été ¥A.Kimi..
Dans le cours de ces derniers mois, j'ai repris ces ex-
périences aussitôt cfue le service de la rage m'en a
laissé le loisir. Voici les conditions de leur réussite :
la vaccination doit commencer peu de temps après
l'inoculation, dès le lendemain, et l'on doit y procé-
der rapidement, donner la série des moelles préser-
vatrices en vingt-quatre heures et même dans un
délai moindre, puis répéter, de deux en deux heures,
le traitement une ou deux fois.
Si le docteur de Frisch (de Vienne) a échoué dans
des expériences de ce genre, cet échec est dû à la
méthode de vaccination lente qu'il a adoptée. Pour
réussir, il faut, je le répète, procéder rapidement,
vacciner les animaux en peu d'heures, puis les re-
vacciner. On pourrait formuler ainsi les conditions
de réussite ou d'échec de ces expériences : le succès
de la vaccination des animaux, après leur infection
par trépanation, dépend de la rapidité et de l'inten-
sité delà vaccination.
L'immunité conférée dans de telles conditions est
la meilleure preuve de l'excellence de la méthode. »
— H2 —
COMMENTAIRES SUR LA. REPONSE PASTEUR.
Dans cette partie de la communication de M.
Pasteur, l'invraisemblable le dispute à l'irra-
tionnel, et l'incohérence du langage s'ajoute à
l'incohérence des doctrines.
La vaccination (1), dit M. Pasteur, « doit com-
mencer peu de temps après l'inoculation, dès le
LENDEMAIN. » — « Pcu dc tcmps », c'cst-à-diro
afin que le virus rabique « naturel » inoculé au
bulbe du chien n'y ait pas produit de trop grands
ravages. Pourquoi dès lors attendre vingt-quatre
heures ?
« Et l'on doit y procéder (à Ira vaccination) ra-
pidement, donner (sous la peau et par injections),
la série des moelles préservatrices en vingt-qua-
tre heures et «. même dans un délai (2) moindre».
Qu'est-ce que cela veut dire ? L'espace de temps
doit-il être de vingt, dix ou cinq heures ? M.
Pasteur nous le laisse ignorer. Il ne nous dit pas
si le « délai » de vingt-quatre heures peut faire
(1) On sait que, par un abus de langage volontaire,
M. Pasteur appelle « vaccination » son inoculation dti
moelles diluées.
(2) « Délai » est mis ici pour « espace de temps » ;
c'est là une de ces impropriétés de langage dont M.
Pasteur (de l'Académie française) est si coutuiuier.
— 143 —
échouer la vaccination ; ni dans combien de cas
elle a échoué alors. — Et, si la vaccination a
échoué dans ce «délai », pourquoi conseille-
t-il vingt- quatre heures ? Si elle n'a pas échoué,
pourquoi conseille-t:il un « délai » moindre ?
« Puis » répéter, de deux en deux heures,
le TRAITEMENT a UUC » OU « dCUX » folS. » Cc paS-
sage est absolument et volontairement incom-
préhensible. Voyons : que veut dire « traite-
ment ? » Est-ce la vaccination ? Mais il conseille
plus haut de la pratiquer en vingt-quatre heures.
Comment peut-on la pratiquer en vingt-quatre
heures, puis la répéter de deux en deux heures !
— Et comment peut-on, après l'avoir pratiquée
« en vingt-quatre heures », de deux ex deux
HEURES, répéter la chose UNE OU DEUX FOIS !
Ici l'équivoque est évidente ; et l'échappa-
toire ne l'est pas moins. En effet, si vous prati-
quez la vaccination en vingt-quatre heures et
que vous échouiez, M. Pasteur vous objectera
que vous l'auriez dû faire dans un « délai »
moindre. Si vous l'avez fait dans un moindre
espace de temps, et que vous échouiez, M. Pas-
teur vous dira que vous n'avez pas répété
(chose impossible) le traitement (chose incom-
préhensible) de deux en deux heures. Et si
(chose irréalisable) vous aviez répété le traite-
ment (??) de deux heures en deux heures et que
— 144 -
vous échouiez, M. Pasteur vous objecterait que
vous ne l'avez pas répété a une » ou « deux
fois ».
De sorte que ce passage, volontairement in-
compréhensible, ne contient pas moins de trois
échappatoires. Et nous demandons sincèrement
pardon à nos lecteurs d'avoir à les faire ressor-
tir. Il est pénible, en effet, d'avoir à démontrer à
quels subterfuges s'est abaissé ce pauvre chimis-
te fourvoyé dans la médecine.
Voilà pour le modus faciendi de la nouvelle
méthode. Voici maintenant pour son modus
agendi.
M. Pasteur inocule par trépanation la matière
nerveuse de la « rage des rues » : puis, quelques
heures après, il inocule sous la peau la matière
nerveuse de la « rage de laboratoire » ; puis, de
deux en deux heures, il sature et sursature de sa
rage de laboratoire l'animal trépané qui se
trouve avoir ainsi deux rages : une dans son
bulbe qui se diffuse dans son système nerveux ;
l'autre sous sa peau qui se diffuse dans son
appareil circulatoire (lymphatique et sanguin).
La rage de laboratoire va ainsi au devant de la
rage des rues et l'étouffé sous sa masse ; car
elle est en plus grande abondance et arrive par
bataillons pressés, de deux en deux heures.
C'est affaire de quantité et non plus de qualité.
— 145 —
Et, chose étrange ! cette rage de laboratoire,
si puissante à l'égard de la rage des rues, est
impuissante à l'égard de l'organisme qu'elle
inonde ; car elle n'y produit rien d'appréciable,
pas plus au point de vue local qu'au point de
vue général. Tout s'accomplit dans le plus pro-
fond mystère.
Et ces choses mystérieuses, combien de fois
et dans quelles conditions M. Pasteur les a-t-il
observées ? Comment sait-il que les chiens sur
lesquels il a opéré ne deviendront pas enragés,
malgré ses inoculations dites préventives? M.
Pasteur ne le dit pas.
Or, nous pouvons, d'après son texte même,
affirmer que ses expériences sont récentes, puis-
qu'il les a faites dans le cours de ces derniers
mois. Mais, dans le cours de ces derniers mois,
il n'a pu tenter qu'un nombre restreint d'expé-
riences ; et, puisque ces expériences sont récen-
tes, il ne sait évidemment pas ce que devien-
dront ses chiens dits « préservés ».
Les expériences mystérieuses dont parle M.
Pasteur ont été évidemment tentées pour réfu-
ter celles de von Frisch, de Vienne, auquel il
reproche la « méthode de vaccination » lente
qu'il a adoptée. Mais M. von Frisch n'a rien
adopté, il n'a fait que suivre, en disciple docile
et enthousiaste, la méthode qu'il avait vu prati-
— 146 ^
quer à l'Ecole normale. Il est bien évident qu'ici
M. Pasteur tente d'accuser M. von Frisch d'avoir
suivi une méthode mauvaise alors que cette mé-
thode était précisément celle de l'Ecole normale.
On a rarement vu pousser l'absence de probité
scientifique à un tel degré pour soutenir une
cause en détresse.
a J'ai repris les expériences de von Frisch
dans le cours de ces derniers mois »,dit M. Pas-
teur. Mais de quels mois s'agit-il ? Cela ne peut
être évidemment que depuis la publication des
travaux du savant allemand qui a eu lieu en sep-
tembre 1886. Or comme la note aux Académies
est du 2 novembre, les expériences Pasteur
n'ont pu être faites qu'en octobre, époque à la-
quelle le grand chimiste a modifié son modus
faciendi. Mais tous les physiologistes au cou-
rant de la méthode savent que ces expériences
demandent plusieurs mois pour être exécutées
et surtout pour être concluantes. Il ressort du
simple exposé de ces dates que M. Pasteur, sem-
blable à ces médecins peu scrupuleux qui pu-
blient des observations fabriquées de toutes piè-
ces, affirme avoir répété des expériences qu'il
n'a pas eu le temps- matériel d'exécuter. Ce
n'est pas la première fois que nous avons l'occa-
sion de signaler l'absence de bonne foi chez le
thaumaturge de l'Ecole normale.
— 147 —
Mais il est encore dans cette communication
de M. Pasteur un passage où se trouve un aveu
bien involontaire, et dont la conséquence inat-
tendue est écrasante aussi bien pour la méthode
dite « intensive » que pour la méthode des ino-
culations antirabiques en général.
Ce passage, le voici : « Mes premières expé-
riences sur ce point remontent au mois d'août
1885. »
« Sur ce point» veut dire l'inoculation sous-
cutanée, dite préservatrice, à des chiens inocu-
lés dans leur bulbe après trépanation ; cette
trépanation étant « le mode d'infection le plus
certain » (Pasteur).
D'où il appert que M. Pasteur a pratiqué sur
l'homme le 6 juillet 1885 (sur le petit Meister) ses
inoculations antirabiques avant d'avoir acquis la
certitude expérimentale de leur efficacité sur le
chien.
Ce n'est pas tout : il avoue encore que ses ex-
périences tardives sur les chiens ne lui ont don-
né qu'un « succès partiel ». Un succès « partiel »
implique des insuccès. M. Pasteur se garde bien
de nous dire le nombre et n'en continue pas
moins ses audacieuses inoculations sur l'hom-
me.
Mais le plus fort est qu'il n'a essayé sur le
chien sa méthode dite « intensive » qu'après l'a-
~ 148 —
voir appliquée sur l'homme. En effet, il dit que,
« très troublé » en voyant mourir de rage ses
Russes de Smolensk. il résolut de faire aux au-
tres trois inoculations par jour au lieu d'une
seule. Et, « comme il n'avait pas d'accident i>, il
a continué. Or, les expériences destinées à lui
démontrer sur les chiens l'efficacité de la mé-
thode dite intensive, M. Pasteur ne les a faites
que « dans ces derniers mois », et nous avons vu
ce qu'il fallait entendre par ces paroles. Ainsi,
dans sa témérité d'empirique « troublé i, le chi-
miste de l'Ecole Normale a renversé l'adage
médical et humain : « Experbnentum facia-
mus in anima vili ! ». Uanima vilis ici c'est
l'homme.
Evidemment M. Pasteur, malade sans doute,
ne savait plus exactement ce qu'il faisait: Il a
agi « au petit bonheur t>. Mais ce n'est pas avec
de tels arguments qu'on peut sauver la vacci-
nation antirabique et convaincre l'Europe scien-
tifique.
CHAPITRE IX
LA MÉTHODE PASTEUR A L'ACADÉMIE DE
MÉDECINE DE PARIS. — LE PROFES-
SEUR COLIN.
L'Académie de médecine avait d'abord accueil-
li avec un certain enthousiasme les étranges
communications de M. Pasteur. Les faits parais-
saient bien étranges, mais personne n'avait pu
les contrôler, il fallait les admettre ou mettre en
doute la bonne foi de l'inventeur.
Or, M. Pasteur avait été considéré jusqu'à ce
jour par la docte assemblée comme le savant
par excellence, le savant impeccable. L'Acadé-
mie lui fit donc bon accueil à la fin de l'année
1885 lorsqu'il fit sa première communication. A
part une protestation très énergique de M. Jules
Guérin, on crut ou on feignit de croire â la mé-
thode curative.
Mais les faits surprenants que nous avons re-
latés dans cette étude, les réclames charlatanes-
ques répandues à profusion par les amis du
maître, puis les nombreux décès survenus fini-
9
— 150 —
rentpar ouvrir les yeux à ceux qui avaient vrai-
ment le désir de connaître la vérité.
Au mois de mai 1886, l'Académie fut plus ré-
servée lorsque le maître vint lui parler delà rage
du loup et de la mort des Russes. Quelques
membres furent même très surpris et froissés
de son attitude hautaine et de la colère qu'il ma-
nifestait en présence de la plus légère contradic-
tion.
Le 2 octobre 1886, M. Pasteur n'osa pas se
présenter pour lire sa communication dans
laquelle il préconisait la nouvelle méthode pro-
gressive, préventive et intensive. Il fit lire la
note par le secrétaire perpétuel. M. Béclard.
Celle-ci ne fut pas écoutée et on eut beaucoup
de peine à faire cesser les conversations particu-
lières. Cinq ou six fidèles seulement avaient osé
applaudir.
Un homme cependant, froissé sans doute du
pauvre accueil fait au savant dont il avait parta-
gé les errements et imité les procédés de récla-
me se leva, prononça quelques phrases ronflan-
tes et traita d'obscurs blasphémateurs.^ les mé-
decins qui mettaient en doute l'infaillibilité du
Grand Pasteur.
Cet homme était le professeur Vernouil qui
avait, une année auparavant, prononcé un dis-
cours dan,s lequel il se proclamait le seul chirur-
— 151 —
gien honnête et jetait la calomnie sur ses con-
frères.
M. Verneuil ne recueillit que le ridicule au-
quel il est clu reste habitué.
Enfin, le 9 novembre 1886, M. le professeur
Colin, d'Alfort, protesta, au nom de la science
et du sens commun, contre les assertions fantai-
sistes du chimiste de l'école normale.
Voici la communication de M. Colin :
J'aurais depuis longtemps dit ma pensée sur
les vaccinations rabiques, charbonneuses et au-
tres, si on m'eût donné la parole aux rares séan-
ces où M. Pasteur nous a apporté le résultat
de ses travaux. L'expression de mes doutes, de
mon incréduhté à l'endroit de beaucoup de points
de ses communications, lui aurait fourni l'occa-
sion très belle et certainement très enviable de
Jeter des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.
Ces torrents de lumière, je viens les réclamer
pour moi et pour ceux qui n'ont pas la vue aus-
si perçante que les admirateurs du grand maître.
Tout ce que je vais dire se rapportera à la
question de savoir si les résultats indiqués dans
la statistique de M. Pasteur donnent la mesure
de la valeur des inoculations rabiques, dites pré-
— 152 -
ventives, telles qu'elles ont été pratiquées jus-
qu'à ce moment.
D'abord, il me paraît impossible d'accepter,
sansun sérieux examen, les chiffres effrayants
de la statistique de M. Pasteur. En un an et
quelques mois, 2,400 individus sont verrus rue
d'Ulm faire traiter leurs morsures d'animaux en-
ragés. Que ces 2,400 individus soient venus là,
après avoir été mordus par des chiens, des loups
ou des chats et qu'ils y aient été traités, c'est ce
dont je ne doute pas, puisqu'on les a comptés.
Mais, que ces 2,400 individus dont 1,700 Français
aient été mordus par des animaux enragés, sûre-
ment enragés, c'est ce que, malgré tous mes
efforts, je ne puis admettre. Aucune statisti-
que passée ou présente ne changera ma convic-
tion, car je sais avec quels éléments ces statis-
tiques sont dressées. Ces éléments, dans une
foule de cas, sont recueillis par des gens incom-
pétents ; ils ne sont pas contrôlés, ni même très
souvent susceptibles de contrôle.
Voici, par exemple, un chien triste depuis
quelques jours, qui, sans motif apparent, s'échap-
pe du logif) de son maître, se jette sans provoca-
tion sur les hommes et les animaux qu'il rencon-
tre en son chemin . On le poursuit et on le lue. Ce-
lui-ci est, à peu près, certainement enragé. Mais
voilà un autre chien qui, dans la rue, est agacé
— 153 —
et maltraité. Il lui prend fantaisie de donner un
coup de dent à un passant. On tombe sur le dé-
linquant à coups redoublés. Naturellement il se
défend d'un air furieux, féroce. Sa physionomie
étrange confirme les spectateurs dans l'idée que
l'animal peut être enragé, et il est mis au même
rang que l'autre. Si, dans la localité ou au voi-
sinage, il se trouve un vétérinaire, on songe à
l'autopsie. Mais comme il y en a 30 à 40 par dé-
partement, 1 pour 10 ou 15 communes, l'autop-
sie n'est pas faite, ou, si elle l'est, elle ne donoe
qu'une présomption au lieu d'une certitude.
Pour peu qu'on trouve-une légère rougeur à la
gorge, quelques brins de foin ou de paille dans
l'estomac — et il s'en trouve sur tous ceux qui
n'ont pas l'avantage de manger à table — on
incline à déclarer l'animal enragé. On le fait en-
core pour uae foule de raisons : parce que le
chien a mordu et qu'il a paru furieux, parce
qu'on a cru devoir le tuer, enfm, parce que, dans
le doute, il est toujours bon de prendre des pré-
cautions, de cautériser les individus blessés, de
surveiller les animaux mordus, et, d'ailleurs,
parce qu'il n'y a aucun inconvénient à éclaircir
la population canine en abattant un certain nom-
bre de ses blessés.
Dans les cas du genre de ceux-là qui sont les
plus communs, il n'y a pas de certitude. L'au-
9"
— 154 —
topsie seule faite avec le plus grand soin ne peut
la donner, même en y ajoutant l'examen micros-
copique fait par le vétérinaire le plus habile, fùt-
il de la force des Kœllicker ou des Ranvier.
Cette certitude ne peut être acquise qu'au vu de
l'animal vivant, malade et surtout périssant pa-
ralysé quelques jours après la manifestation des
premiers symptômes rabiques. Aussi faut-il, tout
en commençant, déduire du nombre total des
animaux donnés comme enragés par les statis-
tiques un nombre considérable mais indétermi-
né de non- enragés. Par conséquent, il faut de
même déduire, dans celle de M. Pasteur, du
chiffre des personnes mordues un chiffre égale-
ment considérable représentant les mordus pour
le compte desquels les résultats du traitement
antirabique ne prouvent absolument rien.
D'ailleurs, il importe de remarquer que le chif-
fre total englobant les deux catégories de mor-
dus est beaucoup mcins élevé dans les statisti-
ques officielles que dans celles de l'École norma-
le. En voici une toute récente qui le prouve de
la façon la plus nette et la plus sûre. Elle éma-
ne du Ministère de l'Agriculture et elle est dres-
sée par application de la nouvelle loi sur la poli-
ce sanitaire. Ce qui lui donne de l'intérêt, c'est
qu'elle est dressée, mois par mois, pour la pré-
sente année. Les mordus qui y figurent sontceux
— 155 —
que M. Pasteur doit avoir eus pour clients. Or,
je trouve clans cette statistique ministérielle que
j'ai sous la main :
En octobre 1885. 24 personnes mordues
En novembre . , . . 18
En décembre. ... 15 —
En janvier ISSfi. . 40 —
En février. . 21
En mars >.. 40 —
En avril 17 —
En mai 25 —
En juin..., 21 —
En juillet ... 50 —
En août 36 —
En septembre.. . 44 —
Total pour les 12 mois 351 personnes.
En moyenne 29 personnes par mois.
D'après cette statistique, dont je ne suis pas
chargé de garantir l'exactitude, il y a beaucoup
plus d'animaux mordants que de personnes
mordues. Pour l'année entière il a été abattu
1,713 de ces animaux, savoir : 1,697 chiens et 16
chats, de sorte qu'il a tallu 4 chiens 8 dixièmes
pour mordre une seule personne. Cette particu-
larité suffit seule à montrer que de ces animaux
occis, une fconne partie ne devaient pas être en-
— 156 —
ragés, car s'ils l'eussent été tous, ils auraient
réussi à marquer de leurs dents un bien plus
grand nombre de victimes.
En tout cas, il y a loin de ce nombre 351 à ce-
lui que donne la statistique des individus soumis
aux injections antirabiques. L'écart est de plus
de 1,000, puisqu'il faut retrancher des l,72ô Fran-
çais les 350 qui ont été traités antérieurement au
mois d'octobre 1885.
Qu'on tienne ou qu'on ne tienne pas compte
de cet écart entre les deux statistiques, il est
une première défalcation à faire dans le nombre
des individus traités. Il faut, au point de vue de
la valeur du traitement, retrancher de ce nom-
bre celui des individus mordus par des chiens
non enragés, chiens qu'on a crus rabiques ou
déclarés tels d'après de vagues indices ou des
constatations insuffisantes.
Une deuxième défalcation est non moins né-
cessaire que la précédente. Chacun sait que tous
les individus, hommes ou animaux, mordus par
des chiens enragés ne contractent pas la rage,
quoiqu'ils ne soient soumis à aucune espèce de
traitement. C'est là un fait d'observation con-
firmé par un grand nombre d'expériences sou-
vent répétées dans les Ecoles vétérinaires. Tous
ces individus ne la contractent pas, ne peuvent
pas la contracter, pour une foule de raisons.
— 157 —
Souvent, la dent est sèche et ne porte rien dans
la plaie ; lorsqu'elle est humide, elle s'essuie en
traversant les vêtements ou en passant entre les
poils. Lorsqu'elle porte la salive dans la plaie,
ce peut être en quantité insuffisante, ou bien
cette salive est entraînée par l'hémorrhagie, ou
encore, bien qu'elle reste, ne s'absorbe pas, soit
parce qu'elle se mêle à l'exsudat, se dessèche avec
lui et se comporte comme un corps étranger; en-
fin, c'est que, dans certains des cas où elle est
absorbée, elle peut encore être neutralisée ou
détruite sous des influences inconnues.
Quoiqu'on ne puisse pas établir exactement
la proportion des sujets qui doivent, pour ces
diverses causes, éviter la contagion rabique, —
car cette proportion est variable suivant les con-
ditions où se trouve l'animal qui mord, — on
est fondé à affirmer qu'elle est assez forte. Les
expériences de M. Renault ont fait voir que sur
dix chiens couverts de morsures dans des com-
bats acharnés avec des rabiques de leur espèce,
la moitié échappe quelquefois aux suites de ces
morsures. Comme l'homme paraît avoir moins
d'aptitude que le chien à contracter la rage, il
doit vraisemblablement se montrer réfractaire
dans une proportion encore plus forte que le car-
nassier.
Aux deux défalcations précédentes qui rédui-
— 158 —
seïit déjà de beaucoup le nombre des individus
à traiter, il faut en ajouter une troisième et fort
importante, celle des sujets cautérisés, j'entends
assez bien cautérisés pour éviter les suites des
inorsures .
l'importance de la cautérisation.
La cautérisation qui est appliquée aujourd'hui
à la presque totalité des sujets mordus, n'est pas
appréciée à sa juste valeur, parce qu'on s'imagi-
ne que les inoculations rabiques la réclament,
sous peine d'inefficacité, dans des délais très
courts. C'est là une grande erreur. La salive,
surtout quand elle est épaisse et filante ou sous
forme de bave, est un liquide peu diffusible, peu
miscible à l'eau, à la sérosité et au sang, peu
apte à pénétrer les tissus et à former des courants
osmotiques. Elle demeure longtemps dans les
solutions de continuité avant d'imbiber les tissus
et d'entrer dans les absorbants. Elle est encore
au lieu du dépôt au moment où une foule d'au-
tres liquides auraient complètement disparu.
Aussi la cautérisation, si elle est suffisamment
étendue et profonde, peut-elle être efficace, mê-
me longtemps après la morsure. Il est à peu près
certain qu'elle préviendrait la rage sur tous les
sujets, si elle était appliquée exactement, dans
— 159 —
de courts délais et que, par conséquent, elle pour-
rait rendre les autres traitements superflus.
A cette cautérisation, mieux pratiquée aujour-
d^ui qu'autrefois et sur la presque totalité des
sujets mordus, il faut, en bonne logique, pour
être juste, rapporter une grande partie des cas
de préservation mis à l'actif de la vaccination
rabique.
Si, maintenant, nous additionnons les sujets
des trois groupes à déduire de la somme totale
des sujets traités, savoir : 1^ les mordus par ani-
maux non enragés ; 2^ ceux sur lesquels les mor-
sures ne devaient pas avoir de suites fâcheuses ;
3^ ceux qu'une cautérisation efficace a préser-
vés, il nous reste les sujets pour lesquels la vac-
cination ou un autre traitement pouvait être
utile. Quoique nous n'ayons pu arriver à la dé-
termination du nombre des sujets de chacun
des trois premiers groupes, celui que nous cher-
chons est tout trouvé : c'est le nombre des mor-
dus qui mouraient annuellement avant l'emploi
du traitement de M. Pasteur. Ce nombre, d'a-
près les statistiques les plus sérieuses, est une
trentaine par an. Il ne devrait être augmenté
que si celui des animaux enragés s'était accru,
et il devrait être réduit si, ce qui est très proba-
ble, le traitement par la cautérisation était mieux
— 160 —
appliqué et dans une plus forte proportion qu'au-
trefois.
En admettant que le nombre des condamnés
à mort à la suite des morsures rabiques soit en
moyenne de trente, nous arrivons à porter à cfTx-
huitou à vingt celui des sujets que la vaccina-
tion a graciés.
RÉSULTATS REELS DU TRAITEMENT.
Les résultats du traitement employé par M.
Pasteur ne sont donc pas ce qu'ils paraissent être
à première vue. S'ils semblent en démontrer
l'efficacité dans un certain nombre de cas, ils
prouvent aussi que ce traitement échoue fort
souvent. M. Pasteur signale dix ou douze échecs
parmi les sujets français : on en acompte trente-
quatre à l'étranger. La méthode des inoculations
rabiques telle qu'elle a été appliquée jusqu'ici
n'a donc pas la sûreté, lïnfaîllibilité qu'on vou.
lait lui attribuer dès le début.
On aurait pu cependant, dès les premiers mo-
ments, se fixer exactement sur sa valeur par l'ex-
périmentation sur les animaux. Il fallait, par
exemple, faire mordre cent, deux cents chiens
par un enragé ou par plusieurs, diviser les mor-
dus en trois lots : un d'animaux abandonnés,
un de cautérisés et un de vaccinés. On aurait vu,
en quelques mois, dans quelle proportion les
- 161 —
animaux non traités contractaient la rage, dans
quelle autre les cautérisés et les vaccinés échap-
paient à la maladie. Dans des séries parallèles
on aurait déterminé la valeur relative des cau-
térisations et des vaccinations tardives ou à bref
délai, celle des vaccinations simples ou réitérées
avec virus faibles ou énergiques.
Si j'avais eu l'honneur de faire partie de la
commission chargée de suivre des expériences
à ce sujet, j'aurais demandé celles-là. La com-
mission désignée semble avoir été moins exi-
geante que moi. On ne sait pas au juste ce qu'el
le a demandé ni ce qu'elle a vérifié, et personne,
je crois, ne se souvient des résultats de son con-
trôle.
LES INOCULATIONS CHARBONNEUSES.
Pour moi, je n'ai jamais cru à rinfailUbllité
du traitement antirabique, et ce qui m'a empê-
ché d'y croire, avant tout essai, ce sont les ré-
sultats des inoculations ou des vaccinations pré-
ventives en ce qui concerne les maladies char*
bonneuses. J'avais vu, avant les vaccinations
préventives du charbon par les virus atténués,
que les inoculations de petites quantités de sang
charbonneux plusieurs fois répétées dévelop-
10
— 162 —
pent l'immunité sur le chien, sur l'àne, sur le
cheval, au point qu'à un certain moment il me
devenait impossible de tuer, même de rendre
malade les animaux avec des doses virulentes
énormes ; mais j'avais vu, en même temps, que
cette immunité n'est pas acquise partons les in-
dividus, qu'elle est d'une durée limitée, qu'elle
s'éteint tantôt insensiblement, tantôt tout d'un
coup, et qu'enfm les inoculations tentées dans
le but de l'obtenir sont fréquemment dangereu-
ses et reproduisent la maladie sous une forme
mortelle. Les preuves de la priorité de mes ob-
servations sont écrites et datées.
M. Pasteur, sur tous ces points, s'est prononcé
dès le début d'une m.anière absolue. Il a déclaré
que ses virus atténués conféraient l'immunité
à coup sur, dans tous les cas, et qu'ils n'expo-
saient à aucun danger. Mais les faits n'ont pas
tardé à contredire ses assertions. Il a fallu vacci-
ner deux ou trois fois pour donner l'immunité,
une immunité temporaire, de très courte durée.
On a tué un grand nombre d'animaux avec des
virus donnés comme inoffensifs. Les insuccès
ont d'abord été niés et cachés, puis ils sont de-
venus si nombreux qu'il a été impossible de les
dissimuler.
— 163 —
DANGER DES VACCINATIONS RABIQ.UES,
Relativement à la rage, la vaccination ne
paraît pas exposer aux dangers qu'entraîne
souvent celle du charbon. Je les craignais au-
trefois et je lôs crains encore aujourd'hui depuis
que j'entends parler de ces vaccinations inten-
sives, coup sur coup, avec les moelles rabiques
du troisième, du deuxième et du premier jour.
Si elles sont réellement actives , on ne voit
pas pourquoi elles ne pourraient faire quel-
quefois renaître la rage, comme les vaccins
charbonneux font renaître le charbon, notam-
ment sur les animaux qui ont une grande apti-
tude à le contracter.
D'autres pourraient penser et vous dire, non
sans vraisemblance, que de tels accidents sont
déjà arrivés à l'insu des vaccinateurs et de tout
le monde. En effet, si, parmi les 10, 12 ou 34 su-
jets morts jusqu'ici de la rage, malgré le traite-
ment, il s'en trouvait dont les morsures n'étaient
pas rabiques ou sur lesquels la cautérisation
avait complètement détruit la matière virulen-
te, ne serait-il pas certain, absolument certain
que la rage leur aurait été communiquée par
les injections préventives ?
— 164 -
Nous faisons tous des vœux et des vœux bien
sincères, dans l'intérêt de l'humanité, pour le
succès de vos tentatives, mais permettez-nous
de peser et de discuter leurs résultats.
CHAPITRE X.
LA RAGE DANS LES HOPITAUX DE PARIS
M. Pasteur a dit que dans les cinq dernières
années, il était mort de la rage soixante personnes
dans les hôpitaux de Paris, et qu'ainsi la moyenne
de la mortalité, par an, dans ces hôpitaux, avait
été de douze.
C'était invraisemblable, mais Tinvraisemblable
pouvait être vrai.
Pour s'en assurer, il fallait remonter aux sour-
ces, c'est-à-dire, aux registres de l'Assistance pu-
blique de Paris. Eh bien, l'invraisemblable n'est
pas vrai.
]1 n'est pas exact que, durant ces cinq derniè-
res années, la mortalité par la rage ait été de 60
dans les hôpitaux de Paris ; elle y a été de 26,
c'est-à-dire, pas même la moitié de celle que
M. Pasteur est venu annoncer sommairement et
sans preuve.
Il n'est pas exact que la moyenne par an, dans
ces cinq dernières années, ait été de 12 ; elle n'a
~ 166 —
été que de 5.2, moitié moindre que celle donnée
par M. Pasteur.
On comprend d'ailleurs de quelle importance
c'eût été pour la méthode préventive de M. Pas-
teur que la mortalité par la rage fût aussi consi-
dérable chaque année dans les hôpitaux de Paris.
Aussi toute son argumentation repose-t-elle
sur cette donnée. Or comme ses assertions sont
inexactes, les déductions qu'il en a tirées s'éva-
nouissent. Nous allons donner tout à l'heure les
chiffres authentiques et officiels ; mais, avant de
le faire, nous citerons le texte même de M. Pas-
teur :
NOTE COMMUNIQUÉE A l'ACADÉMIE DE MÉDECIN.Î
LE 2 NOVEMBRE PAR M. PASTEUR
« Le document suivant s'ajoute à tous les faits
de notre statistique :
« Le nombre des personnes qui meurent de la
rage, à Paris, est très rigoureusement connu
pour les hôpitaux, surtout depuis cinq ans.
8 Par ordre du préfet de police, tout cas de rage
qui se présente dans les hôpitaux de Paris est
immédiatement signalé par le directeur de ces
hôpitaux à M. le D'Dujardin-Beaumetz, membre
du conseil d'hygiène et de la salubrité de la Seine,
— 167 —
qui est chargé de faire une enquête suivie d'un
rapport au Conseil. On sait ainsi, pertinemment,
que, dans les cinq dernières années, 60 personnes
sont mortes de la rage dans les hôpitaux de Paris :
en moyenne, 12 par an. Aucune année, d'ailleurs,
n'a été exempte de morts plus ou moins nom-
breuses. L'an dernier, il y en a eu 21. Or depuis
le 1er novembre 1885 que fonctionne la méthode
préventive de la rage à mon laboratoire, il n'est
mort de la rage, dans les hôpitaux de Paris, que
deux personnes, toutes deux non inoculées, et
une troisième qui l'avait été, mais non par les
traitements intensifs répétés dont je vais parler
dans un moment.»
{Bulletin de l'Académie de Médecine.
séance du 2 novembre.)
On pourrait dire qu'il y a ici presque autant
d'erreurs que de phrases.
1° Il n'est pas mort de la rage 60 individus dans
les hôpitaux de Paris durant ces cinq dernières
années.
2<* La moyenne n'y a pas été de 12 par an.
3" Il est mort de la rage, en 1886, plus de
trois personnes dans les hôpitaux de Paris.
Première proposition de M. Pasteur :
« On sait ainsi pertinemment que, dans les
~ 168 —
a cinq dernières années, 60 personnes sont mortes
a de la rage dans les hôpitaux de Paris.»
Première rectification. — Dans ces cinq der-
nières années, il n'est pas mort 60 personnes dans
les hôpitaux de Paris, il en est mort vingt-six.
(Je ne sais vraiment pas où M. Pasteur a pu
trouver son chiffre de 60 morts.)
Les 2Q cas de morts vrais sont pour :
1881 11 cas
1882 3 —
1883 4 —
1884 3 —
1885 5 -^
Total 26 cas
Les 11 cas de 1881 se répartissent ainsi :
Hôpital Trousseau 1 mort
— Beaujon 3 —
— Lariboisière 1 —
— Pitié 2 —
— Enfants malades 3 —
— Hôtel-Dieu 1 —
Total 11 morts, ci 11
A reporter 11
J
— 169 —
Report Il
Les 3 cas de 1882 ont été ob-
servés à l'hôpital Eeaujon 3 morts, ci 3
Les 4 cas de 1883 ont été ob-
servés à :
Hôpital Trousseau 1 mort
— Necker 2 —
— Enfants malades 1 —
Total... 4 morts , ci 4
Les 3 cas de 1884 ont été ob-
servés à :
Hôpital Trousseau 1 mort
— Saint-Louis 2 —
Total 3 morts, ci 3
Les cinq cas de 1885 ont été
observés à :
Hôpital Lariboisière 3 morts
— Saint-Louis 1
— Hôtel-Dieu 1 —
1 f
Total . . . , 5 morts, ci 5
Total 26 morts, ci 2Q
10*
■ — 170 —
Voici, d'ailleurs, leurs noms :
1881
HÔPITAL Trousseau : i?enawf (Henri),
mort le 30 mars. — Hôpital Beaujon :
Masse (Alfred), mort le 10 juillet; Holu
(Alexis), mort le. 3 novembre : Martin
(Etienne), mort le 29 décembre. — Hôpital
Lariboisière : Potier (Edouard), mort le
10 août. — Hôpital de la Pitié : Becker
(Michel), mort le 22 juin : Cluet, mort le 16
septembre. — Hôtel-Dieu : Chicanot (Cé-
lestin), mort le pr décembre. — Hôpital
DES Enfants Malades: Fhlé (Emile), mort
le 23 juillet ; Fauvet (Charlotte), morte le
25 juillet ; Rull (Greorges), mort le 27 juil-
let ci 11
1882
Hôpital Beaujon : Pedzer (Emile), mort
le 9 août; Aizières (Emile), mort le 19
août ; Millot (Victor), mort le 7 décembre, ci 3
1883
Hôpital Trousseau : Grucy (Alphonse),
mort le 12 mai . — Hôpital Necker : Lam-
bert (Léon), mort le 5 août ; Huette (Ga-
A reporter 14
— 171 —
Report 14
mille), morte le 14 août. — Hôpital des
Enfants Malades : Fauque (Sévérin),
mort le 5 novembre ci 4
1884
HÔPITAL Trousseau : Mathon (Albert),
mort le 13 juin. — Hôpital Saint-Louis :
Paulice (femme Monnet), morte le l^"" mars
iWaf/io (Alphonse), mort le 8 juillet. ... ci 3
1885
Hôpital Lariboisière : Bouillet (Eu-
gène), mort le 19 août ; Bonnenfant (Jac-
ques), inoculé par M. Pasteur et non men-
tionné dans sa statistique mortuaire, mort
le 8 septembre ; Bibiant (François^, mort
le 8 septembre. — Hôpital Saint-Louis :
Schneider (Pierre), mort le 14 août.— Hô-
tel-Dieu : iîaZ/ïn (René), mort le 18 dé-
cembre ci 5
Total général . 26
Ainsi, 26 morts au lieu de 60, première inexac-
titude de M. Pasteur.
Deuxième proposition de M. Pasteur : « En
« moyenne 1.2 morts de rage par an. »
— 172 —
Deuxième rectification : 26 morts divisés par
5 années donnent 5.2 pour moyenne par an. La
moyenne vraie pour ces cinq dernières années est
donc de 5.2 au lieu de 12.
Deuxième inexactitude de M. Pasteur.
Jroisiènte proposition de M, Pasteur: «■ Aucu-
a ne année, d'ailleurs, n'a été exempte de morts
a plus OU moins nombreuses. L'an dernier, il y
c en a eu 21.»
Troisième rectification. — Ce chifîre de 21,
qui vient ici à propos de la mortalité par la rage
dans les hôpitaux de Paris, ne peut vraiment pas
s'y appliquer, puisque la rage y a été, en 1885, de
cinq seulement. Ce chiffre de 21 s'appliquerait
donc à la France entière. Or, on verra tout à
l'heure qu'il est de beaucoup inférieur à celui de
1886, où la mortalité par la rage a été de 30,
c'est-à-dire dans l'année même où la méthode de
M. Pasteur a été mise en pratique.
Quatrième proposition de M. Pasteur : « De-
«puis le 1^^" novembre 1885 que fonctionne la mé-
« thode préventive de la rage à mon laboratoire, il
0 n'est mort de la rage, dans les hôpitaux de Paris,
«que deux personnes, toutes deux non inoculées,
o et une troisième qui l'avait été. mais non parles
« traitements intensifs répétés, dont je vais parler
a dans un moment. »
— 173 —
Quatrième rectification. — Il n'est pas mort
de rage trois personnes seulement de novembre
1885 à novembre 1886, dans les hôpitaux de Pa-
ris. Il en est mort quatre, qui sont :
Raffm, Hôtel Dieu (1886) ;
Rifflandi, Hôpital Beaujon (1886) ;
Clerjot, Hôpital Tenon (1886) ;
Peytel, Enfants-Malades (1886).
Quant à Bonnenfant, mort à Lariboisîère en
septembre 1885, il ne figure nulle part dans les
statistiques de M. Pasteur parmi les cas de mort.
MORTALITÉ PENDANT l' ANNEE 1886
Il n'est pas mort de la rage, malgré les inocu-
lations de M. Pasteur, une personne seulement
dans les hôpitaux de Paris, il en est mort trois,
qui sont :
1° Clerjot ; 2° Peytel ; 3» Bonnenfant. Ce cas de
mort, malheureusement incontestable (il est
prouvé par la feuille officielle émanée de Lariboi-
sière et signée du directeur de cet hôpital) ; ce
cas de mort incontestable ne figure nulle part
dans les statistiques de M. Pasteur.
La mortalité a donc été de 4 dans les hôpitaux
de Paris, dans ces douze derniers moisi dont
deux non inoculés, et deux inoculés.
— 174 --
Or, ce chiffre de 4 morts par la rage est inter-
médiaire à celui de la moyenne pour les cinq der-
nières années, et à celui de la moyenne des 11
années qui ont précédé l'application de la mé-
thode pastorienne, chiffre que nous allons voir
tout à l'heure être de 3.9.
Il était, en effet, intéressant de savoir combien
de sujets étaient morts de la rage en 11 ans, de
1875 à 1885, dans les hôpitaux de Paris.
Eh bien, il en est mort 43.
Que nous voilà loin des 60 morts attribués par
M. Pasteur aux hôpitaux de Paris pour la
période de cinq ans !
Ces 43 morts sont pour :
1875 0 cas.
1876 2 »
1877 3 »
1878 5 »
1879 5 »
1880 2 j .
1881 11 »
1882 3 »
1883 4 »
1884 3 »
1885 5 »
Total 43 cas.
- 175
HOPITAUX DE PARIS
Statistique des
cas de mort par rage.
<
1/2
p
6
H
'o
1
m
.s"
o
O
c
o
ci
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'o
'2
o
ce
13
1
9
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1875
o
Néant
1875
1876
2
1876
2
1877
1
T
1
1877
3
1878
1
1
2
1
1878
5
1879
1
1
2
1
1879
5
1880
1
1
1880
2
1881
1
3
1
2
3
1
1881
11
1882
3
1882
3
1883
1
2
1
1883
4
1884
1
2
1884
3
1885
3
1
1
1885
5
Total
5
3
2
2
11
6
3
4
4
3
Total
43
Mais 43 morts divisés par 11 années donnent
une moyenne de 3.9 ; ou à peu près 4:moris par
an, moyenne bien différente de celle de M. Pas-
teur (12 morts par an) et qui est identique à
celle de 1886.
On remarquera qu'il n'y a eu aucun cas de mort
dans les hôpitaux de Paris en 1875 ; qu'il n'y en
a eu que deux en 1876 et 1880; qu'il n'y en a eu
que trois en 1877, 1882 et 1884 ; que, par consé-
— 176 —
quent, s'il n'y avait eu aucun cas de mort dans
ces 12 derniers mois, il n'en faudrait rien conclure
en faveur de la méthode de M. Pasteur, puisque
cela pourrait rentrer dans le cas de l'année 1875.
Même raisonnement pour les années 1876 et 1880,
1877, 1882 et 1881.
On remarque encore que, sauf l'année 1881, où
la mortalité dans les hôpitaux a atteint le chiffre
11, toutes les autres années présentent les chiffres
nuls ou faibles de 0, 2, 3, 4. Or ce dernier chif-
fre est précisément celui de l'année où la méthode
dite préventive a été pratiquée. C'est donc à peu
près pour Paris comme s'il n'y avait eu rien de
fait.
En somme, M. Pasteur a perdu 14 de ses ino-
culés morts de rage après ses inoculations :
1° Bonnenfant qui a été découvert par hasard
à l'hôpital Lariboisière (et que M. Pasteur a ou-
blié de citer), mort le 8 septembre 1885.
2" Dix qu'il veut bien reconnaître et qui sont :
Lagut, Peytel, Clédière, Moulis, Astier, Videau,
la femme Leduc (70 ans), Marins Bouvier (30
ans), Clerjot (30 ans), Magneron (Norbert) (18
ans).
3" Deux qu'il n'a pas le droit scientifique de
— 177 —
repousser et qui sont : Louise Pelletier (36 jours),
et Moermann, 43 jours après leurs morsures.
4° Christin, qui a été découvert par hasard,
près d'Evian (Haute-Savoie) (et que M. Pasteur
a oublié de citer), mort le 17 juillet 1886.
C'est-à-dire que M. Pasteur a perdu un de ses
inoculés en septembre 1885 et treize de ses inocu-
lés de novembre 1885 à novembre 1886.
Ces 13 morts inoculés, joints aux 17 morts non
inoculés, font bien 30 morts de rage en France
depuis un an, en admettant qu'il n'y ait pas eu
quelque autre mort de rage oublié par hasard.
Ainsi l'année 1886 a eu un nécrologe par la rage
absolument semblable à la moyenne des vingt-
trois dernières années, laquelle est de 30 : on ne
voit guère, après cela, ce que la France a gagné
à la méthode Pasteur.
En résumé, il est inexact que, comme M. Pas-
teur nous l'a dit, il soit mort de rage dans les hô-
pitaux de Paris durant ces cinq dernières années
60 individus ; — il en est mort 26,
Il est inexact que, comme M. Pasteur nous l'a
dit, la moyenne de la mort dans les hôpitaux de
Paris, durant ces cinq dernières années, ait été
de 12 ; — elle a été de 5.2 seulement.
Il est inexact que, comme M. Pasteur nous l'a
^ 178 —
dit, il ne soit mort de rage dans les hôpitaux de
Paris, durant ces 12 derniers mois (où la méthode
a été appliquée), que 3 personnes ; — il en est mort
4. Or ce chiffre 4 est, comme je l'ai déjà dit. pré-
cisément intermédiaire entre 5.2, moyenne des
cinq dernières années, et 3.9, moyenne des onze
dernières années. De sorte que la mortalité par
la rage, dans les hôpitaux de Paris, est restée
absolument ce qu'elle était avant la médication
pastorienne.
Il est inexact que, comme M. Pasteur nous l'a
dit, il ne soit mort de rage que 10 de ses inocu-
lés ; — il en est mort 14.
En résumé encore, M. Pasteur a donc involon-
tairement grossi le chiffre des décès par rage
dansées cinq dernières années et amoindri celui
des cas de mort par rage dans les douze derniers
mois, depuis lesquels on a pratiqué ses inocula-
tions.
Il en résulte qu'il a involontairement faussé
la statistique en indiquant 3 cas de mort (en réa-
lité 4 cas pour ces douze derniers mois;. Aussi
M. Pasteur a très inexactement opposé ces trois
cas de mort (en réalité 4 cas) à une moyenne
inexacte de 12 morts. Par conséquent, enfin, il y
a eu autant de morts par rage, dans les hôpitaux
de Paris, depuis les douze mois de l'inoculation
pastorienne qu'avant cette inoculation.
— 179 —
On peut même dire que dans le cours de ces
douze mois il est mort de rage dans les hôpitaux
de Paris plus d'individus (puisqu'il en est mort 4)
que dans le cours de certaines années où il n'est
mort que 2 ou 3 individus ou même aucun.
On ne voit pas trop, après cela, le bénéflce de
la nouvelle méthode.
Et peut-être trouvera-t-on étrange qu'une mé-
dication, annoncée avec un certain éclat, abou-
tisse à des résultats pareils et s'appuie sur des
chiffres aussi peu exacts.
CHAPITRE XI.
LA MÉTHODE PASTEUR DEVANT LE
CONSEIL MUNICIPAL DE PARIS.
Au moment où il s'est agi de la création de
l'Institut Pasteur, le Conseil municipal de Pa-
ris, de même que tous les conseils municipaux
et généraux a été mis à contribution par les
hommes de l'Ecole normale. Profitant de l'en-
thousiasme qui avait alors envahi la France, on
demandait un terrain dont la valeur dépassait
un million.
Le Conseil municipal ne livra pas les cordons
de sa bourse sans examiner sérieusement la
question. Il a fallu toute la pression administra-
tive et des démarches nombreuses des pastoriens
pour vaincre les résistances très légitimes des
représentants de la ville qui déclaraient avec
raison ne pas être suffisamment édifiés sur la
valeur du nouveau traitement.
On a beaucoup exploité dans la presse pasto-
rienne les opinions téméraires émises par les
— 181 -
édiles de Paris à cette époque. Il suffit de relire
froidement 'aujourd'hui les discours prononcés
pour se rendre compte de leur modération et de
leur justesse. M. Joffrin lui-môme est resté
dans les mesures des strictes convenances.
Parmi les discours entendus à cette occa-
sion, il en est un qui mérite d'être reproduit ici.
Il a été prononcé par M. le H^ Chassaing dans
la séance du 19 mars 1886, c'est-à-dire à une épo-
que où aucun journal n'avait osé encore lutter
contre l'engouement irréfléchi de la nation. On
peut dire que tous les arguments mis en avant
par M. Chassaing se sont trouvés justifiés. No-
tre confrère a été vraiment prophète et, si sa
cause n'a pas été gagnée devant le Conseil, il a
au moins le mérite d'avoir fait entendre une
utile protestation.
Ce n'est du reste qu'avec répugnance que le
Conseil a contribué à la création du célèbre Ins-
titut. 33 membres seulement sur 60 votants ont
accepté la proposition.
Parmi les abstentions ou les votes hostiles se
trouvent des noms appartenant à des opinions
très diverses, ce qui prouve que la politique
était parfaitement étrangère à la question. C'est
ainsi que M. Pasteur s'est trouvé combattu par
MM. Chassaing, Réty, Dufaure, Gamart, et sou-
— 182 —
lenu par MM. Vaillant et Alphonse Humbert,
anciens membres de la Commune.
Nous reproduisons une partie de la remar-
quable argumentation de M. Chassaing. Elle
mérite d'être lue avec attention.
DISCOURS DE M. CHASSAING.
« Je n'appartiens pas à l'école de ces péripatéti-
ciens qui ne disent plus rien quand le maître a
parlé ; j'ai le courage comme le droit, tout en re-
cevant volontiers les enseignements de nos
maîtres, d'y réfléchir, de les commenter, de les
discuter.
Gomme le rappelait tout à l'heure M. Paul Vi-
guier, notre honorable collègue, M. Strauss, nous
dit très justement dans le rapport qu'il nous pré-
sente au nom de la 8^ Commission sur sa propo-
sition :
« Il n'est évidemment pas en notre pouvoir de
nous faire juges, au véritable sens du mot, de la
méthode de M. Pasteur et des résultats obtenus
par elle. Ce serait une singulière confusion que
de remettre le soin de prononcer sur une telle
cause à une assemblée délibérante, si éclairée
soit-elle. Le débat scientifique esta coup sur hors
de notre compétence, étranger à nos attributions
et à notre rôle. »
- 183 -
Comme lui, plus que lui, devrais-jedire, je dé-
sire rester sur le terrain purement municipal ;
mais si, dans le cours de mon argumentation, je
fais une excursion sur le domaine médical, vous
devrez vous en prendre à notre collègue, dont je
vais suivre pas à pas le rapport.
Et d'abord, immédiatement après avoir dé-
claré que le débat scientifique n'est pas de notre
compétence, le rapporteur s'empresse d'ajou-
ter :
« Cette réserve n'est pas pour porter atteinte
aux prérogatives du Conseil. La preuve est faite
ou l'expérience est incertaine ; chacun de nous
est en droit d'opter pour l'une des deux opinions
en présence. La majorité de votre 8^ Commission
a pris partie pour l'opinion soutenue par l'Acadé-
mie des sciences, acceptée par l'Académie de mé-
decine, presque universellement reconnue dans
le monde entier. *
Cest donc l'opinion admise par la majorité de
la 8« Commission que l'on nous propose d'adop-
ter, et le Conseil qui, suivant M. Strauss avec
lequel je suis d'accord sur ce point, « n'a pas à
juger la méthode de M. Pasteur et les résultats
obtenus par elle » , est invité à dire avec M. Strauss
que la création d'un établissement vaccinal
«s'impose comme une mesure d'utilité publique» .
— 184 —
Tels sont les derniers mots du dispositif du pro-
jet de délibération de notre collègue.
Faut-il parler des considérants ? On ne vote
pas, disait-on il n'y a qu'un instant, sur des con-
sidérants, et cependant, à mon avis, ils peuvent
modifier considérablement la portée d'une déli-
bération : l'amendement que vient de vous lire
M. Viguier en est la preuve.
La 8'' Commission les a acceptés, ces considé-
rants ; et l'on y voit que la méthode de M. Pas.
teur « a donné des résultats positifs », et que « la
prophylaxie de tarage est fondée ».
Je m'élève, Messieurs, contre cette prétention
d'ériger le Conseil en académie, et de le faire par-
ticiper à des débats qui sortent de sa compé-
tence.
La ville de Paris peut, si elle le veut, concourir
financièrement ou autrement à l'œuvre entreprise
par M. Pasteur. Mais doit-elle dire que la méthode
pastorienne a donné des résultats positifs, qu'il
lui est actuellement démontré que la création
d'un établissement vaccinal s'impose comme une
mesure d'utilité publique ?
Un nombre considérable de malades, nous dit
M. Strauss, ont été traités au laboratoire de M.
Pasteur. Malades n'est pas le mot qui convient ;
c'est mordus qu'il faut dire.
— 185 —
Et tous ces mordus l'ont-ils été par des chiens
enragés ? Ont-ils été cautérisés ? Devaient-ils fa-
talement contracter la rage ? Tout le monde sait
que tous les individus mordus par un chien en-
ragé et abandonnés à eux-mêmes sans traite-
ment, ne la contractent pas. Bouley soutenait
que sur cent personnes mordues, il n'y en a guère
que cinq chez lesquelles la rage se déclare. A
plus forte raison y en a-til moins, si on leur fait
subir immédiatement la cautérisation au fer
rouge.
Je ne m'attarde pas sur l'insuccès observé chez
une personne tardivement traitée. Rien ne dé-
montre cependant que cette personne n'était pas
la seule qui dût contracter la rage.
M. Strauss nous donne une statistique de la-
quelle il résulte que :
En 1878, dans le département de la Seine, sur
103 personnes mordues, il y a eu 24 morts par
rage ;
En 1879, sur 76 personnes mordues, il y a eu
12 morts par rage.
En 1880, sur 68 personnes mordues, il y a eu
5 morts par rage ;
En 1881, sur 156 peri^onnes mordues, il y a eu
23 morts par rage :
11
— 186 —
En 1882, sur 67 personnes mordues, il y a eu
11 morts par rage ;
En 1883, sur 49 personnes mordues, il y a eu
6 morts par rage .
Examinons ce tableau : il nous apprendra
d'abord que, non seulement les cas de mort par
la rage sont en décroissance, mais que le nombre
même des personnes mordues, en dehors de l'an-
née 1881 qui a vu une recrudescence due à des
causes que M. Strauss ne nous fait pas connaître,
diminue d'année en année.
Si nous prenons la moyenne de cette statistique,
nous voyoDS qu'il s'agit d'appliquer le traitement
dit préventif à 60 personnes environ par année
pour le département de la Seine. La création
d'un établissement vaccinal s'impose-t-eilepour
ces 60 personnes mordues, mais non malades ?
Je ne m'arrête pas à l'idée d'un établissement in-
ternational ni même national : je dirai tout à
l'heure pourquoi. N'y a-t-il pas d'autres affections
beaucoup plus meurtrières, atteignant des mil-
liers de malheureuses victimes qui sont sur le
pavé parisien et que nous devrions hospitaliser
d'abord ?
En effet, si la rage est la plus effrayante, c'est
aussi la plus rare des maladies. Elle est prévenue
— 187 —
la plupart du temps parla cautérisation immé-
diate au fer rouge. En Allemagne, on l'a enrayée
par de simples mesures administratives (1).
(I) Nous avons vu que, en Allemagne, la mortalité par
la rage avait été de zéro pendant ces dernières années.
11 est intéressant de faire connaître la mortalité dans
d'autres pays.
La statistique suivante, relative à la Suède, reproduite
par plusieurs recueils , ne manque pas d'intérêt au
moment où s'agite la question de la rage à rAcadémi3
de Médecine.
Depuis 1776 jusqu'à l'année actuelle, c'est-à-dire pen-
dant une période de 110 ans, la moyenne annuelle dos
décès par rage a été en Suède :
1776-1785 8.5
1786-1795 10.2
1796-1805 8.7
1806-1815 6.2
1816-1825 7.0
1826-1835 2.7
1836-1845 1.1
1846-1855..... 1.6
1856-1865 2.2
1866-1875 0.5
1876-1885 0.0
On voit cette moyenne diminuer progressivement et
descendre à zéro. Le dernier cas de mort par rage cons-
taté officiellement en Suède remonte à 1870,
A quoi attribuer ce résultat? à des- mesures de pro-
phylaxie dont nous ignorons les détails, mais il serait
intéressant de les étudier pour réaliser, si c'était possi-
ble dans notre pays, les conditions qui ont produit en
Suède et en Allemagne des effets si heureux.
— 188 —
M. Strauss a tort de considérer comme « hors
de dangerles personnes inoculées qui ont dépassé
la période normale d'incubation de la rage, qui
n'excède pas 60 jours ». Ne sait-on pas que la
rage éclate bien souvent après plusieurs mois et
même après une année ?
Le rapporteur n'a pas raison non plus d'affir-
mer que <t l'opposition est morte, que le parti pris
et le scepticisme n'ont ni raison d'être ni ex-
cuse ». Le parti-pris, mon cher collègue, il ne
doit pas exister et il n'existe pas dans les rangs
de l'opposition scientifique ; mais il y a l'expecta-
tion, qui n'est pas la négation, il y a l'attente de
la démonstration et de la preuve, il y a la libre
discussion des faits allégués et des théories émi-
ses. Et ce n'est pas après quelques mois, mais
bien après quelques années que d'habitude les
observations acquièrent une autorité, que les ex-
périmentations deviennent indiscutables, que la
lumière se fait, en un mot.
Ce n'a pas été jusqu'ici avec enthousiasme et
avec engouement que les grandes découvertes
ont été accueillies, mais avec calme et avec sang-
froid. Raisonner et approuver sans passion, c'est
rendre un plus grand hommage au savant que
d'applaudir avec frénésie et d'admirer sans dis-
cernement.
— 189 '
Et ne dites pas « qu'il n'y a plus, désormais,
qu'à tirer le meilleur parti possible d'une telle
découverte » ! Sans parler de Guérin, sans parler
de Bochefontaine qui sont morts, sans parler de
l'opposition de l'étranger, il en est encore chez
nous qui, au milieu de l'exaltation des autres et
désirant autant que ceux-ci, par amour de l'hu-
manité, que le problème soit résolu, se rappel-
lent que M. Pasteur avait aussi la certitude que,
muni de ses instructions, le courageux Thuillier
reviendrait sain et sauf de l'Egypte.
Collin, le sévère professeur d'Alfort ; Peter, le
fidèle interprète des grandes traditions médica-
les, tous deux membres aussi de l'Académie de
médecine, ne font-ils pas partie de cette opposition
que vous niez ? Je ne parle pas de M. Després,
qui siège parmi nous, ni d'autres plus modestes
qui, dans la presse scientifique, attendent des
démonstrations que vous considérez comme ac-
quises.
M. Strauss, rapporteur. — Pourquoi MM. Colin
et Peter n'ont-ils rien dit à l'Académie de méde-
cine ?
M. Ghassaing. — M. Colin n'a pas attendu la
question de M. Strauss : il s'est exprimé à l'Aca-
démie depuis longtemps. Quant à M. Peter, s'il
IL
"— 190 .
n'a pas parlé, je n'ai pas qualité pour répondre
en son nom aux interrogations de M. Strauss.
M. Hervieux. — Il avait peut-être changé d'a-
vis.
M. Chassaixg. — Je ne crois pas, Monsieur.
Je poursuis. — Est-ce dans ces conditions-,
Messieurs, que vous pouvez voter dans son inté-
gralité le projet de délibération de la 8' Commis-
sion?
M. Strauss disait tout à l'heure que ce trai-
tement renouvelé de Mithridate, ne ferait-il que
donner la sécurité à des personnes pusillanimes,
rendrait encore des services incontestables. Mais
l'effet moral produit par la seringue de M. Pas-
teur ne peut-il être obtenu par d'autres moyens
analogues, ou m.ieuxpar l'éducation, par la per-
suasion, par la suggestion, s'il le faut ? Et dé-
montre-t-ii l'utilité d'un établissement vaccinal ?
Je sais bien que le Conseil municipal peut se con-
sidérer comme couvert par l'autorité de l'Acadé-
mie des sciences et de l'Académie de médecine.
Mais cette garantie lui fait-elle une obligation de
se prononcer sur une question scientifique qui
n'est pas de son ressort ?
Envisagez la responsabilité que vous auriez
— 191 —
bénévolement encourue s'il venait à être démon-
tré un jour que l'inoculation n'a fait que retarder
l'éclosion de la maladie, ou si les personnes ino-
culées venaient à contracter la rage.
M. CocHiN. — C'est impossible.
M.Chassaing. L'avenir le dira.
En résumé, Messieurs, le traitement curatif de
la rage est-il trouvé ? Non. —Le traitement pré-
ventif ?
Hippocrate dit non, et Galien dit oui.
En admettant la découverte du spécifique pré-
ventif de la rage, la création d'un établissement
vaccinal international à Paris s'impose-t-elle
comme une mesure d'utilité publique? Je réponds
résolument non : car il importe alors, non d'atti-
rer à Paris tous les enragés, les mordus et les
poltrons du monde, mais de répandre au plus
vite, par humanité, la méthode et le vaccin rabi-
que dans tous les pays. (Très bien ! Très bien !)
Enfin, Messieurs, si l'on veut créer un établis-
sement vaccinal, ce n'est pas pour les hommes
qu'il faut le faire, mais pour les chiens qui, une
fois inoculés, ne pourront contracter la rage ni
192
par conséquent la transmettre à rhomS^TS
bien !) ^
Je termine. La contagion de l'engouement est
autant à craindre que la contagion de la peur
Il y a eu de l'engouement pour Koch, l'inventeur
allemand du bacille en virgule du choléra. Notre
ami Robmet ne nous proposait-il pas l'envoi de
médecins des hôpitaux en Espagne pour étudier
la méthode d'inoculation du choléra du docteur
terran ? Grâce à quelques-uns d'entre nous ce
projet a échoué: il n'en eût pas été ainsi, si la
chose se fût passée en France. Or, en Espa-ne
même, on s'est gardé de l'enthousiasme, et^a
théorie de Ferran a vécu.
Est-ce à dire que je refuse toute valeur aux
Idées pastoriennes ? Loin de là . L'observation et
1 expérimentation scientifiques ont toujours une
oiihté. La doctrine de^L Pasteur restera si elle
est vraie, elle tombera si elle est erronée. Dans
les deux alternatives, elle aura servi, soit en
indiquant aux savants qu'il ne faut plus chercher
de ce Côté (Très bien 1, soit, ce que je désirera
de tout mon cœur, en donnant à l'humanité un
moyen spécifique de se préserver d'une terrible
maladie. (Approbation.) « lerrmie
Pour le moment, rien n'est démontré d'une
— 193 -
façon absolue, la question est encore controveT*
sée,
.... adhuc sub judice lis est ;
et le Conseil, s'il a pu discuter cette question,
grâce à l'initiative d'un de ses membres, n'a pas
à prendre parti dans un débat qui sort de sa
compétence.
Croyez-moi, Messieurs, laissons un libre cours
à nos sentiments généreux, oui ; mais réprimons
cette tentative d'empiétement sur le domaine de
la science.
C'est pour atteindre ce double but que je vous
prie de vouloir bien voter l'amendement dont
M. Paul Viguier vous a donné connaissance.
DISCOURS DE MM. COCmN, CATTIAUX ET JOFFRIN.
M. CocmM. La certitude est acquise et lapreu-
ve est donnée.
Quand les choses sont si simples, si faciles 'à
comprendre, je m'étonne qu'on puisse hésiter.
Les travaux de M. Pasteur — comme d'ail-
leurs tous les travaux des hommes de génie - •
sont parfaitement nets, parfaitement clairs. En
— 194 ~
présence de tels travaux, de tels résultats, ap-
partient-il au Conseil municipal de se montrer
trop modeste et de dire que de telles choses ne
sont pas de sa compétence ? Non, Messieurs, di-
tes au contraire hautement que vous appréciez
les travaux de M. Pasteur, que vous en admirez
les résultats et que vous entendez le manifester.
Et si vous persistez à êlre trop modestes, eh
bien ! retranchez -vous derrière l'académie des
Sciences.
On disait tout à l'heure : Hippocrate dit oui,
Galiendit non. Cette fois, Hippocrate et Galien
n'ont eu qu'une voix pour applaudir l'illustre
savant et le remercier de sa découverte.
En présence d'un tel fait, je demande s'il serait
digne delà ville de Paris de ne pas s'y associer
et de ne pas donner à ce grand homme l'hom-
mage qu'il mérite, au point de vue des services
qu'il a rendus à l'humanité.
M. Cattiaux. — Bien que M. Cochin ait dit
que tous les hommes de bon sens devaient être
de son opinion, je consens volontiers à ne pas
me trouver parmi les hommes de bon sens. . .
M. Pasteur est un savant, je le reconnais ; mais
tous les savants, comme tous les inventeurs, sont
— 195 —
sujets à se tromper. M. Pasteur a cru découvrir
le bacille du choléra et il a envoyé M. Thuillier
en Orient, Pourquoi n'y est-il pas allé lui-môme?
M. JoFFRiN. — Messieurs, je ne suis pas assez
prétentieux pour examiner le point de vue scien-
tifique de la question qui a déjà été trop longue-
ment discutée à cette triJDune. (Très bien !; Mais je
viens vous demander d'adopter l'amendement
qui limite à trente années la durée de l'affecta-
tion.
Comme je l'ai exposé au sein de la Commis-
sion, si l'institut qu'on se propose de créer devait
être un établissement national ou municipal,
nous n'aurions aucune observation à présenter
au sujet de l'aliénation du terrain. En effet, les
socialistes, partisans du progrès, ne refuseront
jamais les moyens d'ouvrir un champ d'expéri-
mentation. (Très bien !)
On a objecté qu'en limitant à trente ans la du-
rée de l'affectation, on empêcherait par cela même
d'élever des constructions convenables.
Je ne crois pas cette assertion fondée et je ne
fais pas à nos successeurs l'injure de croire qu'ils
demanderont, dans trente ans, la désaffectation
du terrain, si l'institut Pasteur a rendu les ser-
vices qu'on en attend.
— 196 —
Il n'y a donc aucun inconvénient à n'affecter
que pour trente ans et à ne pas engager l'avenir.
En terminant, je déclare que les socialistes
regrettent que l'institut qui va être créé ne soit
pas un établissement national ou communal;
car c'est avec enthousiasme que nous aurions
accordé la concession du terrain.
CHAPITRE XII
LA MÉTHODE A LA FACULTÉ DE MÉDE-
CINE. M. LE PROFESSEUR PETER.
Malgré l'anathème lancé par les Pastoriens con-
tre tous ceux qui se permettaient quelques ob-
jections sur la nouvelle méthode ; malgré l'ad-
miration imposée par les régions officielles et la
connivence de M. le professeur Grancher qui
avait accepté, à l'Ecole normale, le rôle indigne
et inutile de porte-seringue, il s'est trouvé un
professeur indépendant pour faire entendre sa
voix autorisée en faveur du bon sens et de la
clinique.
C'est M. le professeur Peter que ses importants
travaux placent au premier rang des cliniciens,
qui a vengé Thonneur médical et la science fran-
çaise. Dans une remarquable leçon d'ouverture
professée à l'hôpital Necker, Féminent praticien
s'est exprimé d'une façon sévère sur l'abus que
fait l'école moderne des théories microbiennes.
Nous reproduisons une partie de cette intéres-
sante leçon. Nous verrons plus loin que M. Peter
12.
— 193 -
s'est prononcé à la tribune de l'Académie de
médecine où il a apporté des faits écrasants pour
la méthode pastorienne.
« Actuellement, la pathologie tout entière sem-
ble dominée par la pathogénie et celle-ci par la
bactériologie! Bactérie ici, bactérie là, bactérie
partout ! Chaque jour vient apprendre au public
médical, stupéfait, que telle maladie après telle
autre est manifestement parasitaire ; que la
pneumonie l'est comme le rhumatisme et celui-
ci, comme le charbon ; qu'il est des bactéries à
tout faire ; des bactéries capsulées de la salive,
qui font le bien dans la bouche et le mal dans les
poumons, où elles fabriquent la pneumonie (il y
a erreur de lieu) ; des bactéries qui font l'hyper-
thermie de la fièvre typhoïde et des bactéries
qui font Talgidité du choléra ; des bactéries qui
soufflent le chaud et des bactéries qui soufflent
le froid ! !
Il y en a trop ! c'est un débordement.
Cette pathogénic, à tout prendre, pourrait être
considérée comme une gymnastique intellec-
tuelle, salutaire au cerveau, mais le médecin
est nécessairement « utilitaire »,car, se trouvant
toujours en présence du mal, il n'y saurait rester
indifférent. Il cherche à appliquer, à utiliser, si
possible, toute notion scientifique nouvelle.
On a donc cherché à tirer un parti thérapeuti-
— 199 —
que des doctrines parasitaires et c'est justice de
reconnaître que les parasitistes sont tombés
dans la même erreur que les organiciens. Pour
ceux-ci, la maladie était la lésion ; pour ceux-là,
la maladie, c'est le « microbe ». Pour eux, la
pneumonie n'est plus l'inflammation du pou-
mon, mais, ce qui n'est pas plus exact, c'est la
maladie du microbe pneumonique ; la dothié-
nentérie n'est plus la lésion des plaques de
Peyer, mais, avec tout autant d'inexactitude,
la maladie du microbe dothiénentérique. Et
voilà mes parasitistes qui retournent à l'unicité
par la généralisation (ils décrivent un circulus
en sens inverse), et ils proposent de combattre le
microbe ennemi par une médication univoque.
Les uns, considérant que, dans la dothiénen-
térie, c'est le microbe qui fait la fermentation
et la fermentation qui fait l'hyperthermie, con-
seillent de refroidir le malade pour refroidir
le microbe et empêcher ainsi sa malfaisance fer-
mentescible. C'est le traitement de la fièvre
typhoïde par les bains froids.
On sait ce qui est advenu en France de celte
médication exotique, à la suite d'une polémique
à laquelle je n'ai pas été étranger.
Mais celte médication systématique a eu ce
résultat bienfaisant de nous apprivoiser à l'u-
sage de l'eau froide, dans certains cas bien
— 200 - •
déterminés de fièvre typhoïde. Voilà ce qui nous
est resté de la doctrine exclusive de Brand. Et
c'est là qu'est le progrès^ lequel n'est autre
qu'une série d'additions partielles et successives
au fond traditionnel.
D'autres, à propos de la pneumonie et tou-
jours pour mettre à mal le microbe morbifère,
ont conseillé les injections dans le poumon^
sans songer à ce qu'il y a d'irrationnel dans une
semblable médication, puisque, par hypothèse,
les pneumocoques étant des parasites, les para-
sites étant d'essence repullulante, il suffirait que
dix, que deux, qu'un seul pneumocoque ne fût
pas touché par l'injection pour que la maladie
persistât par la repullulation du ou des micro-
coques survivants. On ne peut que répéter, à
propos d'une semblable médication, quecequ'en
ont dit avec candeur ceux qui l'ont pratiquée. Il
n'y a pas eu d'accidents. Les malades ont sou-
vent plus de résistance qu'on ne croit.
Une troisième tentative thérapeutique, direc-
tement inspirée par l'observation parasitiste,
est celle de Koch, lequel, remarquant que son
bacille-virgule du choléra cesse de se reproduire
dans un milieu qui n'est pas humide, a eu l'idée
de le faire mourir de soif et n'a pas hésité (la
chose est historique) à conseiller aux malheii-
~ 201 —
reux xMarseillais décimés par le choléra, de ces-
ser d'arroser les rues de Marseille.
D'autres encore, pour faire pendant à l'anti-
sepsie chirurgicale, ont imaginé V antisepsie
médicale ; idée généreuse, mais chimérique, car
l'antisepsie chirurgicale repose sur cette notion,
que le blessé est un individu sain, mais porteur
d'une plaie. Or, cette plaie peut, par hypothèse,
donner entrée à ce qu'on appelle les germes de
l'air, et ces germes de l'air peuvent, entrés,
infecter l'organisme. Il importe donc de s'oppo-
ser à la pénétration de ces germes ou de les dé-
truire afin d'empêcher cet organisme sain de
devenir malade : telle serait la tâche du chirur-
gien. Mais, pour le médecin, la situation est
toute autre; il est, lui, non pas en présence d'un
organisme sain, mais d'un organisme déjà
malade. Quand il est appelé et qu'il invervient,
cet organisme est déjà infecté : par hypothèse,
le microbe est déjà dans la place ; il n'a plus à
lui en défendre l'entrée, son rôle n'est plus que
de l'en faire sortir. Je n'ai pas à insister davan-
tage pour démontrer le chimérique de l'antisep-
sie médicale, dont les résultats d'ailleurs sont
loin d'être encourageants.
Les inoculations antirabiques ne sont ni
moins généreuses ni moins chimériques : irra-
— 202 —
tionnelles en priacipe, elles ont été inefficaces en
réalité.
Irrationnelles, puisqu'elles ont la prétention,
contraire aux faits, d'empêcher l'éclosion d'une
maladie en incubation et qui tient l'organisme
en sa puissance : la vaccine n'a pas ce pouvoir
sur la variole incubante ; et l'on voit dans l'or-
ganisme contaminé par la variole, qu'on veut
entraver par la vaccination, variole et vaccine
apparaître à leur jour et simultanément évo-
luer.
Inefficaces ces inoculations, dites antirabi-
ques, qui, après avoir été annoncées, avec l'é-
clat que vous savez, échouent aujourd'hui
lamentablement. La France ayant eu dans l'an-
née qui vient de s'écouler une mortalité, par la
rage, égale à la moyenne des années précéden-
tes", c'est-à-dire, 30 cas, dont 14 morts enragés,
après les inoculations, se disant préservatrices,
et 16 morts enragés, sans ces inoculations.
Vous voyez ce que la médecine vraiment
scientifique et le public y ont gagné ! o
CHAPITRE XIII
L'OPINION DE LA PRESSE MÉDICALE SUR
LE TRAITEMENT DE LA RAGE.
La plupart des journaux de médecine français
se sont abstenus de discuter les faits merveil-
leux communiqués à la Presse politique par M.
Pasteur pendant ces derniers mois. A part deux
ou trois organes dévoués à la coterie, tous ont
gardé le silence le plus absolu et se sont bornés
à enregistrer les faits sans commentaires. Les
Pastoriens avaient, bien entendu, interprété ce
silence en leur faveur et M. Pasteur avait dé-
claré que, à part le Journal de Médecine de Pa-
ris, la Presse médicale était unanime à recon-
naître l'efflcacité de la nouvelle méthode de trai-
tement parles virus moelleux.
Les nombreux décès survenus pendant l'an-
née 1886 ont enfin ouvert les yeux du public mé-
dical. Un grand nombre de médecins ont eu le
courage de parler et ont reconnu que l'engoue-
ment avec lequel on avait accueilli la thérapeu-
thique pastorienne était au moins irréfléchi.
— 204 -
A la suite d'un nouveau décès survenu chez
une petite fille de six ans venue de Palerme, et
n'ayant même pas eu le temps de subir complè-
tement le traitement pastorien, un des journaux
les plus autorisés publiés à Paris, le Progrès
médical^ s'est décidé à faire connaître son opi-
nion sur la méthode Pasteur.
Voici la note publiée par ce journal dans son
n° du 11 septembre 1886, au nom de toute sa Ré-
daction :
« Nous ajouterons qu'il y a li eu ^ avant de
se prononcer sur .l'efficacité du traitement
de la rage jpar la méthode Pasteur, de de-
mander des statistiques qui nous renseignent
EXACTEMENT sur l'état des inoculés depuis
leur retour dans leur pays. On n'ignore pas,
en effet, que la durée de Vincuhation rahi-
que est très variable, qu'elle peut être très
prolongée, que l'inoculation elle-même pour-
rait aussi en prolonger la durée, etc. Nous
pensons donc, pour ces motifs et D'AurîiE.s
ENCORE, qu'il est prudent, avant de préconi-
ser et d'admettre définitivement la méthode
Pasteur, d' attendre du temps des renseigne-
ments ultérieurs et complets. »
Nous ignorons quelles sont les autres raisons
qui ont décidé la rédaction du Progrès médical
— 205 —
à exprimer sur le traitement pastorien une opi-
nion aussi dubitative ; mais nous félicitons nos
confrères d'avoir eu le courage de faire connaître
leurs réserves à une époque où la plus petite
critique sur le grand homme de l'Ecole normale
est considérée comme un blasphème (1).
Un peu plus tsivd, le Progrès médical [aisait
lui-même connaître de nouveaux décès surve-
nus après le traitement Pasteur et les faisait sui-
vre des commentaires suivants :
« Dans sa récente communication sur la rage,
M. Pasteur après avoir éliminé de ses statisti-
ques un certain nombre de cas, met encore à
part deux autres personnes, Louise Pelletier et
Moermann, dont la mort doit être attribuée à
leur arrivée tardive au laboratoire : Louise Pelle-
tier, trente-six jours, et Moermann, quarante-
trois jours après leurs morsures. Si Moer-
mann était mort de la rage au cours du traite-
ment, comme cela est arrivé à trois Russes,
nous n'hésiterions pas un instant à croire que
les inoculations avaient été trop tardives. Or,
dans le cas spécial, cet argument ne saurait être
mis en avant; la mort est survenue 27 jours
(1) Un fougueux pastorien, M. . Verncuil, a traité
d'obscurs blasphémateurs les médecins qui mettaient
en doute ladécouTertc Pasteur.
12*
- 20G —
après la première inoculation, et 17 jours après
la dernière. A en juger d'après les théories mê-
mes de M. Pasteur, les Inoculations avaient eu
largement le temps d'agir et de conférer l'immu-
nité. Dire que Louise Pelletier est morte, d'ail-
leurs, après le traitement, parce qu'elle ne s"est
présentée au laboratoire de la rue d'Ulm que le
36* jour, ne nous semble pas non plus un argu-
ment de grand poids. Jamin fils, et Marie Tou-
chard, que l'on considère comme guéris, ne sont
venus à l'Ecole normale qu'au bout de 44 jours :
pourquoi donc ne sont-ils pas morts ? En somme,
sur quatre individus mordus, deux sont morts,
soit 50 pour 100, ce qui est notablement supé-
rieur à la proportion habituelle. Sur trois indi-
vidus inoculés, un est mort, soit 33 pour 100,
ce qui est sensiblement égal à la proportion or-
dinaire des cas de décès, en dehors de toute
inoculation curative. Les observations rappor-
tées plus haut ne peuvent donc, en aucune ma-
nire. être considérées comme démontrant reffl-
cacité de la méthode Pasteur pour le traitement
de la rage. »
Un autre journal de médecine autorisé, le
Praticien, s'exprimait ainsi après la communi-
cation faite à llnstitut, par M. Pasteur, le 2 no-
vembre 1886.
« Il y a quelque temps, en parlant des quelques
— 207 —
échecs éprouvés par M. Pasteur dans le traite-
ment de la rage après morsure, nous faisions
ressortir combien la clinique réservait de déboi-
res même à la thérapeutique la mieux assise et
fondée sur l'expérimentation la plus rigoureuse.
Ce n'est pas la communication faite hier à l'Aca-
démie des sciences et aujourd'hui à l'Académie
de médecine qui nous fera changer d'avis. Nous
avons toutefois été heureux de l'entendre, non
pas que nous attachions grande importance au
nombre (trop considérable) d'individus inoculés,
mais parce que nous avons appris incidemment
que M. Pasteur avait fait de nouvelles expérien-
ces qui contredisaient les mauvais résultats ob-
tenus par le D' von Frisch, de Vienne.
« Il est encore deux points sur lesquels M. Pas-
teur fera bien de ne pas insister. Le premier,
c'est le chiffre des personnes traitées. Il ne prou-
ve que la vogue de l'inoculation ; or l'engoue-
ment du public même pour une chose juste est
loin d'être une preuve scientifique. De plus, le
chiffre si élevé des clients de l'institut Pasteur
démontre la fausseté des statistiques (que le D"
Grancher a eu le tort d'employer), qui donnent
1 mort sur 10 mordus. Au compte même de M.
Pasteur, et en supposant que tous les mordus se
soient rendus à son appel, cela devrait nous faire
en France 170 morts enragés qui, ajoutés aux
--208 --
29 qui ont eu lieu, donneraient 200 enragés suc-
combant par an, ce qui n'a jamais eu lieu.
« Le second point faible, c'est d'affirmer l'effl-
cacité de la nouvelle méthode. Hélas ! en mé-
decine, rien n'est infaillible ! et M. Pasteur n'a
qu'à se rappeler que son ancienne méthode lui
avait aussi paru douée de cette suprême qua-
lité ! Que celle qu'il recommande aujourd'hui
soit meilleure ? d'accord ! Mais qu'il ne se fasse
pas trop d'illusion, pour ne pas avoir trop de dé-
boires plus tard.»
Enfin, un médecin compétent, M. Constan-
tin James, publiait sous le titre : La Rage ;
Avantages de son traitement par la méthode
Pasteur, un ouvrage entièrement consacré à
l'apologie de la méthode. Nous y relevons ce-
pendant les critiques suivantes :
« Les cures doivent être divisées en deux catégo-
ries, suivant qu'elles se rapportent aux morsures de
loup ou de clîien.
« Les morsures de loup ont donné des résultats
bien moins satisfaisants que ces dernières, probable-
ment parce qu'elles sont par elles-mêmes beaucoup
plus dangereuses. Ainsi nous avons vu que, sur les
dix-neuf Russes de Smolensk, trois sont morts de la
rage, et que, sur les neuf Russes de Wladimir, le
même nombre a succombé, ce qui représente, pour
les premiers, une mortalité de près d'un sixième, et,
pour les seconds, une mortalité, d'un tiers. M. Pas-
— 209 —
teur, il est vrai, en est encore, pour les morsures de
loup, à la période d'essais. Par conséquent, n'insis-
tons pas.
» C'est pour les morsures de chien que la méthode,
on peut le dire, s'épanouit dans toute sa splendeur.
Comment ! sur plus de douze cents inoculés, à peine
trois ou quatre insuccès ! Mais c'est de la féerie, car
cela prouve que la rage qui, avant M. Pasteur, était
la maladie dont on guérissait le moins, est devenue,
grâce à lui, la maladie dont on guérit le plus. Le
sulfate de quinine lui-même, ce spécifique par excel-
lence de la fièvre intermittente, ne compte pas d'aussi
beaux états de service.
(( Mais ce n'est pas tout, en fait de choses extraor-
dinaires. Les meilleures statistiques établissent qu'a-
vant que la méthode de M. Pasteur ne fût connue,
il n'y avait pas en France deux cents personnes
mordues par année. Or, savez- vous combien il s'en
est présenté, rue d'Ulm, rien qu'en un seul trimes-
tre ? IIciT CENT CINQUANTE !
ï D'où sortent-ils donc tous ces liydrophobes ?
Serait-ce qu'aujourd'hui on attraperait la rage comme
on attrape un rhume? Sans doute, il faut en défal-
quer les étrangers ; mais, même après ce triage, ils
représentent encore un chiffre énormément dispro-
portionné avec ce qui se voyait autrefois.
ï Les adversaires de la méthode s'en font une
arme pour dire qu'il en est beaucoup dans le nom-
bre dont la maladie consistait bien moins dans la
rage elle-même que dans ce qu'on pourrait appeler
la « Rage de la peur ».
— 210 —
t Je suis complètement de leur avis quant au fait ;
seulement cela n'infirme en rien les mérites de la
raétliode. Que ceux à qui la dent de l'animal n'avait
point inoculé le virus rabique prennent patience :
bientôt la petite seringue Pravaz les compensera et au-
delà de ces retards. Quand ils seront à la fin de leur
cure et que, par conséquent, il auront reçu les dix
injections réglementaires, ils n'auront plus rien à
envier aux autres, comme approvisionnement inté-
rieur de virus. Aussi pourront-ils s'appliquer égale-
ment ce que M. Pasteur disait du jeune Meister, son
premier guéri, qu'il avait échappé (1)ala rage qu'il
LUI AVAIT INOCULÉE, RAGE PLUS VIRULENTE QUE CELLE DU
CHIEN DES RUES.
« Que va-t-il devenir, en somme, ce virus ainsi
emmagasiné dans l'organisme ? Ira-t-il en s'éteignauj
comme la maladie contre laquelle on l'a dirigé, ou au
contraire, après une incubation plus ou moins longue,
signalera-t-il son réveil par quelque terrible catastro-
phe? Nul ne le sait, M. Pasteur moins que personne.
C'est que, n'étant point médecin, il ne peut trouver de
point de comparaison avec d'autres maladies égale-
ment virulentes ; c'est que, de plus, ses magnifiques
travaux sur les microbes ne peuvent lui être ici d'au-
cun secours, puisqu'il n'existe pas de microbes dans
la rage.
« A défaut d'arguments empruntés à la science,
M. Pasteur fait valoir celui-ci ;
(1) « Echappé » est bien le mot. Il est de fait que pour
avoir osé tenter un pareil traitement, il a fallu à M. Pas-
teur le Robur et œs triplea dont parle le poète.
— 211 —
« L'iNOCULATIOS FINALE TRÈS VIRULENTE A ENCORÏ l'a-
* vaNtage de limiter la durée des appréhensions qu'ok
« peut avoir su?, les suites des morsures. Si la g rae
« pouvait éclate :ï, elle se décla.rerait plus vite par
« un virus plus virulent que celui des morsures. »
« M. Pasteur a cent fois raison. Il est hors de doute
que, si la rage avait eu encore prise sur l'individu, il
y a longtemps qu'avec un pareil régime, il ne serait
plus de ce monde. Seulement c'est là un genre d'ar-
guments dont il faut se montrer sobre.
« Je m'arrête et surtout je m'abstiens de tout com-
mentaire sur une Méthode qui, nous venons de le
voir, n'a rien de commun avec nos pratiques médi-
cales (1). D'ailleurs, maintenant plus que jamais
la parole est aux faits. L'événement jusqu'ici a donné
gain de cause à M. Pasteur, en ce sens qu'il a immen-
sément rassuré les esprits; espérons qu'il en sera de
même pour le reste. L'opinion ne sera donc pas trom-
(1) C'est à tort que l'on a comparé rinoculatioii de la
Rage à celle delà Variole. Pour la variole, on faisait choix
d'une éruption très bénigne, et l'on prenait avec la pointe
d'une lancette quelques atomes de virus que Ton glissait
délicatement sous Tépiderme ; puis c'était tout. Pour la
rage, au contraire, nous venons de voir qu'on fabrique
tout exprès un virus d'une malignité exceptionnelle, qu'on
l'injecte par seringuées pleines dans les vaisseaux et
qu'on y revient au moins dix jours de suite. Enfin, l'ino-
culation du virus variolique développait ultérieurement
une petite vérole plus ou moins mitigée, tandis que l'ino-
culatioa du virus rabique n'impressionne pas plus, soit
dans le moment, soit plus tard, que si c'était de l'eau
claire.
212
pée lorsque, devançant les faits, elle Fa proclamé
l'un des grands bienfaiteurs de l'iiumanité. »
Tel est le jugement plein de mesure et de réserve
porté par M. Constantin James sur une méthode dont
11 se déclare partisan. Que serait-ce s'il ne l'était pas?
Nous nous abstiendrons, pour le moment du moins,
de tout commentaire. Il nous est impossible cependant
de ne pas faire remarquer que si M. Pasteur est étran-
ger à toute littérature médicale, il n'en est pas de
même pour les Souvenirs iniimes de M. de la Palisse.
C'est évidemment à ce dernier qu'il a emprunté son
raisonnement pour rassurer les gens sur les dangers
de ses inoculations, en leur disant que « la meilleure
preuve qu'ils ne sont pas morts, c'est qu'ils sont encore
en vie ».
Les Pastoriens se sont si souvent vantés de
l'approbation de la Russie, de l'argent et des
décorations envoyés par le czar, qu'il nous a
paru utile de faire connaître à nos confrères
français l'opinion du corps médical russe. Cette
opinion a plus de valeur à nos yeux que celle
des empereurs de Russie et de Turquie qui ont
fait pleuvoir sur la poitrine du Maître des cons-
tellations multiples en même temps qu'ils em-
plissaient sa cassette.
« Dans la séance ordinaire de la Société de
MÉDECINE DE Saint-Pétersegurg, tcnuc Ic 2Q
octobre, M. Kessler a fait une communication
— 213 —
sur un cas de mort survenue chez un enfant
après le traitement par la méthode Pasteur (1).
Cet enfant, âgé de quatre ans, fils d'un employé
du chemin de fer de Kharkow-Nicolaïew, nom-
mé Tyjnenho, avait été mordu par un chien
enragé le 4 juillet. Expédié à l'institut Pasteur
d'Odessa, le 10 juillet, pour être traité, il en est
revenu le 21 juillet après avoir subi deux inocu-
lations. Le 12 août, les symptômes de la rage
se sont manifestés et le 14 août l'enfant mourait,
— 42 jours après avoir été mordu et 27 jours
après avoir été inoculé.
Cette communication du docteur Kessler a
provoqué une discussion fort animée au sujet
du traitement par l'inoculation du virus rabi-
que. La discussion a duré jusqu'à minuit et elle
sera continuée dans la prochaine séance.
Au cours de la discussion, M. Veniaminow a
sonmis à l'assemblée la statistique des résultats
que M. Pasteur a obtenus jusqu'au l«r octobre.
Comparant ie total des individus mordus par
des chiens dont la rage a été constatée au labo-
ratoire même de M, Pasteur avec le nombre des
décès, l'orateur dit que les données existantes
sur le nouveau traitement « ne reposent pas sur
des faits positifs ^ et ne fournissent que des
DÉCISIONS DOUTEUSES. Aussl la plupart des méde-
(1) Cotte noie est adressée à la Semaine médicale.
- 214 —
ciiis présents à la réunion se sont-ils prononcés
dans ce sens : que le traitement par l'inoculation
du virus rabique n'est qu'une méthode de trai-
tement préventive et que la rage peut être traitée
tout aussi bien par la méthode de la cautérisation.
Les pastoriens ont souvent invoqué en faveur
de leur méthode l'opinion de la presse étrangère.
11 nous paraît dès lors intéressant de placer
sous les yeux de nos lecteurs quelques extraits
des journaux russes où le pastorianisme semble
s'être le plus rapidement implanté.
Un journal pastorien, Le Soleil, du 21 août,
publie une « correspondance particulière » de
Pétersbourg ; et cette correspondance ne manque
pas d'humour comme on va voir :
LE LION DU JOUR.
Le lion du jour, ce n'est ni l'archiduc Charles, ni M.
de Bismarck, ni M. de Giers ; c'est votre compatriote,
M. Pasteur. On sait à quel point le Russe est enthou-
siaste des nouveautés, surtout des nouveautés scien-
tifiques ; à plus forte raison lorsqu'elles sont d'ori-
gine française. Aussi, dès le premier jour, la décou-
verte de M. Pasteur a-t-elle excité ici une admiration
voisine du fanatisme. Dans une lettre que la presse
de Pétersbourg a publiée, M. Pasteur déclarait qu'un
seul hôpital, exclusivement réservé à la prophylaxie
de la rage, suffirait amplement pour toute l'Europe
- 215 —
et MÊME pour V Amérique du Nord{\). Mais les Russes,
dans leur ardeur de néophytes, n'ont pas suivi ce
conseil. Il n'est pas de ville qui ne veuille avoir son
établissement antirabique. Pétersbourg, Moscou,
Odessa, Samara même ont déjà ouvert les leurs. Cha-
que Zeimstro (conseil général) de province veut avoir
le sien. C'est la rage décentralisée.
LA RAGE A PÉTERSBOURG.
L'établissement de Pétersbourg a été inauguré le 25
juillet en. présence de plusieurs membres delà famil-
le impériale : le prince d'Oldenbourg, la princesse
Eugénie Maximilianovna et le duc de Leuchtenberg.
Deux Français, les docteurs Loir (2) et Perdrix, étaien t
venus prêter l'aide de leur expérience au docteur
Krouglevski et au médecin- vétérinaire Helmann. Le
prince d'Oldenbourg avait reçu de M. Pasteur deux
lapins inoculés de virus (3). La première opération a
été faite sur un enfant de troupe. Aujourd'hui plus
de vingt malades sont en traitement à Pétersbourg, et
(1) Les « loups » de Smolensk ont modifié quelque peu
les opinions du Sauveur « infaillible ».
(2) Le jeune Loir n'est pas docteur, mais étudiant de
troisième année. C'est ravéuement des jeunes ! Arriére les
vieux et les envieux !
— N'en est-il pas des loirs et des perdrix comme des
hommes.
« Pour leurs âmes bien nées,
La valeur n'attend pas le nombre des années ? »
(3) Entre princes les petits cadeaux entretiennent l'amitié.
— 216 —
l'on ne parle plus d'autre chose. Bon gré mal gré,
il faut avoir une opinion sur le virus du lapin, du
chien, du chat ou du loup.
LA RAGE EN PROVINCE.
Mais la province tient à honneur de ne pas se lais-
ser dépasser par la capitale. La Douma, de Moscou,
télégraphie, avec un certain orgueil, qu'elle dispose
de quinze enragés authentiques, actuellement soignés
à l'hôpital Alexandre III. La municipalité d'Odessa,
qui ne veut pas rester en arrière, fait publier par-
tout qu'elle reçoit gratuitement tous les individus
mordus, et qu'elle leur réserve le meilleur traitement.
Enfin, la pauvre ville de Sarama est contrainte d'a-
vouer qu'elle n'a pu mettre la main que sur deux
malades, dont l'un, il est vrai (circonstance légère-
ment consolante ), a été mordu par un loup.
PROTESTATION DU DOCTEUR JAGELL.
Pourtant, au milieu de ce concert d'éloges qui ont
accueilli la découverte de Pasteur, quelques voix dis-
cordantes se font entendre. Certains journaux font
remarquer, non sans malignité, que fro/s (l)des « en-
ragés » d'Odessa sont déjà morts en dépit du traite-
ment antirabique (2). Un médecin polonais, le docteur
(1) « Trois ! » la belle affaire et cela vaut bien qu'on en
parle.
(2) M. Pasteur a déjà donné à entendre que' c'est la
faute du docteur Gamalei d'Odessa « qui ne sait pas s'y
prendre ». C'est bien fait pour le docteur Gamalei !
— 217 —
Ignace Jagell, vient de lancer, dans le Messager da
Vilna, une violente attaque contre le savant Fran-
çais. (3). »
Voici maintenant comment le Novoë Vremia,
un des principaux organes de l'opinion en Rus-
sie, apprécie Tenthousiasme irréfléchi des parti-
sans de M. Pasteur :
L'entraînement pour une nouveauté à la mode —
surtout lorsqu'elle vient de Paris — est dans notre
tempérament. Ce travers vient d'être poussé au co-
mique à propos des théories de M. Pasteur, concer-
nant le traitement préventif de la rage.
Depuis longtemps M. Pasteur attribue une influence
pernicieuse aux organismes inférieurs. Ses théories à
ce sujet ont eu beaucoup de partisans et de nombreux
adversaires, surtout lorsque, les portant sur le ter-
rain pratique, il a voulu les appliquer au traitement
de la maladie des vers à soie, du choléra des poules,
du rouget des porcs, du charbon des bestiaux, et
finalement de la rage des chiens et des hommes.
A l'étranger, on suivait attentivement tous ces ef-
forts, mais on ne taisait pas de AI. Pasteur une idole
avant même qu'il eût fait une découverte.
A Paris même, l'organisation de l'Institut Pasteur
a rencontré une grande opposition non seulement
de la part de savants médecins, mais encore de la
part de membres du corps administratif de la Ville.
(1) M. Pasteur répondra que M.JagoU o.st jaloux, parce
qu'on ne lui a donné ni place ni cordon. Et il aui-a bien rai-
son, comme toujours.
— 218 -
Il est resté mauvais souvenir de M. Pasteur à l'Ecole
normale. Enfin, on a rappelé ses cabrioles politiques,
sa passion pour l'argent, etc., etc. Il est donc bien
certain que, malgré force réclames, l'admiration n'a
pas été unanime en France.
Quant aux autres pays, l'indifférence a été telle
qu'il n'y a pas lieu d'en parler.
Chez nous il en a été tout autrement. A peine la
découverte de M. Pasteur a-t-elle été signalée qu'il
n'est pas jusqu'au moindre médecin de village qui,
désireux d'aller flâner à Paris, ne se soit empressé
de se procurer un individu quelconque mordu par
un cliien enragé ou non, chose facile dans toutes les
villes russes. Puis, sous prétexte d'aller étudier la
méthode du savant français, ces messieurs fréquen-
tent les cafés-concerts des Champs-Elysées ; le tout
aux frais des municipalités.
La mort de neuf Russes ayant refroidi l'enthou-
siasme des contribuables pour ces promenades, on se
prit à organiser de toutes parts des instituts Pasteur.
Alors qu'en France, on en obtient un à grand'peine,
nous en avons déjà chez nous quatre ou cinq ; à
Saint - Pétersbourg, Moscou, Varsovie, Saraara.
Odessa. Il suffit qu'il plaise aux autorités de rayer
tlu budget les frais de voyage pour que toute la Rus •
sie se couvre de laboratoires antirabiques.
La mode a du bon lorsqu'il s'agit de tournures ou
de gilets. En médecine et surtout lorsqu'elle a re-
, cours aux deniers publics, il est essentiel de consi-
dérer le but.
Ainsi, que nos médecins fassent du bouillon de
— 219 —
moelle de lapin, qu'ils observent avec attention ce
qui se passe à l'étranger sans se presser d'aller là-bas
aux frais d'autrui, et qu'ils attendent, avant de cou-
vrir le sol d'instituts Pasteur aux dépens des contri-
buables, que l'utilité en soit définitivement démon-
trée.
CHAPITRE XIV
LA MÉTHODE PASTEUR EN RUSSIE.
La Pasteuromanie.qui avait tout envahi, est
partout en décroissance. Elle a perdu son carac-
tère intolérant, a pris une attitude de plus en
plus défensive, a fait des concessions à la criti-
que sensée et ne pose plus comme dogme Tin-
faillibilité du pontife de la rue d'Ulm.
En Russie, le D'"Kessler,de Saint-Pétersbourg
a pris la liberté grande d'avoir son opinion sur
les inoculations du professeur Méchnikofï et du
D' Gamalei, d'Odessa, qui en sont à défendre
« l'innocuité de la méthode »(!)
Le D"" Kesslerpose aux fougueux inoculateurs
une série de questions indiscrètes et embarras-
santes. Il demande qu'on veuille bien lui expli-
quer les décès suivants survenus parmi les ma-
lades traités par le procédé de M. Pasteur à l'ins-
titut d'Odessa.
1 . Le paysan Kouznetsofî, inoculé du 15 au
52 juillet, tombé malade le 9 octobre, mort le 12
au soir.
221
2. Simon Yolodinn, inoculé en juin, tombé
malade le 28 septembre, mort le 30.
3. Vassili Mirochnltchenko, mordu en juin,
mort après inoculation, le 30 août.
4. Nasstassia Brétchkinn, traitée quatre jours
après la morsure, tombée malade le 13 octobre,
morte le 14.
5. Popoff, de Belgrade, mort après avoir subi
le traitement complet.
Le D"" Kessier insiste tout particulièrement sur
le cas de Mirochnltchenko, qui s'est produit dans
les circonstances suivantes :
En juin dernier, au village de lachinn, un
chien enragé mord quatre personnes, dans l'or-
dre suivant :
Marie Kravtsoff, Marie Datzenkolî, Vassili
Mirochnltchenko et Iakoff Kollessnikoff. Les
deux jeunes filles se soignent à domicile par les
moyens ordinaires. Les deux hommes vont se
faire inoculer à Odessa, et l'un d'eux meurt.
Les femmes mordues en premier étaient ce-
pendant plus exposées <à contracter la rage.
CE aU'ON PENSAIT EN ALLEMAGNE.
On sait que, interrogé par un député du Par-
lement p russien sur l'attitude que comptait
prendre le gouvernement à propos de la décou-
verte Pasteur^ le ministre a répondu : « La ques-
13.
222
tion n'est pas importante pour la Prusse, puis-
que la mortalité par la rage est descendue dans
ce pays ù. 0 depuis qu"on y applique les mesures
administratives décrétées contre les chiens. Le
gouvernementpense donc qu'il n'yapas lieu d'en-
voyer personne étudier le nouveau trr.itement. Il
se propose d'attendre que la découverte pompeu-
sement annoncée ait été confirmée par le temps. »
A ce soufflet officiel et aussi humiliant pour la
science française, il faut ajouter les critiques et
les quolibets auxquels la nouvelle méthode qui
attirait 300 enragés à l'Ecole normale donnait
lieu journellement.
Il est pénible, sans doute, à notre amour-propre
scientifique déparier de cette question. Mais, la
science n'a pas de patrie, et nous pensons qu'il
vaut mieux savoir ce qui se dit à l'étranger que
de s'infatuerdans une fausse gloire nationale.
L'article suivant, qui émane d'un savant alle-
mand, le D'' de Voigts Rhetz, montrera aux
pastoriens comment leur prétendue découverte
était appréciée à l'Etranger,
« Le niveau des facultés intellectuelles de la
France qui ont jusqu'à présent toujours brillé
d'un si vif éclat, aurait-il baissé et le Figaro au-
rait-il eu raison quand il discutait naguère très
sérieusement la question à savoir si le temps
— 223 ~
n'était pas venu d'introduire dans le code pénal
un supplément en faveur des demi-fous ?
On pourrait être porté à le croire en assis-
tant aux manifestations de l'enthousiasme
irréfléchi et sans bornes dont la méthode anti-
rabique de Pasteur est enfournée en France. A
peine le public est-il revenu des illusions désas-
treuses que les inoculations prophylactiques du
D''Ferran contre le choléra avaient répandues en
Espagne, à peine cet insigne charlatan s'est-il
retiré de son champ de bataille, couvert de vic-
times, et ses poches remplies de leurs dépouilles
que déjà une nouvelle méthode d'inoculation
contre une autre maladie terrible, la rage des
chiens, fait son apparition dans le monde et ex-
cite, en dépit des protestations énergiques d'un
grand nombre de médecins et de savants distin-
gués, une admiration frénétique dans toutes les
couches de la société française ; et l'autorité de
ces adversaires de M. Pasteur est cependant
d'autant plus grande que l'inventeur de la nou-
velle méthode n'est ni médecin, ni physiologis-
te, quoique le zèle de ses partisans l'ait affublé
de ces titres, mais seulement un savant chimis-
te. Ces considérations n'ont pourtant pas empê-
ché les admirateurs de ce nouveau « Sau-
veur de l'humanité » de consacrer des sommes
folles au projet de celui-ci de créer un établisse-
224
ment grandiose où le monde entier doit, selon
lui, pouvoir se garantir contre les suites de mor-
sures de chiens enragés. Tout le monde ne lit
pas des traités de médecine et de physiologie;
mais, abstraction faite de toute raison scientifi-
que, le bon sens seul devrait déjà avoir entravé
l'entraînement général pour un système qui ne
repose jusqu'à présent sur aucune preuve sûre
et indiscutable.
Je ne me permettrai pas de fatiguer votre pa-
tience par la récapitulation des nombreuses ques-
tions qui se présentent à cette occasion toutes seu-
les, pour ainsi dire, à la réflexion de chacun, et
qui répandent par la réponse qu'on est obligé à y
faire les doutes les plus justifiés sur l'efficacité de
la méthode en question. Ce qui est consolant et
heureux, c'est que hors de France on a persévéré
jusqu'à présent dans une sage réserve par rap-
port à la méthode Pasteur. jNI. le professeur
Virchow ayant demandé à f occasion de la dis-
cussion sur le budget des affaires médicales,
quelle position le gouvernement Prussien comp-
tait prendre par rapport à la méthode Pasteur,
le Ministre de l'Instruction publique répondit
que le gouvernement suivait avec attention les
expériments de M, Pasteur, mais qu'il ne
croyait pas encore le moment venu ni pour
l'Empire ni pour la Prusse de mettre le résultat
- 225 —
de ses travaux en pratique. Le ministre ajouta
que la question avait plus d'importance pour la
France que pour la Prusse où le nombre des
personnes mortes de la rage était descendu
dans ces 5 dernières années pour toute la mo-
narchie de 10 à 6, et de 4 à 1, et que depuis la
dernière année il n'y avait plus de cas de mort
causé parla rage.
« En causant, il y a quelque temps, avec un
des professeurs les plus distingués de la Fa-
culté de médecine de Strasbourg, celui-ci me
montra une liste, signée par des docteurs fran-
çais et par laquelle ceux-ci engageaient leurs
collègues d'outre-Rhin à participer à la sous-
cription pour l'institut Pasteur.
« J'espère — dis-je à mon interlocuteur — que
vous ne compromettrez pas votre nom en le met-
tant sur cette liste, car quoique un profane,
j'ai la conviction puisée dans les simples don-
nées du bon sens que la méthode antirabique de
Pasteur fmira dans un temps peu éloigné par
un fiasco semblable à celui de son prédécesseur
Ferran. — Je suis assez disposé à partager vo-
tre opinion, répondit mon professeur, et je
me garderai bien de signer la liste. »
Quand le moment de la débâcle probable de la
méthode Pasteur sera arrivé, la seule classe de la
population parisienne qui en aura réellement
— 226 — .
profité sera peut-être celle des mendiantes de
Paris qui demandent aux passants l'aumône
en disant : « N'oubliez pas une pauvre mère de
famille qui a un enfant chez M. Pasteur.
CE qu'on en pensait EN ANGLETERRE.
L'Angleterre scientifique, toujours à la recher-
che des nouveautés, a d'abord accueilli avec fa-
veur la nouvelle méthode préconisée à l'Ecole
normale. Une commission envoyée à Paris s'est
prononcée poûrrexpectalion et avait d'abord re-
connu que la méthode était au moins inoffensive.
Quelques personnes mordues et se croyant
atteintes d'hydrophobie sont même venues sui-
vre le nouveau traitement. Mais on verra plus
loin que la mortalité sur les Anglais a été consi-
dérable et a dépassé celle qu'on observait avant
la célèbre méthode.
Les savants anglais commencèrent alors non
seulement à douter de l'efficacité de la nouvelle
méthode, mais à avoir des soupçons sur son in-
nocuité. Et comme ils étaient indépendants et ne
subissaient pas le joug de la puissante Ecole pas-
torienne ils exprimèrent nettement leur opinion.
A la fin de décembre 1886, deux nouveaux
décès furent signalés en Angleterre après le trai-
tement Pastorien : ceux de Goffi et de Wilde.
— 227 —
La mort de Goffi et celle de l'enfant Wilde
présentent une importance considérable en ce
sens que ces deux malades avaient subi le nou-
veau traitement préventif, progressif et intensif
inauguré le P"" septembre et que M. Pasteur
avait donné comme infaillible dans sa commu-
nication du 2 novembre aux Académies.
Ces deux nouveaux décès ont causé une vive
émotion dans le corps médical anglais et ont
plongé dans la consternation les quelques néo-
phytes que la méthode des virus exaltés comp-
tait en Angleterre.
Un médecin qui jouit d'une grande notoriété,
et qui avait donné ses soins au jeune Wilde, a
adressé à la Lancet et au Daibj Telegvaph la
lettre suivante dont nous recommandons la lec-
ture aux Pastoriens :
t La mort de ces deux jeunes gens (Goffi à
Londres, et Wilde à Rotherham) survenue trois
semaines après un traitement complet à l'École
normale, constituent des faits qu'il importe
d'examiner avec la plus stricte attention. Dans
le cas de Goffi, il y a eu une enquête, mais la
mort n'a pu être expliquée par aucune autre
maladie que la rage et les expériences qu'on
nous a dit avoir été faites n'ont pas encore donné
de résultat. Dans le cas de Wilde, il n'y a pas
- 228 —
eu d'enquête, mais les renseignements qui m'ont
été donnés par la mère sont de telle nature que
je considère comme mon devoir de médecin de
leur donner la plus grande publicité.
On a prétendu que cet enfant avait succombé
à une congestion pulmonaire ; mais cette ver-
sion intéressée ne peut être acceptée. Les symp-
tômes présentent la plus grande analogie avec
ceux observés sur Goffi. La prostration intense.
la paralysie générale de tous les organes, l'in-
vasion foudroyante de la maladie et la rapidité
de la mort, tous les symptômes présentent une
identité presque absolue avec ceux que M. Pas-
teur a décrits et observés sur les animaux qu'il
a inoculés et qu'on désigne sous le nom de
paralysie rahique. Pour moi, il me semble
ÉVIDENT que ces deux individus ont succombé
à la suite des dix-neuf inoculations de virus
exaltés qu'ils ont subies à Paris.
La mère d'une des victimes, madame Wilde,
m'a autorisé à faire connaître ces faits afm que
les autres individus, mordus légèrement par des
animaux, puissent se soustraire aux obsessions
dont ils sont l'objet et éviter le sort malheureux
de son enfant. Pour moi, j'ai la conviction que
le jeune Wilde n'a pas succombé à la rage qui
ne lui a pas été inoculée par un chien, mais qu'il
est mort de la paralysie rabique qui lui avait été
-^ 229 —
inoculée par un des aides de M. Pasteur au
laboratoire de l'École normale.
J. H. Clarke. »
Cette lettre est extraite du Daily Telegraph,
ïi" du 6 décembre 1886. Nous laissons à nos lec-
teurs le soin de l'entourer des commentaires
qu'elle comporte.
CEQO'ON EM PENSE EN SUISSE.
Quelques députés de la suisse romane ont fait
la proposition d'allouer 5,000 francs à l'institut
rabique Pasteur de la rue d'Ulm, à Paris.
La Commission médicale Suisse consultée s'est
unanimement prononcée contre cette proposi-
tion, à l'exception d'un seul membre, le D"" Reali.
Le Conseil fédéral, à son tour, vient de décla-
rer habilement et dignement que '^ la France
était en état de pourvoir largement aux besoins
de ses savants ; et que, si les dépenses dépas-
saient ses ressources, elle pouvait provoquer uue
convention internationale. »
Voilà de pénibles soufflets pour la méthode
Pastorienne. Quelque douloureux qu'ils puis-
sent être pour notre amour-propre national, il
était de notre devoir de les signaler : Magna est
Veritas.
CHAPITRE XV
COMMENT M. PASTEUR INTERPRÈTE LES
INSUCCÈS ?
Les événements sont venus malheureusement
nous donner raison et justifier les réserves que
nous avions conseillées à ceux de nos confrères
qui ont pu se préserver de l'enthousiasme con-
tagieux, lorsqu'on leur a annoncé les miracles
de la rue d'Ulm.
Les faits qui se sont succédé montrent que M»
Pasteur ne guérit pas la rage. Il n'y aurait pas
là de quoi récriminer; mais la manière dont le
maître interprète ses insuccès est de nature à
nous inquiéter sérieusement sur la méthode et
les procédés scientifiques employés à lEcole
normale.
M. Pasteur s'est d'abord bien gardé de com-
muniquer à la Presse et à nos académies la mort
des Russes qui étaient repartis complètement
GUÉRIS et qui ont succombé en très grand nom-
bre dès leur arrivée en Russie. Ceux-ci avaient,
du reste, été mordus par des loups, qui donnent,
— 231 •
paraît-il, une rage spéciale, réfractaire à la mé-
thode. Mais les décès survenus à l'îIùtel-Dieu,
chez des individus mordus par des chiens^ n'ont
pu être dissimulés. Il a donc fallu s'exécuter, et
voici en quels termes M. Pasteur a fait connaî-
tre la mort de l'un d'eux, dans sa communication
adressée au Figaro et au Petit Journal, ses or-
ganes attitrés :
Le 25 mai arrivait à Pari«, en compagnie de plu-
sieurs de ses compatriotes, un Roumain, nommé Jean
Gagu, agriculteur à Vasluin,
Ces malheureux, mordus dans la journée du II mai
par un chien enragé, venaient se soumettre aux inocu-
lations de M. Pasteur.
Descendus dans un hôtel du boulevard Saint-Michel,
ils repartaient samedi soir pour leur pajs, complète-
ment GUÉRIS, sauf Gagu, qui avait été pris, dans la jour-
née même, de symptômes ressemblant à ceux de la ter-
rible maladie.
Transporté àTHôtcl-Dieu et mis dans une chambre
spéciale, il se montra d'abord relativement tranquille,
manifestant seulement quelque inquiétude lorsqu'il
entendait marcher dans le couloir voisin.
Mais vers 9 heures, pris tout à coup d'un accès
épouvantable, il fallut lui mettre la camisole de force
el lui injecter une forte dose de morphine. Enfin, après
une nuit et une matinée fort agitées, Gagu a rendu le
dernier soupir hier, à trois heures quarante-cinq du
soir, dans un accès d'une violence épouvantable.
Le malade n'a pas montré Thorreur des liquides qui
— 233 —
se manifeste ordinairement chez les enragés. Il a même
bu avec satisfaction à plusieurs reprises.
// se pourrait donc que Gagu eut succombé tout
siyiiplement à un accès de delirium tremsns ; mais il
faut allendre, pour se prononcer, les résultais de lau-
topsie.
Ainsi, voilà comment M. Pasteur interprète
les faits. En premier lieu, les malades retournent
en Roumanie complètement guéris. Mais que
savez-vous, grand maître, s'ils sont guéris, puis-
qu'il est démontré que l'incubation de la rage
peut se prolonger jusqu'à 240 jours. La preuve
qu'ils ne sont pas guéris est fournie de la façon
la plus catégorique par la mort de ce malheureux
que vous aviez déjà inscrit parmi vos succès
avant son arrivée à l'Hùtel-Dieu.
Mais où le fait est plus grave, c'est lorsque
vous annoncez que Gagu est probablement mort
du DELiBiuM TREMENS, puisqu'H n'a pas mon-
tré Vhorreur des liquides. En agissant ainsi,
grand maître, vous altérez la vérité et vous nous
montrez que vous ignorez absolument les symp-
tômes de la maladie que vous prétendez guérir.
Non, M. Pasteur, les individus atteints de la rage
n'ont pas toujours l'horreur des liquides; c'est là
une croyance du siècle dernier que vous et les
gens du monde avez seuls conservée. Les enragés
boivent; ils boivent souvent avec avidité jusqu'à
— 233 —
la fin. Cela est écrit dans tous les traités clas-
siques, et si vous aviez surveillé vous-même
les victimes qui sont mortes à l'Hôtel-Dieu,
vous auriez vu qu'elles n'ont pas toujours eu
l'horreur des liquides. L'un des enragés que vous
aviez inutilement inoculé a accepté des mains
deM.Tillauxun verre d'eau qu'il a bu en sa pré
sence un quart d'heure avant de succomber.
En insinuant que le malade est mort du deli-
rium tremens et non pas rabique, vous altérez
la vérité et vous faites planer une imputation
malveillante sur une honnête victime de la rage
canine.
Il est vrai que vous aviez déjà déclaré que la
petite Lepelletier, morte également de la rage
après votre traitement, était morte d'une ménin-
gite.
Prenez garde, M. Pasteur, en agissant ainsi,
vous nous permettrez de mettre en doute votre
honorabilité scientifique et alors que deviendra
votre méthode? La Presse médicale, qui s'est cru
obligée de garder le silence jusqu'à ce jour,
quittera cette prudente réserve et arrivera à cri-
tiquer les faits. Ce que nous avons bien voulu
considérer jusqu'à ce jour comme de l'ignorance
de votre part pourrait alors être interprété autre-
ment.
Que dire, par exemple, du silence prudent que
14
— 234 —
vous avez observé à Tégard de la mort des trois
Russes qui ont succombé depuis leur retour en
Russie et que vous aviez fait figurer parmi les
complètement guéris. Vous aurez plus tard des
comptes à nous rendre. 11 ne suffit pas de dire :
« J'ai guéri 1,500 enragés. » Il faudra vous mettre
en mesure de dire, dans quelques mois, si vos
1,500 enragés sont encore vivants.
Est-il besoin d'ajouter que nous désirons au
moins autant que vous que la rage soit curable
et que vous fassiez disparaître cette affection
qui, tout en n'occasionnant que 28 décès par an
dans toute la France, n'en est pas moins le cau-
chemar du genre humain. Xous serons donc
les premiers à faire très humblement Je pèleri-
nage de la rue d'Ulm lorsque vous aurez démon-
tré que votre système de traitement par l'atté-
nuation des virus s'applique à la rage et surtout
aux autres maladies virulentes qui, comme la
syphilis, ont une toute autre importance, dans
notre cadre pathologique.
Un autre décès survenu à Grenoble mérite en-
core d'appeler l'atlention et montre comment
on pratique la vérité scientifique dans le grand
laboratoire de la rue dUlm. Xous avons souvent
affirmé qu'il existait à l'Ecole Normale une agen-
ce de publicité ayant pour tâche de tromper le
■ - 235 ~
public. Les quelques extraits que nous allons
donner en fourniront la preuve.
On verra, d'autre part, par ces extraits du
Temps, qu'on ne sait la vérité sur les agisse-
ments pastoriens qu'en s'adressant à des « cor-
respondants particuliers », c'est-à-dire indépen-
dants de la coterie de la rae d'Ulm.
On remarquera que tous ces faits scientifiques
ne viennent à la connaissance du public médical
que parla voie des journaux politiques (comme
pour les pastilles Géraudel) I
Commençons par une citation du Figaro :
I. « Le Peut Lyonnais annonce la mort, à Grenoble,
de M. Marins Bouvier, qui avait été mordu par un
chat enragé, et qui, après trois ou quatre inoculations
au laboratoire de M. Pasteur, avait commis la Jante
de ne plus venir se faire soigner. Il n'a pas continué
le traitement, et il a malheureusement payé de sa vie
cette imprudente négUgence. »
Voilà ce qu'annonce, le 23 juillet, le Figaro.
dans une note communiquée et mensongère.
IL Autre antienne : on lit dans la Liberté
(journal pastorien), 25 juillet 1886 :
« La rage. — On écrit de Grenoble diU Petit Lyon-
nais :
« Il y a quelque temps, M. Bouvier, domicilié à la
« Greille, était mordu par un chat enragé. 11 partit
-- 236 —
« pour Paris afin de se faire traiter par M. Pasteur.
« A son retour, M. Bouvier se montrait très satisfait
« de son voyage et faisait les plus grands éloges de
« M. Pasteur pour les soins qui lui avaient été prodi-
« gués. C'est le 30 avril qu'il avait été mordu et au-
« jourd'hui (20 juillet), après 8\ Jours, vers deux heu-
« res et demie, le malheureux était amené à l'hôpital,
« dans un fiacre, les bras et les jambes liés. Il écu-
« niait et était en proie à de terribles contorsions. Le
« docteur Hermil a constaté qu'il était atteint depuis
0 quarante-huit heures de délire hydrophobique. Pou-
ce vier est mort dans des souffrances épouvantables. »
« Nous sommes allés aux renseignements et voici
ce que nous avons appris :
« M. Bouvier, mordu à la main gauche par un chat
enragé et non par un chien, s'est présenté le 4 mai
au Laboratoire de M. Pasteur, où il a subi une pre-
mière inoculation. Il y est revenu les 5, 6 et 7 mai.
}tl?iis, à partir de celte date, u. paraît n'avoir pas conli-
mié le traitement,
« C'est, du moins, ce qui semble résulter d'une let-
tre écrite par M. Bouvier à M. Pasteur, lettre dans
laquelle il s'excuse de partir précipitamment pour
Grenoble, une dépêche lui annonçant que sa femme
est gravement malade.
« Le nombre des personnes inoculées jusqu'à ce
jour au Laboratoire de M. Pasteur s'élève à 1,630,
sur lesquelles 12 décès ont été constatés : 5 person-
nes ont succombé aux morsures de chiens, 1 à celle
d'un chat (Bouvier) et 6 aux morsures de loups. »
— 237 —
Le chiffre de mortalité avoué ici est absolu-
ment faux. Ce qui est vrai, c'est le chiffre fan-
tastique des inoculés, attendu qu'on inocule tous
ceux qui se présentent, le but étant d'avoir un
chiffre énorme d'inoculés (quelconques) à oppo
ser au chiffre des morts de rage à la suite d'ino-
culations.
III. La note vraie est enfm donnée par le
Temps, toujours Pastorien. mais avant tout res-
pectueux de la vérité comme de ses lecteurs.
On lit dans ce journal à la date du 20 juillet
1886 :
« LE CAS DE RAGE DE MABIUS BOUVIER.
« Nous recevons de notre correspondant particulier
de Grenoble, la dépêche suivante :
<c Grenoble, 24 juillet 1886.
«r Un grand nombre de journaux de Paris ont ra-
conté que Marins Bouvier, âgé de trente-cinq ans,
représentant de commerce, mort le 21 juillet, à Gre-
noble, après avoir été mordu par un chat enragé, le
3J avril dernier, n'avait suivi que pendant trois jours
le traitement Pasteur. M. le Docteur Girard, de Gre-
noble, qui a procédé avec son confrère Hermil à l'au
topsie de Bouvier, a reçu aujourd'hui de M. le Docteur
Brouardel, de Paris, une lettre lui demandant des
explications à ce sujet.
« Personnellement je puis affirmer que j'ai eu en-
— 238 —
tre les mains et que j'ai encore vu aujourd'hui à la
mairie le certificat délivré par M. Pasteur à Bouvier,
et attestant qu'il avait suivi le traitement préventif
de la rage du 4 au 13 mai 1886.
« Il est ainsi conçu :
« Laboratoire de la rue d'Ulm.
« Je déclare que le sieur Marius Bouvier, de Greno-
« ble, a subi le traitement préventif de la rage du 4
au 13 mai 1886 (10 jours).
« Signé : Pastelb. »
« M. Girard a envoyé à ^I. Pasteur, sur sa deman-
de, le bulbe du cerveau de Bouvier. Je puis ajouter
que Fillustre savant a écrit à son confrère de Greno-
ble que c'est la première fois que son traitement se-
rait suivi d'insuccès sur un homme mordu à la main
(et par un chat).
ï Avec une partie du cerveau que l'on a conservée
à l'hôpital de notre ville, on a inoculé un lapin et un
chien. Le lapin est mort hier soir, et le chien est ma-
jade. Il est donc certain, et c'est l'avis des deux mé-
decins qui ont fait l'autopsie du cadavre de Bouvier,
que celui-ci est bien mort de la rage.
« Il faut remarquer, il est vrai, que cet homme
était un alcoolique invétéré, s'enivrant deux ou trois
fois par semaine et se querellant du matin au soir. »
(Encore l'alcoolisme, comme pour Gagu, le Roumain
calomnié par les Pastoriens.)
Une note aussi exacte ne pouvait pas ne pas
être suivie d'un « Communiqué ■» destiné à atté-
— 239 —
nuer les fâcheux effets d'une telle et si rare sin-
cérité.
Voici ce « Communiqué », d'un français et
d'une franchise à l'estampille de M. Pasteur :
IV. Le 7'emps, 27 juillet 1886.
(C I,E CAS DE RA.'^E DE MARIUS BOUVIER
« On a reçu hier, au laboratoire de la rue d'Ulm,
le bulbe du cerveau de Marins Bouvier qui, mordu
par un chat enragé, a succombé à Grenoble, le 21
juillet, après avoir subi le traitement Pasteur. Au
moyen de cet organe, on a pratiqué aussitôt des ino-
culations sur divers animaux. Dans quinze jours envi-
ron, on connaîtra leurs résultats. En ce qui concerne
celles qui ont été faites à Grenoble sur un lapin et
sur un chien, l'opinion de M. Pazteiir est qu'e/Zes ?,ont
SANS VALEUR.
« On pense, au laboratoire, que Marins Bouvier a pu
ne p.is subir toutes les inoculations prescrites. En ef-
fet, au cours de son traitement, sa femme est tombée
malade ; à cette occasion. Bouvier s'est peut-être ab-
senté de Paris. On croit aussi ({ue Bouvier, qui se li-
vrait aux amusements (1), a pu volontairement man-
quer quelques-unes des séances d'inoculations. Ce
qui le ferait admettre aux personnes qui s'occupent
des inoculations, c'est que la famille du défunt lui
reprochait d'avoir négligé sa maladie ; les remon •
trances qui lui furent faites à ce sujet déterminèrent
(1) Voilà du vrai français Pastorien ?
— 240 —
Bouvier à demande/- avec instance à M. Pasteur un
CERTIFICAT attestant qu'il avait subi ponctuellement
le traitement ; ce certificat lui fut délivré (l).
« On reste convaincu, au laboratoire de la rue
d'Ulm. que la mort de Bouvier ne saurait remettre
en question Tefficacité de la méthode Pasteur, sur-
tout si Ton considère que sur 1,700 personnes traitées
jusqu'à aujourd'hui ou en traitement, quatre seule-
ment sont mortes, sans compter, bien entendit, les
Russes mordus par des loups enragés. »
Ce dernier communiqué n'a nul besoin de
commentaires. Remarquons seulement l'opinion
aimable de M. Pasteur relativement à nos sa-
vants confrères de Grenoble, MM. Girard et Her-
mil, et le cas qu'il fait de leurs expériences.
C'est qu'à Grenoble pas plus qu'à Paris il ne fait
pas bon se mettre en travers de la puissante
Ecole des miracles, et la simple exposition de la
vérité est de nature à soulever les colères et les
tempêtes des thaumaturges qui ont la prétention
d'entraîner à leur suite la clinique française. La
courageuse conduite du professeur Girard me
donne à penser qu'ils n'y ont pas encore pleine-
ment réussi.
Enfin, nous citerons avec détail, un troisième
fait qui montre également que les Pastoriensne
(1) Voyez-vous d'ici Pasteur violeuté par Bouvier ! Ce
qui est violenté c'est la vérité !
— 241 —
peuvent se résigner à accepter un insuccès sans
invoquer pour leur défense des arguments em-
pruntés à l'Ecole de Basile.
Voici le fait :
< Les deux fils d'un paysan hollandais des
« environs de Dordrecht, mordus par un chat
« devenu hydrophobe à la suite d'une morsure
« de chien enragé, étaient venus, il y a troi:>
4 semaines environ, aux frais du gouvernement
« hollandais, prendre les soins de M. Pasteur.
Œ Retourné dans son pays natal, l'un de ces
« enfants, âgé de treize ans, est mort de la rage
« mardi dernier (1). »
C'est-à-dire un mort sur deux inoculés, c'est-
à-dire, une mortalité de cinquante pour cent.
Voilà un gouvernement bien récompensé de ses
frais ! et qui doit avoir une juste idée de ï « il-
lustre savant », comme de sa prophylaxie anti-
rabique !
Le journal le Temps l'a bien compris, car,
voulant (chose assez contradictoire) être véridi-
queet rester pastorien, il insère après sa « nou-
velle », le « communiqué » (2) suivant :
(1)L3 Tettîps, 9 août 1836.
(2) Le service de publicité de la maisoa Pasleur
adresse à tous les journaux politiques de Paris ot des
départements des notes qui rappellent los communiqués
de l'Empire. C'est M. Vallcry-Radot, gendre du grand
14*
— 242 —
« M. Pasteur a été informé de ce décès par un
« de nos confrères de la presse hollandaise.
« L'illustre savant (1) craint que ses prescrip-
ft tions ne soient pas toujours exactement sui-
« vies par les étrangers auxquels il donne ses
« soins, qui ne comprennent pas le français et
« qui une fois présentés au laboratoire, ne sont
« plus accompagnés d'aucun interprète. »
On reconnaît là le français et la franchise de
M. Pasteur.
L' 0- illustre savant » craint, c'est une insinua-
tion, que ses prescriptions ne soient pas tou-
jours exactement suivies. Qu'est-ce que cela
veut dire? de quelles prescriptions s'agit-il ?
La prophylaxie antirabique de 1' « illustre sa-
vant » réside tout entière dans les inoculations
dites a vaccinations ». En dehors de celles-ci. il
n'y a rien.
Voyons ! Est-ce qu'avant d'inoculer les moel-
clîimisle et futur hérilier de la pension de 25,000 fr.
cfui est chargé d'entretenir l'enthousiasme et de distri-
buer les notes à la Presse. C'est ainsi que le cotnmit-
niqiié que nous reproduisons a paru identique dans
tous les journaux pastoriens : le Temps, le Matin, le
Siècle, etc.
(1, Le cliché illustre savant romplac.e désormais
dans la presse politique, le cliché antérieur aussi dé-
modé que peu justifié de savant désintéressé.
^ 243 —
les aux hommes, M. Pasteur ne les a pas ino-
culées aux chiens ? Quels étaient les interprè-
tes entre ces chiens (« qui ne comprenaient pas
le français » de M. Pasteur) et lui ? Quelles étaient
les « prescriptions » de M. Pasteur à ces chiens ?
Et comment étaient-elles « exactement suivies »
par ceux-ci ?
Mais il s'agit d'égarer le public non médical
qui lit la nouvelle ; c'est pourquoi on parle de
prescriptions .
« Voilà ! s'écrie alors le bon bourgeois (qui a
souscrit à l'Institut Pasteur), l'illustre savant et
sa méthode sont toujours aussi infaillibles ;
mais on n'avait pas suivi ses prescriptions ! o
Quels misérables subterfuges !
Eh quoi I l'esprit français, si clair, si scientifi-
que et si franc, serait à ce point méprisé ?
Et l'on oublierait en France ces paroles si ju-
dicieuses de Voltaire, adversaire de Maupertuis
le « Pasteur de son époque ! » (Qui de nos jours
connaît l'illustre Maupertuis, lequel fut, lui
aussi, en son temps, de l'Académie des sciences
de France, puis, fondateur et président de celle
de Berlin.)
« Tenons -nous seulement en garde contre les
apparences, qui trompent si souvent ; contre
l'autorité magistrale, qui veut subjuguer ; con-
tre le charlatanisme, qui accompagne et qui cor-
— 244 —
rompt si souvent les sciences ; contre la foule
crédule, qui est, pour un temps. ^ l'écho d'un seul
ho^nme. » (l)
Peut-on mieux dire ? et n'est-ce pas absolu-
ment vrai, à cent ans de distance ?
(\}Yo\\3livc.D.'S singiilarilcs de lanûtiire,\1QS./6'>a\'\néi\.
CHAPITRE XVI
QUELQUES RÉFJ.EXIONS SUR LA LON-
GUEUR DE UINCUBATIOX.— FRÉQUEN-
CE LE LA RAGE.
Le Journal de Médecine de Paris a fait con-
naître la mort par la rage d'un inoculé de M.
Pasteur qui mérite d'appeler l'attention sur la
longueur de l'incubation.
Rappelons qu'il s'agit d'un enfant (le jeune
Mathieu Vidau) — mordu par un chien — à la
paupière et au poignet — mordu superficielle-
ment. Rappelons que l'enfant fut inoculé trois
jours seulement après la morsure — par le por-
te-seringue de la méthode, M. Grancher ; —
qu'il y eut neuf inoculations pratiquées ; — que
l'enfant, pendant sept mois, fut considéré com-
me « guéri » ; — et qu'enfin, après cette longue
incubation, l'enfant succomba à la rage.
C'est évidemment là le coup le plus rude
qu'ait encore reçu le funèbre chimiste de la rue
d'Ulm. Tout y est comme à dessein réuni pour
~ 246 —
réfuter d'un seul coup la série de sophismes
qu'avait accumulés — pour atténuer ou expli-
quer ses insuccès — le solennel et lugubre em-
pirique.
On sait que, pour se disculper de la mort de la
petite Pelletier, sa première victime connue, M.
Pasteur avait invoqué : 1° la blessure profonde ■
à la tête ; 2" le long temps écoulé entre la mor-
sure et l'inoculation dite préventive.
On sait, d'autre part, que, pour se disculper
de la mort coup sur coup de ses Russes, il in-
voqua : 1° la blessure à la tête ; 2' le nombre et
la profondeur des blessures ; 3° le fait que le
vulnérateur était un loup.
Ces arguments n'étaient pas destinés à con-
vaincre les membres de l'Académie de médecine
qui les écoutaient tête basse ; ils avaient pour
but d'abuser le grand public incompétent.
Car, 1" relativement au premier argument,
aucun médecin n'ignore qu'en fait d'absorption,
c'est une circonstance insignifiante que la dis-
tance qui sépare le point d'inoculation du point
de réception. (On est aussi bien vacciné pour
l'avoir été à la jambe que pour l'avoir été au
bras ; et ceux qui assistent M. Pasteur le savent
si bien qu'ils inoculent leurs crédules patients à
la région diaphragmatique. Pourquoi ne le font-
ils pas à la face pour « accélérer » l'absorption
— 247 —
par le bulbe, et hâter ici l'immunité '? Les mo-
ments perdus étant si redoutables, ils sont bien
coupables d'agir ainsi.)
2" Relativement au second argument (le long
temps écoulé}, aucun médecin n'ignore que, la
durée d'incubation de la rage étant indéterminée,
le temps écoulé ne signifie rien (abstraction faite
de la cautérisation immédiate) et que, si l'ino-
culation dite antirabique était efficace, — ce qui
n'est pas, — elle le serait autant — ou aussi peu
— huit jours après la morsure que vingt ou
trente jours plus tard.
3'' Relativement au troisième argument {le
nombre et la -profondeur des morsures), il est de
nature à faire hausser les épaules au médecin
même le moins instruit, et à plus forte raison à
un membre de l'Académie. Ne savent-ils pas
qu'une seule piqûre sous-hypodermique suffit
à l'inoculation d'une maladie virulente ?
Mais ce qu'il y a déplus terrible pour M. Pas-
teur dans le fait du petit Mathieu Vidau, c'est
l'explosion de la rage sept mois après les inocu-
lations dites antirabiques pratiquées cependant
TROIS JOURS après la morsure, c'est-à-dire dans
les conditions de prophylaxie que M. Pasteur
assurait être les plus certaines. Ainsi, pendant
sept mois, ce petit inoculé a été considéré comme
a guéri », et voici que sa mort par la rage vient
— 248 —
frapper de suspicion tous les cas de prétendue
guérison, la rage pouvant se développer chez les
inoculés de M. Pasteur sept mois et plus après
le traitement soi-devant préventif.
En fait (et les médecins qui assistent le chi-
miste auraient dû l'en informer), tout ici est
dominé par la prédisposition.
1° La rage n'étant pas une maladie propre à
l'homme, celui-ci n'y est pas prédisposé, d'où
l'immunité pour la rage d'au moins cinq sur six
mordus et qui l'ont été dans des conditions d'ino-
culabilité certaine et absolue, c'est-à-dire sur
des parties découvertes.
2' D'une part, l'absorption étant beaucoup
plus active dans l'enfance qu'à tout autre âge
(la croissance exige cette plus grande activité),
et les sympathies nerveuses y étant plus intenses
pour les mêmes raisons d'exubérance de vitalité
— d'où les complications nerveuses des mala-
dies de l'enfance — : d'autre part, la rage étant
une maladie nerveuse, on comprend que l'enfant
y soit plus prédisposé que l'adulte.
3° Pour les mêmes raisons, pendant l'incuba-
tion de la rage, un accident nevoeux quelque
peu intense (émotion, peur, chagrin, etc.) peut
déterminer l'explosion de la maladie.
4° La rage étant une maladie qui se traduit
par des actes de violence, on peut admettre que,
— 249 —
plus féroce sera l'animal, plus actif sera son vi-
pyg _d'où la plus grande virulence de la bave
du loup. — Ce serait affaire de qualité et non de
quantité.
Mais ce sont là des considérations trop scienti-
fiques pour avoir appelé l'attention de l'Ecole
Pastorienne. Comme l'a si bien dit M. le profes-
seur Bouchard au Congrès de Nancy, on fait à
l'Ecole Normale de l'empirisme et non de la
science. Ce qu'on veut avant tout, c'est offrir au
public un nombre fantastique d'inoculés, afin de
le tromper sur la valeur thérapeutique de la nou-
velle méthode.
Si ce traitement a une action quelconque, ce
n'est certes pas une action préservatrice, mais
seulement consolante. La méthode pastorienne
agit sur les crédules patients comme les pilules
de micœpanis dans l'hystérie.Ce n'est plus alors
de la vaccination^ mais de la suggestion.
En ce qui concerne l'incubation, il n'est pas
sans intérêt de rappeler qu'un des guéris de M.
Pasteur (Marius Bouvier, de Grenoble) est mort
après une longue incubation.
Ce malheureux avait été mordu le 30 avril
188G. Il avait suivi le traitement réglementaire
de l'Ecole normale du 4 au 13 mai. Il a succom-
bé à la rage le 21 juillet, c'est-à-dire 82 jours
après la morsure. Ce fait vient à l'appui de i'opi-
- 250 —
nion que nous avons émise que l'incubation de
la rage peut être de plusieurs mois ; d'après l'en-
quête du comité d'hygiène reproduite par M.
Brouardel (Dictionnaire Dechambre, article
Rage), la durée de l'incubation peut aller jus-
qu'à 240 jours.
On voit donc que les Pastorlens se sont trop
hâtés d'exploiter leur découverte auprès du pu-
blic extra-médical et qu'il eût été cent fois plus
digne de rester dans une prudente réserve.
Le tableau suivant, emprunté au Diction-
naire encyclopédique des sciences médicales,
donne des renseignements très précis sur la lon-
gueur de l'incubation.
Boudin a communiqué à l'Académie de mé-
decine, le 20 octobre 1863, une statistique dans
laquelle nous trouvons que le nombre annuel
moyen des décès qausés par la rage, a été :
En Prusse 19,5 de 1854 à 1858
En Bavière 3,5 de 1855 à 1856
En Belgique 2,6 de 1856 à 1860
En Angleterre (Ecos-
se et Irlande non
comprises) 10 de 1853 à 1857
En Ecosse 1 de 1855 à 1885
En Suède, cette proportion des décès a varié
ainsi qu'il suit à quatre époques différentes :
— 251 —
De 1776 à 1855 — 5,8 décès, année moyenne
— 1786 à 1790.... 13,8 — —
— 1831 à 1835 ... 0,6 — —
— 1856 à 1860.... 4,2 — —
En France, sur l'initiative du comité consulta-
tif d'hygiène, une circulaire nainistérielle en
date du 17 juin 1850, prescrivit une enquête
générale sur la rage. Depuis lors, de noncibreu-
ses circulaires ont rappelé la première, et l'en-
quête, résumée dans cinq rapports de Tardieu, et
un de Bouley, nous donne une idée exacte de la
fréquence de la rage et de sa répartition sur le
territoire français,
1850 27 cas de mort
1851 12 -
1852 46 —
1853 37 -
1854 21 -
1855 21 _
1856 20 —
1857 13 _
1858 17 —
1859 19 —
1860 14 —
1861. 21 -
1862 26 —
1863 49 _
A reporter 343 cas de mort.
î 252 —
Report 343 cas de mort.
1864.... 66 —
1865 48 —
1866 64 —
1867 37 —
1868 56 —
1869 36 —
1870 6 —
1871 14 —
1872 15 —
Total 685 cas de mort
en 23 ans ou 30 par an en moyenne.
Dans Y Autriche méridionale, les personnes mor-
dues de 1879 à 1885 par des chiens enragés ont été
au nombre de 42, 37, 42, 67, 93, 85 et 28 ; la rage est
survenue chez 13, 8, 5, 7, 2, 10 et 3 personnes.
En Prusse, il y a eu dans les cinq dernières années,
10, 6, 4, I et 0 individus atteints de rage. Ces chif
fres sont dus à ienergie avec laquelle on exécute le
règlement qui oblige les propriétaires des chiens à
les museler.
Voilà les chiffres officiels fournis parle gouverne-
ment hollandais :
En 1869, 2: en 1870, 1 ; en 1871, 2 : en 1872,3 : en
1873, 1 ; en 1874, 5 ; en 1875, 2 ; en 1876,3 ; en 1877,
1 ; en 1878, 0 ; en 1879, 1 ; en 1880, 0: en 1881, 0 ;
en 1882, 0; en 1883, 0; en 1884, 0.
CHAPITRE XVII
LA RAGE EXISTE-T-ELLE.- LA RAGE ET
LE TÉTANOS
Le docteur Lorinser, une des célébrités médi-
cales de rAutriche, écrit dans un journal de
Vienne, à propos de M. Pasteur et de tout le
bruit fait autour de sa prétendue découverte d'un
nouveau traitement de la rage :
Le tapage exagéré que fait M. Pasteur avec
ses inoculations antirabiques commence à agacer
les médecins et les profanes réfléchis.
L'enthousiasme des premiers jours s'est con-
sidérablement refroidi, et une opinion plus scep-
tique gagne peu à peu le public.
Dans ces conditions, je fais de nouveau appel
au jugement calme et sain de mes collègues et
m'efforcerai de leur démontrer quelle confusion
déplorable règne encore aujourd'hui dans les
idées sur la rage du chien et la lysse des hom-
mes, malgré tous les progrès de la thérapeu-
tique.
Parce que des hommes, mordus par des chiens
— 254 —
enragés ou simplement surexcités, ont éprouvé,
au bout d'un certain temps, des contractions té-
taniques, on a supposé que la maladie du chieu
se transmettait à l'homme par la morsure em-
poisonnée, que l'homme devenait enragé, d'oîi
le nom de rage de r/iomme.
Ce vieux préjugé a de graves conséquences,
notamment chez les gens du peuple; car, au
commencement de ce siècle, on procédait, avec
les hommes ditsenragés,commeavecles chiens :
on croyait à la nécessité de les tuer.
Il n'était pas rare de voir les gens effrayés, à
la vue des convulsions des malades, se débar-
rasser d'eux en les étouffant, soit entre des ma-
telas (Rochoux), soit sous des couvertures.
L'expression rage de l'homme est scientifique-
ment inadmissible. L'état tétanique des mor-
dus ne ressemble en rien à la rage canine. Les
rapports médicaux, qui parlent de malades
aboyant et cherchant à mordre, sont dus à l'i-
magination des spectateurs effrayés par les con-
vulsions et les cris du malade et ne signifient
pas autre chose. Il y a surtout contraction du
larynx et du pharynx : tandis que chez les
chiens, c'est surtout le besoin de mordre qui se
manifeste dès le début et que l'on a désigné sous
le nom de rage.
Pour admettre la transmission de la rage du
- 255 -
chien à l'homme, il faudrait démontrer deux
choses : a) Qu'il existe un contagium ou agent
de transmission ; bj que la rage du chien est
une maladie spécifique bien caractérisée. Or,
jusqu'à ce jour, aucun de ces deux points n'a été
scientifiquement établi.
Pour ce qui concerne le contagium, il est dé-
montré :
1° Que tous les essais faits avec des chiens en-
ragês n'ont donné que des résultats contradic-
toires ;
2° Les résultats des injections faites avec la sa-
live des chiens enragés sont d'autant plus incer-
tains — que la salive des chiens sains produit
des symptômes rabiformes (Wright). Des inocu-
lations de terreau provoquent chez les animaux
des accidents tétaniques.
3" La morsure de chiens sotws surexcités peut
provoquer la rage.
40 La rage transmise du chien à l'homme,
n'est pas transmissible d'homme à homme.
50 La présence d'un virus spécifique n'est pas
nécessaire pour qu'un homme mordu éprouve
des contractions tétaniques.
Maintes fois des personnes sont mortes à la
suite de morsures faites par des chiens parfaite-
ment sains, simplement surexcités.
Remarquons que, dans bien descas,d6schiens
^ 256 —
surexcités et des loups affamés sont déclarés en-
ragés, simplement parce qu'ils ont mordu : ce
qui n'est pas une preuve.
Pour ce qui est du second point — quoique la
rage du chien soit considérée comme une mala-
die spéciale, les vétérinaires en sont encore à nous
donner sa caractéristique. Les plus expérimentés
affirment qu'il est exlraordinairement difficile
de diagnostiquer la rage chez les chiens vivants,
etquesurle cadavre, elle se manifeste d'une
façon si variable qu'il est impossible d'en faire
une maladie spéciale bien caractérisée.
Pour procéder scientifiquement, il aurait fallu
partir des phénomènes anatomico-pathologiques
du cadavre, pour remonter aux symptômes ac-
compagnateurs. Mais l'usage des vétérinaires est
de beaucoup parler de la rage, et de s'en tenir
aux symptômes extérieur?.
On leur serait reconnaissant de faire de la zoo-
tomie pathologique, et par l'étude comparée des
différentes maladies des chiens, d'éclaircir ce
qu'ont d'obscur et de contradictoire les expé-
riences d'inoculations, et les cas de rage sponta-
née et épidémique.
En considérant la rage du chien comme une
maladie spécifique transmissible àl'homme, on a
attribué à la morsure d'un animal enragé tous
les accidents tétaniques consécutifs, et c'est ainsi
— 257 —
que l'on est arrivé à faire croire à des inocula-
tions fantastiques, durant des années entières.
On n'admettait pas la spontanéité de la préten-
due rage de l'homme.
N'est-ce pas le renversement de toute logique
scientiQque d'admettre la contagion d'une mala-
die dont le virus reste dans le corps pendant cinq
et même dix ans, et provoque subitement une
crise mortelle sans la moindre analogie avec la
rage canine.
Les mêmes accidents tétaniques n'ont-ils donc
pas été constatés à la suite de maladies du cer-
veau, de la moelle épinière et des nerfs (Ghomel,
Burder, Mills, etc.), après de fortes secousses mo-
rales (Bosquillon, Bellinger, Dick, '1 uke, Lau-
der-Lindsay, etc.), par l'introduction d'un corps
étranger (Héger), sans la moindre morsure an-
térieure ?
Si nous mettons de côté les vieux préjugés,
les idées préconçues, et les opinions enracinées,
il reste cette simple observation. L'homme mor-
du par un animal quelconque peut contracter
le tétanos et en mourir.
La seule conclusion à tirer de ce fait est que
dans ces cas, nous avons affaire aux suites mor-
bides d'une lésion, forme particulière du tétanos
(Tétanos lyssoïde)^ Virchow ; Tétcmos rabi-
cus, Girard.
15
— 258 —
On ne peut logiquement attribuer ces suites
aux blessures, que si le temps écoulé, ou une
altération de la plaie capable de provoquer le té-
tanos, rendait la chose vraisemblable. Les cas
qui surviennent des années après la blessure en
sont évidemment indépendants et spontanés.
On voit dès lors ce qu'il faut penser de préten-
dus traitements préventifs du tétanos après mor-
sure. Tout repose sur une confusion déplorable
avec la rage du chien — champ fructueux qui
permet de se présenter au grand public incom-
pétent comme possesseur d'un préservatif infail-
lible.
Le médecin milanais Cormani énumère 338
substances différentes qui ont été préconisées,
contre la rage du chien : larves de cétoines,
pommes épineuses, alismaplantaho hieracium
jnlosella, injections d'opium, électricité, et fina-
lement moelle de lapin.
Les propagateurs de ces remèdes ont toujours
employé, jusqu'à ces derniers temps, le moyen
suivant pour démontrer l'efficacité de leur mé-
thode.
Les nombreux mordus qui ne contractaient
pas le tétanos étaient déclarés guéris et earegis -
très à l'actif de la méthode: ceux qui mouraient,
ou n'avaient pas pris le remède en temps voulu,
ou bien l'avaient pris en quantité insuffisante ;
— 259 -
enfin on trouvait toujours un prétexte analo-
gue.
Mais la méthode restait infaillible !
(Traduit de l'allemand par Slcwa.)
LA RAGE EXISTE-T-EI.LE?
A la suite des remarques très intéressantes
du professeur Viennois, il nous a paru utile de
présenter quelques considérations sur une théo-
rie qui a rencontré de nombreux défenseurs, à
savoir Veœistence même de la rage.
Les faits survenus récemment ont démontré
que cette théorie n'était plus aujourd'hui soute-
nable. Il nous a paru utile cependant de repro-
duire les arguments présentés en sa faveur. Ils
se trouvent très habilement et npirituellement
groupés dans une lettre qui a été écrite par un
médecin vétérinaire quia désiré garder l'ano-
nyme.
« Puisque vous servez à vos lecteurs tous les
documents de nature à élucider cette terrible
entité morbide qu'on nomme la Rage, je vous
présente aujourd'hui un travail qui ne me pa-
raît pas assez scientifique pour prendre place
dans un traité purement médical. Il soutient
— 260
une thèse trop hardie peut-être, à savoir : La
rage n'existe pas comme entité morbide. Lisez
et vous jugerez :
( Je ne suis pas même médecin, mais simple
vétérinaire de province. J'ajoute que j'habite un
pays de grandes chasses : c'est-à-dire un pays
plein de chiens, et que j'ai vu plus de cas de
rage que la plupart des illustres médecins pari-
siens. Je me sens donc aussi autorisé que ces
savants professeurs, et plus autorisé que la plu-
part de vos confrères à dire mon avis sur cette
terrible et bizarre maladie dont il se peut que
M. Pasteur préserve mes semblables, au moyen
d'un miracle que seul il pouvait opérer, peut-
être, et non pas au moyen d'un remède.
Je m'explique. Ma conviction profonde est
que la rage n'existe pas chez l'homme, ainsi
d'ailleurs que beaucoup d'autres maladies spé-
ciales aux espèces animales. Un grand nombre
de maladies humaines également ne peut pas
atteindre les bêtes. Je veux dire que le virus
rabique, inoculé par le chien, par le loup, ou par
l'aiguille de M. Pasteur, n'a aucune action sur
l'organisme humain. La rage, mal contagieux,
ne peut être communiquée à l'homme par au-
cun procédé scientifique ou naturel, alors même
que beaucoup d'hommes meurent de bizarres
accidents rabiformes qu'on nomme également
— 261 —
« rage », mais qui ne proviennent que d'une
idée fixe, c'est-à-dire d'une affection nerveuse de
la famille du tétanos.
Les preuves dont je pourrais appuyer cette
opinion sont innombrables. Je me contenterai
d'en citer quelques-unes puisées soit dans mon
expérience personnelle, soit dans les savants ou-
vrages de MM. Bouley, Bréchet, Portai, Magen-
die, Tardieu, Boudin, Vernois, Sausen, Renault,
etc., etc., et aussi dans un petit volume des plus
curieux de M. Faugère-Dubourg, publié en 18(3(3,
sous ce titre : Le Préjugé de la Rage.
Je suis donc convaincu que la rage propre-
ment dite n'existe pas, n'a jamais existé chez
l'homme.
Deux cas se présentent.
Les gens qui meurent à la suite d'une mor-
sure de chien qui est ou qu'on suppose enragé
succombent :
Soit par des accidents du genre tétanique que
produirait tout aussi bien chez eux la morsure
d'un autre animal quelconque, chat, rat, lapin,
mouton, cheval, singe, etc., etc., ou même une
blessure, un coup, une piqûre, une coupure ;
Soit par des accidents nerveux en tout sembla-
blables à ceux de la rage, mais produits par l'ob-
session de l'idée fixe.
J'arrive aux preuves. Il faut constater d'à
15-
-- 262 —
bord que beaucoup de personnes mordues j^ctr
des chiens non enragés, meurent de la rage,
avec tous les symptômes caractéristiques de ce
mal.
J'ai vu moi-même trois exemples, ayant gar-
dé des chiens en pension pendant deux ans
après le décès des victimes.
Tout le monde se rappelle aussi un garçon
fort connu à Paris, mort récemment de la rage
alors que le chien par lequel il fut mordu vit
encore, et qu'une autre personne, mordue en
même temps, n'a rien eu.
Qu'est-ce donc qu'un virus communiqué par
l'animal qui ne le porte pas en lui ?
Autre exemple fort cité, d'un ordre différent.
Le 10 janvier 1853, deux jeunes gens se di-
saient adieu dans le port du Havre, l'un d'eux
partant pour l'Amérique. Ils furent mordus en
môme temps par le même chien.
Celui qui restait mourut au bout d'un mois.
L'autre ne le sut point et demeura quinze ans
en Amérique ignorant absolument ce qu'était
devenu son compagnon.
A son retour, au mois de septembre 1868, il
apprit soudain la fin misérable de son ancien
ami ; il prit peur, et expira trois semaines plus
tard avec tous les symptômes connus de la
rage.
~ 2G3 —
Donc, dans ces deux cas, nous avons affaire,
sans hésitation possible, à la rage morale que
les médecins eux-mêmes ont dénommée hydro-
phobie rabiforme. Le docteur Gaffe dit à ce su-
jet : « Seule la rage spontanée (hydrophobie ra-
biforme) est susceptible de guérison, l'imagina-
tion pouvant détruire ce qu'elle a enfanté. »
Donc, il existe une rage imaginaire, impossi-
ble à distinguer de l'autre, mortelle quand l'i-
magination qui l'a créée ne la guérit pas, et
présentant, jusqu'à la fin, tous les signes carac-
téristiques de la vraie.
Je dis moi, qu'il n'y en a qu'une, V imaginai-
re, à moins qu'on ne soit en présence d'une
sorte de tétanos produit par une morsure, assi-
milable à une blessure quelconque.
Je m'appuierai d'abord sur ceci que cette ma-
ladie, présentant chez l'animal des signes ca-
ractéristiques absolument opposés à ceux obser-
vés chez l'homme, ne peut être que d'une nature
essentiellement différente.
1° L'autopsie révèle chez le chien des lésions
profondes, des altérations des organes, des pou-
mons et de l'encéphale engorgés de sang, des
inflammations violentes des bronches, delà tra-
chée artère, du larynx, de l'arrière-bouche, de
l'œsophage, de l'estomac, de l'utérus, de la ves-
sie, et enfin des infiltrations sanguines dans le
— 264 —
tissu cellulaire environnant les nerfs, sans tou-
tefois révéler le siège même du mal (observa-
tions de Dupuy).
Chez l'homme, rien de tout cela, rien que les
désordres légers des centres nerveux et les épan-
chements au cerveau, remarqués dans toutes les
maladies de l'encéphale. — Or, les névroses ont
cela de particulier qu'elles ne laissent pas d'au •
très vestiges après la mort.
Ce n'est pas tout.
Chez les chiens, la rage amène une insensibili-
té absolue de l'épiderme. Onpeutles battre, les
brûler au fer rouge, les tailler à coups de cou-
teau sans qu'ils accusent aucune douleur, eux
qu'un simple coup de fouet fait hurler cinq mi-
nutes quand ils sont dans leur état normal.
Chez l'homme, au contraire, la prétendue ra-
ge développe une telle excitation nerveuse qu'il
ne peut tolérer aucun contact même celui d'une
plume, même celui du plus léger courant d'air
sur la peau, supporter aucun bruit, même celui
d'une montre, ni aucun reflet de lumière, ni au-
cune odeur sans être saisi aussitôt par d'intolé-
rables douleurs.
Nous retrouvons encore là les symptômes or-
dinaires des névroses, absolument différents, on
le voit, de ceux que présente la rage confirmée
chez le chien.
— 265 —
Or, cherchons maintenant si d'autres acci-
dents que des morsures de chien peuvent pro-
duire tous les symptômes de la rage chez l'hom-
me.
1° Marcel Donnât a vu mourir de Vhydropho-
bie deux personnes chez qui cette maladie ner-
veuse provenait de rhumatismes.
2" Le baron Portai cite le fait d'une jeune fille
atteinte d'une angine, dont elle mourut avec tous
les signes les plus flagrants de l'hydrophobie.
L'autopsie révéla que le pharynx, l'œsophage,
le larynx et la trachée-artère étaient enflammés
dans toute leur étendue et gangrenés sur quel-
ques points.
Voici encore une observation du docteur
Selig, citée par le docteur Marc dans le Diction-
naire des sciences médicales, et rapportée par
M. Faugère-Dubourg :
oUn homme âgé de trente et quelques années,
aprèss'étre échauffé par des travaux champê-
tres pendant une journée des plus chaudes du
mois de juillet, se baigna le soirdans une rivière
dont l'eau était très froide Le lendemain, il
éprouva une douleur rhumatismale au bras
droit et de la roideur dans la nuque : le troisiè-
me jour, en outre, un sentiment de pesanteur
dans tous les membres et quelques mouvements
fébriles.
— 206 —
« La douleur du bras disparut à la suite d'un
vomitif qu'on lui fit prendre : mais celle de la
nuque était plus prononcée, et la céphalalgie,
l'ardeur, ainsi que la soif, devinrent plus inten-
ses. Pendant la nuit, les accidentsaugmentèrent.
Il s'y joignit une hydrophobie. Toutes les fois
qu'il approchait de ses lèvres un verre ou une
cuillerée remplie de liquide et même lorsqu'un
de ces objets frappait sa vue, il éprouvait un
tremblement universel avec convulsion, et pous-
sait des cris aigus ; jusqu'à l'haleine des per-
sonnes qui s'approchaient trop près de lui Tin-
commodait, de sorte qu'il les suppliait de s'éloi-
gner.
» Comme ce malade n'avait été mordu par
aucun animal, M. le docteur Selig fit la méde-
cine antiphlogistique dérivative et calmante.
Vers midi, amélioration sous tous les rapports,
nulle agitation, nulle anxiété, point de chaleur,
ni de soif, possibilité d'avaler de temps à autre,
quoique avec difficulté, des cuillerées d'infusion;
cependant, tremblements et mouvements con-
vulsifs. Après-midi, un peu de sommeil. I esoir
à huit heures, chaleur fébrile, agitation, anxié-
té, soif ardente, avec impossibilité d'avaler seu-
lement unegouttede liquide, sans tremblements
et convulsions. Le voisinage, l'atmosphère, l'ha-
leine du chirurgien agitent le malade au point
de déterminer un tremblement continuel avec
convulsions et sueur profuse. Dans les moments
de rémission, le malade assure que l'atmosphè-
re, ainsi que l'haleine des personnes qui l'entou-
rent, lui deviennent insupportables, et prie avec
instance les assistants de s'éloigner. L'agitation
et Tanxiété s'accroissent d'heure en heure, au
point que la malade supplie de le contenir. II
mourut à onze heures.
» Cette hydrophobie spontanée a été causée
par le transport d'une irritation rhumatismale
sur les muscles du larynx et de l'œsophage,
ainsi que par le spasme et l'inflammation déter-
minés de cette manière dans ces parties.»
Voilà donc l'hydrophobie déterminée par des
rhumatismes ! ! ! On la constate aussi très sou-
vent par suite d'affections nerveuses ou de ma-
ladies du cerveau.
Ajoutons une observation du baron Larrey :
» Un boulet avait emporté à François Pomaré,
un grenadier, la peau de l'omoplate droite ; la
sécrétion purulente ayant cessé, la cicatrice fit
de très rapides progrès ; en deux fois vingt-qua-
tre heures elle couvrit la moitié de la plaie, et le
blessé éprouva bientôt un pincement douloureux
sur tous les pointscicatrisés; il ressentait, disait-
il, la même sensation que si l'on eût saisi les
bords de la plaie avec des tenailles, et le moin-
— 268 —
dre attouchement sur cette cicatrice très mince
lui faisait jeter les hauts cris. Tous les symptômes
du tétanos s'aggravaient sensiblement ; l'appro-
che de l'eau limpide provoquant des mouve-
ments convulsifs, les mâchoires se contrac-
taient.»
Le chirurgien brûla tout simplement la cica-
trice au fer rouge. Aussitôt le malade écarta les
mâchoires, but, et fut guéri.
Mais s'il avait été mordu par un chien au lieu
d'être blessé par un boulet?
Je pourrais citer des milliers d'exemples de
même nature.
En résumé, on nepeutconstater chez l'homme
que des accidents de l'ordre nerveux, tantôt
mortels, tantôt guérissables, selon qu'ils pro-
viennent de désordres assimilables au tétanos
produit par une blessure ou de désordres pure-
ment moraux,
Pour prouver encore l'influence de l'imagina-
tion sur les gens dits enragés, je citerai ce fait :
Le docteur Flaubert, père d'Achille et de Gus-
tave Flaubert, fut appeléau village deLaBouiile,
auprès d'un homme atteint d'hydrophobie. Le
malade, vu entre deux crises, accepta d'être em-
mené à Rouen, par le médecin, qui le prit dans
son coupé. Or, vers le milieu de la route il cria
qu'il sentait venir une attaque, affirmant qu'il
— 269 —
allait mordre le docteur, et le suppliant de se
sauver.
M. Flaubert répondit tranquillement :
3> Alors mon ami, vous n'êtes pas enragé. Le
chien enragé se sert de ses crocs, parce qu'il n'a
pas d'autre moyen d'attaque que sa gueule, de
môme que le chat se sert de ses griffes et le
bœuf de ses cornes. Vous, vous devez vous ser-
vir de vos poings etpasd'autre chose. Si vous me
mordez, vous n'êtes qu'un fou ,»
Le malade n'eut pas de crise avant d'entrer à
l'hôpital ; mais, à peine arrivé, il en subit une
terrible etdistribua aux garçons de salle comme
aux internes, des volées de coups de poing di-
gnes d'un boxeur anglais.
Il mourut cependant.
Maintenant j'affirme qu'il suftit de ne pas
croire à la rage pour être absolument rebelle à
ce virus prétendu.
Pour ma part, j'ai été mordu quatre fois, et je
sais deux vétérinaires qui se sont laissé mordre
ou fait mordre chaque fois qu'une bonne occa -
6'fo/2 se présentait ! On cite un Américain, M.
Stevens, qui fut mordu jusqu'à quarante-sept
fois, et un Allemand, M. Fischer, dix-neuf fois,
uniquement pour prouver l'innocuitéde ce virus.
Je conclus.
Un homme mordu par un chien ou par un
16.
— 270 —
autre animal peut succomber à la suite d'une
hydrophobie rabiforme qui serait déterminée
également chez lui par toute autre blessure et
même par des rhumatismes.
Cest probablement le cas des paysans russes,
que M. Pasteur n'a pu guérir en raison de la
nature et de la gravité de leurs morsures.
On peut succomber également à la suite d'ac-
cidents nerveux produits par l'obsession de l'i-
dée fixe.
Or, dans ce cas, il suffit de la foi dans un re-
mède pour être sauvé, car, selon l'expression du
docteur Gaffe, < l'imagination peut détruire ce
qu'elle a enfanté ».
Cette foi dans le remède, beaucoup d'empiri-
ques, beaucoup de charlatans l'ont imposée dans
les campagnes aux paysans simples et crédules ;
et toujours la guérison, la guérison miraculeuse
se produit à la suite des remèdes les plus bi-
zarres, hannetons piles, écorce de citrouille,
yeux de chouette écrasés dans l'huile, etc., etc.,
car la foi, qui transporte les montagnes, guérit
aisément d'un mal qui n'a pour cause que la
peur du mal.
Mais cette conviction de laguérison ne pouvait
être imposée à l'humanité tout entière par les
vulgaires empiriques en qui croient aveuglément
des campagnards ignorants.
— 271 —
Alors un homme s'est rencontré, un très grand
homme, un savant illustre dont les travaux ad-
mirables avaient déjà enthousiasmé la terre,
dont les recherches mystérieuses sur la rage in-
quiétaient et passionnaient depuis des années ;
et cet homme, en qui l'univers tout entier avait
confiance s'est écrié : a Je guéris la rage, j'ai
trouvé ce grand secret de la Nature ! »
Et il a guéri, en effet, à la façon des saints qui
faisaient marcher les paralytiques par la simple
imposition des mains. Il a guéri le monde, il a
rendu à la race humaine un des plus grands ser-
vices qu'on puisse lui rendre : il l'a sauvée de
la peur qui tuait comme un mal.
Du fond de mon obscurité, je salue Monsieur
Pasteur.
Et si j'étais mordu demain j'irais le prier de
me soigner comme les athées qui appellent un
prêtre à leur dernière heure. — En effet, si la
dent du chien ne peut me communiquer la rage,
l'aiguille du savant ne me la donnera pas da-
vantage. — Et je serais sauvé par la seule puis-
sance de la statistique, car, à l'exception des
Russes et des Roumains, bien peu sont morts de
ceux qu'il a soignés. Combien en moarait-il
donc autrefois ? Bien peu. Dix-neuf par an, disent
les chiffres offlciels. Et nous savons, par les ino-
— 272 —
culations récentes de M. Pasteur, que le nombre
des gens mordus atteignait trois mille.
Recevez, etc.
Un vieux Vétérinaire.
CHAPITRE XVIÏI
LA RAGE EST-ELLE CONTAGIEUSE DE
L'HOMME A L'HOMME ? — OPINION DE
M. PASTEUR.
La note suivante est dénature à nous éclairer
sur les opinions que professe M. Pasteur sur la
transmissibilité de la rage et sur l'opinion qu'ont
sur lui les médecins étrangers.
Il s'agit de la transmissibilité de la rage de
l'homme. Deux médecins russes avaient été
mordus par un homme enragé. Ils se décident à
consulter le grand guérisseur. Voici quel a élé
le résultat des négociations d'après le Novoe
Vremia, qui publie l'importante lettre suivante
du savant professeur Paul Kovalski, de Khar-
kow :
<t Permettez-moi de faire savoir à vos lecteurs pour-
quoi les médecins Goutnikoff et Davidoft' ne sont pas
allés à Paris se faire traiter par M. Pasteur.
ï Ces médecins avaient reçu dans leur clinique un
homme mordu par un chien enragé. Dans un accès
d'hydrophobie, le malade mordit au doigt le Dr Gout-
nikoff et lui cracha au visage. La salive entra dans
— 274 —
l'œil, et atteignit aussi le Dr DaYidoff aune écorcliure
récente qu'il s'était faite à la main. Le malade expira
peu après.
« La morsure du D"^ Goutnikoflf et tous les endroits
atteints par la salive avaient été cautérisés immédia-
tement.
« Une question se posait : La morsure d'un homme
était-elle capable de communiquer la rage ? Notre
opinion personnelle est pour la négative ; mais, com-
me il s'agit ici d'une question de vie ou de mort, je
crus devoir consulter à cet égard plusieurs hommes
de science. Leur avis unanime fut : « Nous n'avons
pas connaissance de cas de contagion de la rage
d'homme à homme. »
« Je consultai également ]\I. Pasteur, qui envoya ce
télégramme : « Qiie les médecins viennent me trouver
sans retard. »
On le voit, l'illustre savant refuse d'abord de
donner son avis. Ce qu'il veut avant tout, c'est
augmenter le nombre des inoculés. On lui de-
mande si la rage esttransmissible de l'homme à
l'homme, et il répond :« Envoyez vite les clients.*
Les deux malades étaient d'autant plus désirés
par M. Pasteur qu'il s'agissait de deux médecins
distingués dont on aurait habilement exploité la
prétendue guérison.
Mais les Russes sont obstinés et ils insistent.
Un second télégramme détaillé est envoyé à M_
Pasteur. On lui pose nettement la question pour
~ 275 —
la seconde fois : « Croyez-vous, oui ou non, au
danger de la contagion de la rage de V homme à
Vhomme ? »
Cette fois il fallut s'exécuter, et voici l'incroya-
ble réponse qu'adressa le grand chimiste aux
médecins russes : « Personnellement, je crois,
MAIS SANS PREUVES, AU DANGER DE LA MORSURE
d'un homme HYDROPHOBE. »
Voici comment le professeur Kovalski inter-
préta la réponse de notre grand savant dans sa
lettre adressée à la Novoe Vremia :
« Cette opinion personnelle, sans preuves positives,
était évidemment sans valeur pratique pour nous.
« Au moment où nous compulsions tout ce qui
s'est écrit sur cette question, parut le n» 4 du Journal
de la Clinique du Dr Botkine, dans lequel le Dr Pi-
trowsld dit ceci : « Tous les savants cliniciens an-
ciens et modernes s'accordent à dire que la rage ne
se transmet pas d'homme à homme, aucun exemple
d'une semblable transmission ne pouvant être cité.
Cette opinion reste invariable depuis que la maladie
est connue, c'est-à-dire depuïs 30 siècles. »
« Devant un pareil concours d'opinions, les doc-
teurs Goutnikotr et Davidoff, convaincus de la non-
transmissibilité de la rage humaine, n'ont pas jugé
opportun de quitter leur maison, leur famille, leur
patrie, pour aller au loin subir l'inoculation d'un
virus inconnu.
« Nous ne devons pas perdre de vue que les ino-
— 276 —
CLilations de M, Pasteur ne remontent qu'au mois
d'octobre 1885, et qu'elles sont encore loin d'avoir
fait leurs preuves.
a Recevez, etc.. i
La lettre du professeur Kovalskl se passe de
commentaires. On m'avait bien dit que, lors du
décès d'un des Russes àl'Hôtel-Dieu, M. Pasteur
n'osait approcher du lit du malade et avait pro-
noncé les paroles suivantes : « Empêchez, je vous
prie, que cet homme ne m'approche ; je crains
fVêtre mordu. » Mais j'avais considéré ce racon-
tar comme une plaisanterie colportée par les
malveillants.
Mais le télégramme adressé aux médecins rus-
ses nous fait connaître positivement l'opinion du
grand homme. M. Pasteur en est encore au temps
où on croyait que les hydrophobes mordaient et
inoculaient la rage à leurs semblables par leurs
morsures. Il a sur la rage la même opinion que
votre concierge ou votre tailleur. Pour lui, les
enragés mordent et leurs crachats sont dange-
reux ; il en arrivera bientôt à faire enfermer les
hydrophobes dans une cage de fer ou à les étouf-
fer entre deux matelas selon la méthode prati -
quée jadis dans nos campagnes.
Voilà où on en est à l'École normale !
CHAPITRE XIX
LE TRAITEMENT RATIONNEL DE LA RAGE
MESURES PROPHYLACTIQUES.
Nous dirons quelques mots dans ce chapitre
du traitement de la rage tel qu'il était pratiqué
avant l'avènement de M. Pasteur.
Nous avons combattu dès le début avec la plus
grande énergie la nouvelle méthode inoculatrice
non seulement parce que nous la considérions
comme irrationnelle, puérile et inefficace, mais
surtout parce que l'engouement dont elle était
l'objet empêchait les malades et même les méde-
cins d'appliquer immédiatement la seule pro-
phylaxie vraiment utile, nous voulons parler de
la cautérisation.
Avant les téméraires assertions de M. Pasteur
et la triste condescendance de MM. Vulpian et
Grancher, aussitôt qu'un individu était mordu
par un chien suspect, le médecin, le pharmacien
et même les personnes absolument étrangères à
l'art deguérirs'empressaientde cautériser la plaie
avec un fer rougi ou tout autre acide. Immédia-
— 278 -
tement pratiquée, la cautérisation avait pour but
de détruire le virus morbide et d'empêcher son
absorption par l'économie.
Mais, hélas ! l'engouement et la crédulité du
public ont fait négliger cette partie importante
du traitement depuis que l'agence Havas et tous
les organes dévoués à la coterie pastorienne ont
annoncé — avec M. Vulpian — qu'on avait dé-
couvert une méthode nouvelle qui guérissait a
COUP SUR la rage.
On verra dans les tables de mortalité que nous
reproduisons plus loin que la plupart des mal-
heureux qui ont succombé avaient d'abord été
dirigés sur le laboratoire de l'Ecole normale,
SANS AVOIR ÉTÉ CAUTÉRISÉS. Ccttc précaution était
inutile, puisqu'on obtenait la guérison a coup sur
par la méthode nouvelle.
Je n'hésite pas à déclarer que si la mortalité
par la rage a été sensiblement i^^ws élevée pen<
clant Vannée 1886 que pendant les années
précédentes, c'est à cette méthode néfaste qu'il
faut attribuer cette triste nécrologie.
IMPORTANCE DE LA CAUTÉRISATION.
Nous ne saurions trop le répéter, le premier
devoir du médecin ou de toute autre personne
appelée auprès d'une personne mordue par un
chien suspect est de pratiquer la cautérisation.
- 279 -
Les praticiens les plus autorisés sont unani-
mes sur ce point. Les anciens : Rufus d'Ephèse,
G-alien, Aetius et tous les médecins grecs comp-
taient plus sur le cautère actuel que sur toutes
les a:utres médications. Dioscoride, Celse l'ont
aussi conseillé et ont donné des indications pré-
cises à cet égard.
Les auteurs modernes sont non moins unani-
mes.
Nous citerons d'abord le vétérinaire Bouley,
qui était du reste un des plus zélés partisans de
M. Pasteur.
« S'il est à craindre, dit cet auteur, que la bles-
sure a été faite par un animal enragé, il faut
la cautériser partout où elle se trouve, et cela,
non pas timidement, mais avec hardiesse. En
conséquence, on portera encore le fer rouge dans
la plaie, malgré le voisinage d'une artère même
considérable.
« Le point capital est de prévenir le développe-
ment de- l'hydrophobie. Si donc, il est certain
que, pour atteindre ce but, il soit nécessaire de
sacrifier un vaisseau ou un tronc nerveux, il
n'y a point à hésiter ; on doit cautériser hardi-
ment comme s'il n'y avait point de vaisseau,
— 280 —
après en avoir toutefois pratiqué la ligature au-
dessus de la plaie.
« Qu'importe la douleur d'une cautérisation, à
supposer que le diagnostic ultérieur de l'état du
chien démontre qu'elle était inutile, comparée
aux terribles conséquences que peut avoir l'abs-
tention ou l'application trop tardive du cautère. »
Le professeur Bouchardat formulait ainsi le
seul traitement de la rage : « Une seule chose
est certaine dans le traitement prophylactique
de la rage, c'est l'utilité de la cautérisation. »
Le professeur Tardieu, dont tout le monde con-
naît l'autorité et la compétence en pareille ma-
tière, s'exprimait ainsi : « On ne saurait trop le
répéter, la seule chance de salut qui soit offerte
aux personnes mordues par les animaux atteints
de la rage consiste dans la cautérisation la plus
prompte et la plus complète des plaies virulenter,.
« Combien n'est-ildoncpas regrettable, ajoutait
Tardieu, de voir se perpétuer, malgré les progrès
delà science et les efforts incessants de l'admi-
nistration, des pratiques obscures, des supersti-
tions d'un autre âge, qui, remplaçant le seul
traitement encore efficace, livrent des malhcu-
— 281 —
reuses victimes à uii mai qui ne pardonne pas. »
Ces remarques sévères ne sont-elles pas égale-
ment applicables aux deux médecins (1) qui ont
abusé de leur situation scientifique pour procla-
mer 6.2? caz^/zecZra que le chimiste de l'Ecole nor-
male avait découvert un remède infaillible qui
dispensait par conséquent du traitement local.
Tardieu insiste encore sur la cautérisation, seul
traitement prophylactique rationnel.
« La question qui nous reste à examiner est,
sans contredit, celle qui offre l'intérêt pratique le
plus considérable, et sur laquelle il serait le plus
utile que l'opinion non seulement des médecins,
mais encore du public tout entier, fût éclairée et
définitivement fixée. Nous voulons parler de l'u-
tilité absolue et de l'efficacité relative des
moyens destinés à empêcher le développement
de la maladie chez les personnes mordues par
des animaux enragés, notamment de la cautéri-
sation à l'aide des divers caustiques.
« On ne saurait donc répéter avec trop d'insis-
tance que le seul refuge contre ce mal redouta-
ble, est la cautérisation immédiate avec le fer
rouge et que tout autre moyen compromet l'ave-
(1) MM. Yulpian et Grancher.
— 282 —
nir par la perte irréparable des seuls moments
où le traitement préventif est applicable. >
Enfin, M. Pasteur lui-mêmeconsidérait autre-
fois les cautérisations comme très efficaces, puis-
qu'il écrivait au D'Rigault la lettre suivante re-
produite dans le Journal de Médecine de
Paris :
« Je ne puis vous indiquer aucun traitement
pour l'enfant. Les cautérisations que vous avez
pratiquées doivent vous rassurer pleiiiement
sur les conséquences de la morsure. -^
Il est donc avéré que M. Pasteur lui-même
croyait à l'efficacité de la cautérisation comme
traitement prophylactique.
Ce n"est point ici le lieu de décrire les procédés
à l'aide desquels on doit cautériser les morsures
de chiens suspects. Le fer rouge, dont l'applica-
tion est moins douloureuse qu'on ne le croit, sera
préféré. N'importe quel instrument peut être
employé pour l'opération. Une clef rougie, un pi-
que-feu, peuvent servir si l'on est éloigné des
secours médicaux. Lessentiel est d'agir promp-
tement.
La cautérisation peut être également prati-
quée avec des agents chimiques, tels que l'acide
phénique, le beurre d'antimoine, etc.
— 283 -
On a conseillé la succion de la plaie. Ce pro-
cédé est très recommandable en attendant la
cautérisation. Il est inoffensif si la personne qui
le pratique ne possède aucune plaie ou érosion
des lèvres ou de la bouche.
Nous le répétons, notre intention n'est pas de
donner ici tous les détails du traitement local,
mais d'insister seulement sur son importance.
Nous supplions les personnes mordues par des
chiens suspects de se faire cautériser immédia-
tement. Si cette cautérisation est bien faite, elles
seront garanties bien mieux que par le traite-
ment Pasteur qui s'est montré non seulement
inefficace, mais dangereux.
AUTRES MOYENS DE TRAITEMENT.
Disons maintenant quelques mots des autres
procédés de traitement qui doivent passer, à no-
tre avis, au second rang.
Dans un traité publié en 1885 sous le titre :
Rage, moyen préservatif et curatif, le docteur
Buisson, de la Faculté de Paris, qui avait eu l'oc-
casion ()i expérimenter son moyen sur lui^
même, indique les prescriptions suivantes :
Œ Quand une personne a été mordue par un
« chien enragé, il faut lui faire prendre sept
« bainsde vapeur, un par jour, dit à la russe., de
-^ 284 —
« 57 à 64 degrés. » C'est là le moyen préventif.
« La maladie déclarée, dit-il plus loin, je ne
« fais prendre qu'un seul bain et j'y laisse le ma-
a lade jusqu'à sa guérison, en ayant le soin de
« donner de la chaleur graduellement. Ce seul
* bain, monté rapidement à 57 degrés centigra-
« des puis lentement à 63 degrés, doit suffire. Le
« malade doit être tenu enfermé dans sa cham-
« bre jusqu'à guérison complète. »
Le docteur Buisson déclare avoir guéri par ce
moyen ln graad nombre de personnes atteintes
DE RAGE CONFIRMÉE.
•« L'expérience m'a prouvé, dit-il enfin, après
« une longue pratique, que la maladie, quand
a elle a fait explosion, dure ordinairement trois
« jours. Le premier jour, la guérison est cer-
« taine par le traitement sudoriflque ; elle est
« incertaine le second et à peu près sans espoir
« le troisième, à raison de l'état de crise violente
« où se trouve le malade. Mais, qui, connais-
« sant le remède, laisserait volontairement arri-
a ver la dernière période de la maladie ? On n'at-
» tendra pas même la maladie, on la préviendra
« toujours. >
285
CAS DE GUERISON PAR DIVERS TRAITEMENTS.
En Russie, une jeune fille de douze ans, at-
teinte de rage confirmée, a été guérie en quel-
ques jours par les docteurs Sclimidt et Ledebew,
à l'aide d'inhalations d'oxygène.
L'an dernier, au mois de juillet, près de Pq-
jols (Gironde), un homme a été guéri de la rage
par le docteur Darsigne, à Faide du traitement
suivant :
Potion contenant arséniate de strychnine et
bromure de camphre ; piqûres de sous-nitrate
de pilocarpine (sudoriflque). Après quoi le ma-
lade est plongé jusqu'au cou dans une caisse
chauffée avec des bougies et une lampe à alcool
(autre moyen sudorifique, véritable bain de va-
peur). En cinq jours 60 piqûres et 20 heures dans
la caisse, Guérison complète.
En 1882, le docteur Denis-Dumont, médecin
en chef de l'hôpital de Caen, obtint, en quelques
jours, la guérison d'un hydrophobe, 1© nommé
Grillée, à l'aide du bromure de potassium, du
sirop de codéine, du chloral et d"injections sous-
cutanées de sous-nitrate de pilocarpine (sudo-
rifique.
M. le docteur Barthélémy, médecin des hôpi-
taux de Nantes, a publié un cas de rage traitée
par le Hoang-han. Cette substance, qui s'emploie
— 280 —
sous forme de poudre à la dose de 10 centigram-
rpes toutes les heures, a été importée duTonkin.
M. Barthélémy croit pouvoir affirmer l'effi-
cacité de ce médicament à titre préventif. Dans
un cas où il a été appliqué lorsque la maladie
a été déclarée, il n'a pas réussi.
En 1883, M. Dujardin-Beaumetza soumis trois
personnes mordues par un chien enragé à un
traitement par l'ail et les bains de vapeur. Au-
cune d'elles n'a contracté la rage.
Tout récemment le docteur Jagell citait devant
l'Académie de médecine de Paris, de nombreux
cas de guérison de la rage qu'il a obtenus par
l'administration de tisane de spirée filipendule
{reine des prés).
Le Paris-Médical (Il septembre 1886) signale
un cas de guérison de la rage confirmée, obtenue
le 28 juillet dernier, à Naples, par le docteur de
Capud, à l'aide d'injections d'atropine et de su-
blimé corrosif (deutochlorure de mercure).
De l'examen de ces diverses méthodes, il ré-
sulte que les spécifiques employés pour la plupart
sont des calmants énergiques, des stupéfiants,
que les injections pratiquées sont destinées à
provoquer une salivation et des sueurs abondan-
— 287 —
tes ; en d'autres termes : tous moyens d'amener,
— d'une part, la détente générale du système
nerveux, et, d'autre part; l'élimination du virus
rabique par les voies naturelles : glandes sali-
vaires ou glandes sudoripares.
Ce sont là des traitements rationnels, physio-
logiques, qui sont loin d'offrir une garantie abso-
lue, mais qui sont préférables et surtout moins
dangereux que les virus moelleux de M, Pas-
teur.
MESURES PROPHYLACTIQUES
On sait que la seule application des mesures
prophylactiques d'ordre purement administra-
tif a suffi pour faire descendre à 0 la mortalité
par la rage en Prusse.
Les mêmes mesures auraient certainement le
môme effet en France et nous constatons du reste
avec plaisir que l'attention si vivement appelée
sur la rage pendant 1886 a eu pour effet de ren-
forcer ces mesures.
Les vétérinaires ont fait abattre un nombre
considérable de chiens suspects. A Alfort, la pro-
portion de chiens abattus a été quadruplée.
Voici l'indication des mesures qui ont été pri-
ses pour obtenir la diminution des cas de rage :
1° Arrestation et abatage des chiens errants
— 288 —
dans la ville et dans la banlieue alors que ces
animaux sont dépourvus de collier portant le
nom et l'adresse de leur maître ;
2° Enquêtes sérieuses faites sur les cas de rage
et par suite application de l'ordonnance aux ani-
maux mordus ou soupçonnés de l'avoir été ;
30 Affichage des instructions émanant du con-
seil d'hygiène indiquant les symptômes de la
maladie et les mesures à prendre en cas de mor-
sure ;
40 Poursuites exercées contre les propriétaires
de chiens qui laissent errer ces animaux avec
ou sans collier et contre ceux dont les chiens ont
mordu des personnes.
Des statistiques comparées des années 1î>77
à 1879, il résulte que, grâce au redoublement de
rigueur dans l'application des mesures ci-dessus
édictées par arrêté ministériel, le nombre des
cas de morsures rabiques est tombé de 613 en
1877 à 285 en 1879, soit une diminution de plus
de moitié.
Le nombre des personnes mordues a été de 67
(connues) au lieu de 103 en 1878, et l'on n'a eu
connaissance que de 12 cas de décès par la rage
au lieu de 24 signalés en 1878.
Il en est de même pour les animaux mordus,
dont le chiffre est tombé à 314 en 1879 au lieu de
485 en 1878.
— 289 —
Sur ces 314 animaux mordus. 300 ont été abat-
tus.
Nous avons le ferme espoir que l'application
rigoureuse de ces mesures que chaque ciloyen
doit s'efforcer de seconder fera diminuer consi-
dérablement la mortalité de la raffe en 1887.
CHAPITRE XX
L'INSTITUT PASTEUR ET SES SUCCUR-
SALES A L'ÉTRANGER^
On se souvient que le grand chimiste avait
fait décréter la fondation d'un établissement in-
ternational destiné à traiter les enragés « de la
France, de l'Europe et de l'Amérique du Nord » .
Un million et demi prélevé sur les fonds de l'E-
tat, des Conseils généraux et municipaux lui a
été confié pour l'exécution de ce projet.
Nous n'avons jusqu'à présent élevé aucune
objection à la fondation d'un Institut Pasteur.
Nous pensions que, lorsque la' folie antirabique
serait passée, l'établissement pourrait être utile-
ment employé au traitement des maladies con-
tagieuses et pourrait, de toutes façons, avoir un
but scientifique et humanitaire.
Les fonds ont été souscrits, il est vrai, pour créer
un établissement vaccinal contre la rage. Or,
la vaccination de M. Pasteur contre la rage
devant être aussi efficace et aussi éphémère que
celle de M. Ferran contre le choléra, il faudra
— £91 —
de toute nécessité donner une autre destination
au fameux Institut qui, du reste, n'est pas encore
créé, les fonds versés ayant été uniquement em-
ployés jusqu'à ce jour à fournir quelques pré-
bendes à de jeunes savants sans emploi.
Mais il est à craindre qu'un certain nombre
de donateurs ne viennent à réclamer les fonds
qu'ils ont souscrits lorsqu'il verront que l'éta-
blissement n'est plus exclusivement affecté au
traitement de la rage.
Dans tous les cas, le conseil municipal de
Paris, qui n'a fait don à l'établissement d'un
terrain estimé plus d'un demi-million qu'à la
condition qu'on ne puisse en changer la destina-
tion, sera parfaitement en droit de reprendre sa
donation lorsque la clientèle des enragés aura
disparu.
Quoiqu'il en soit, nous ne pouvons, comme
médecin, que nous féliciter de la générosité de
l'Etat et du public, puisque nous disposons d'un
capital déplus de deux millions pour fonder un
établissement médical et humanitaire. Nous
avons le ferme espoir que, lorsque l'Ecole pasto-
rienne aura disparu pour faire place à l'Ecole du
bon sens, les administrateurs de cet établisse-
ment en tireront le meilleur parti dans l'intérêt
de la science et de l'humanité.
— 292 —
LES INSTITUTS A L ETRANGER.
Quelques savants étrangers ayant demandé
à M. Pasteur de leur fournir les éléments né-
cessaires pour la fondation d'un semblable éta-
blissement dans leurs capitales, celui-ci s'y était
refusé. Répondant à une lettre du ministre de
l'instruction publique de Russie, le chimiste
s'exprimait ainsi : c J'ai formulé mon opinion
au sujet de la fondation de l'Institut internatio-
nal à Paris et j'ai dit qu'il pouvait suffire pour
la France, l'Europe et l'Amérique du Nord.
Je persiste à croire qu'on aura le temps de ve-
nir de tous les points de la Russie en temps
utile. » En somme. M. Pasteur voulait monopo-
liser sa méthode et conserver le secret de son
traitement afin d'en tirer, selon ses habitudes,
les plus grands avantages moraux et matériels.
Mais les choses ont changé depuis quelques
mois. Les Russes qui étaient vraiment enragés
ont tous succombé. M. Pasteur, pour expliquer
ces insuccès, a changé d'opinion ; il a prétendu
que a les Russes n'avaient pu arriver à temps
pour être utilement soignés ï>.
Il n'a pu alors refuser aux savants étrangers
la création des succursales demandées.
Un professeur de Rio de Janeiro est parti en
-- 293 —
emportant un lapin trépané et inoculé selon la
méthode. Le précieux animal doit servir à en
inoculer d'autres pour la fondation d'un « Insti-
tut » à Rio.
Depuis cette époque, un nombre considérable
d'Instituts se sont fondés à rétran^/or, notam-
ment en Russie ; mais les divers établissements
actuellement affectés à la guérison de la rage
portent généralement le nom plus rationnel
d'Instituts bactériologiques.
Il en existe en Russie :
Un Institut à Saint- Pétersbourg ;
Un à Odessa ;
Deux à Moscou, qui se font concurrence ;
Un à Sancarra.
L'Institut fondé àVarsovie,par le D^^Boui ville,
a dû être fermé par suite de manque de fonds
et surtout parce qu'on croit qu'un jeune lycéen
y a été inoculé de la rage au lieu d'en être guéri.
L'Espagne, l'Italie et l'Amérique du Sud se
sont couvertes d'Instituts Pasteur. Seuls quel-
ques grands Etats tels que l'Angleterre, l'Au-
triche, l'Allemagne et les Etats-Unis se sont gar-
dés de cet engouement.
Il existe, il est vrai, une chaire et un labora-
toire de bactériologie à Vienne, mais cet établis-
sement dirigé par von Frisch existait avant l'a-
vènement de M. Pasteur et de sa rabiomanie.
17.
— 294 —
Mais ces diverses succursales ne semblent pas
devoir donner de meilleurs résultats que la
« maison mère ».
Le Novoê Vrémia nous fournit encore des dé-
tails intéressants sur les ridicules et les insuccès
de l'application de la méthode de Pasteur en
Russie.
•A l'institut fondé à Saint-Pétersbourg par le
prince d'Oldenbourg, quatre-vingt-dix malades
se sontdéjà présentés pour subir les inoculations,
mais sans qu'il fût possible, la plupart du temps,
de constater s'ils avaient été mordus par des ani-
maux réellement enragés. Dans bien des cas,
ceux-ci n'ont pu être retrouvés.
A l'institut d'Odessa, deux enfants du district
de Brianski : Paul Potaïkinn, âgé de sept ans,
et Vassa Voropaïeff, âgée de seize ans, furent
mordus par un chien enragé, le 27 juin. Ils re-
çurent à l'Institut d'Odessa : le premier, une sé-
rie et demie d'inoculations ; la seconde, une sé-
rie de dix inoculations.
Potaïkinn est mort à l'hôpital Orloff, le 15
août, quarante-six jours après la morsure, un
mois environ après la fm du traitement. La jeu-
ne Voropaïeff est morte le 22 août, cinquante-
trois jours après la morsure, un mois et demi en-
viron après les inoculations.
Ces accidents fâcheux ont eu cet effet singu-
— 295 —
gulier que, depuis le mois d'août, l'Institut d'O-
dessa a supprimé, dans les journaux de la loca-
lité, le bulletin qu'il publiait sur les résultats des
inoculations. C'était pousser un peu loin l'imi-
tation des procédés Pasteur.
Le résultat obtenu à Varsovie par le D"" Bouï-
ville est malheureusement aussi triste que ceux
constatés au laboratoire Pasteur dans le dernier
trimestre de l'année à la suite de la méthode
dite intensive.
Voici le fait :
Le 11 novembre, à Lubline, est mort d'hy-
drophobie l'élève du lycée Arthur Stoboï. Au
mois de juillet, il fut mordu par un chien que
l'on supposait enragé. Immédiatement, on mit
Arthur Stoboï à l'Institut du D' Bouïville, pour
y être soumis aux inoculations du système Pas-
teur. Le jeune garçon y resta jusqu'au 11 août ;
on lui inocula du virus d'un lapin.
Ensuite, Arthur Stoboï, ayant présenté un cer-
tificat d'inoculation, fut admis au, lycée. Le 9
novembre, il sentit une douleur à l'endroit où
on lui avait fait l'inoculation et, deux jours plus
tard, il mourait de la rage. Cependant, le chien
qui avait mordu l'enfant est, jusqu'à présent,
vivant et bien portant et ne manifeste aucun
symptôme d'hydrophobie. Il est clair, par consé-
— 296 —
quent, qu'il faut attribuer la mort de l'enfant
à l'inoculation pastorienne.
Les Russes ont été plus heureux que les Fran-
çais et l'Institut Pasteur de Varsovie a été fermé
à la suite de cet homicide par imprudence.
A Moscou, les résultats semblent avoir été
moins malheureux. Il est vrai qu'on n'a pas en-
core osé inaugurer le système dit intensif.
Voici quelques résultats publiés par le B^
Petermann, directeur d'un des deux établisse-
ments :
En trois mois, 115 individus ont été traités. 85
avaient été mordus par des chiens, 18 par des
loups, 5 par des chevaux, 4 par des chats et 1
par un corbeau (sic), enfin, parmi eux, il y en
avait 11 qui étaient blessés au visage. Petermann
commença ses inoculations avec des moelles de
12 à 13 jours, et il arriva successivement à cel-
les de2 à 3 jours. Au moment de la publication
de ces résultats dans la Mecl. Ohosrenije 20/86
(en russe), il était mort 2 malades sur les 115;
voici leur histoire sommaire :
I. A. Kurbatow,38 ans, mordu le 13 juillet par
un chien, inoculé le 27, par conséquent 14 jours
après l'accident.
Le 9' jour du traitement, il succomba aux ac-
cidents ordinaires de l'hydrophobie .
— 297 —
IL P. Gorbunow, mordu à Ferme, par un
loup le 5 août ; huit jours après on commença
les inoculations préventives, mais le T'^jour du
traitement le malade mourut.
A la station bactériologique d'Odessa, les résul-
tats furent quelque peu dilférents. Sur 103 ino-
culés, il y eut 7 morts, et la période d'incubation
varia entre 30et 62 jours. Il est vrai de dire qu'à
Odessa le matériel expérimental était très défec-
tueux; en tout cas, la mortalité y fut plus gran-
de qu'à Moscou et qu'à Paris. {Deut.MecUz.
Zeitung, 98/c6.)
Nous aurons l'occasion de revenir dans notre
récapitulation générale des décès sur les résul-
tats obtenus en Russie par les établissements
créés à l'instar de celui de Paris.
CHAPITRE XXI
LA STATISTIQUE.- COMMENT M. PASTEUR
TRAITE LES CHIFFRES ET ARRIVE A UN
CHIFFRE PRODIGIEUX DE GUÉRISONS.
FRÉQUENCE DE LA RAGE.
M. Pasteur, qui traite l'arithmétique en grand
seigneur, a fait dire, le 10 octobre 1886, à la Sor-
bonne par son lieutenant Chautemps que la mor-
talité par rage, en France, pendant les sept der-
nières années de l'Empire, donnait une moyenne
annuelle de 51 décès, chiffre qu'il s'est permis
d'élever, en dépit des statistiques officielles, jus-
qu'à 76, sous prétexte qu'un tiers des départe ■
ments français n'avaient pas signalé de cas de
rage durant cette période.
Or, en nous basant sur ces mêmes statistiques
des sept dernières années de l'empire, savoir:
1864, 6Q décès ; 1865, 48 ; 1866, 64; 1867, 57 ; 1868
56 ; 1869, 36, et 1870, 6, nous dégageons une
moyenne annuelle de 47 décès 7 dixièmes, et non
de 51.
Il convient de faire remarquer que, sauf la der-
— 299 —
nière année, M. Pasteur a choisi de préférence
les années fournissant les chiffres les plus élevés,
alors qu'il invoquait un tableau dressé de 1850 à
1872, d'après les indications officielles du comité
consultatif d'hygiène de France, par M. le doc-
teur Brouardel, dans son Dictionnaire encyclo-
pédique des sciences médicales (S^ série, vol. 2,
page 192).
Voici ce tableau :
1850 27 décès 1858 17 décès 1800 04 décès
1851
12 —
1859
19 —
1867
57
1852
40 —
1800
14 —
1868
5o
1853
37 —
1801
21 —
1869
36
1854
21 —
1802
20 —
1870
6
1855
21 —
1863
49 —
1871
14
1856
20 —
1804
06 —
1872
15
1857 13— 1865 48 —
D'après les chiffres qui précèdent, la moyenne
annuelle des décès par rage est donc de 30, selon
l'arithmétique, et non de 76, comme le prétendent
ceux qui jonglent avec les chiffres.
On a essayé d'établir, à l'aide de déductions
plus habiles que sincères, que la rage eût du
faire, cette année, en France, 155 victimes au
lieu de 10, la nouvelle méthode en ayant sauvé,
nous dit-on, 145.
Les statistiques officielles qu'on vient de lire,
— 300 —
établissant que la rage n'a jamais fait en France
155 victimes en une année 'v^le chiffre le plus éle-
vé ne dépassant pas 60 décès), infligent à cette
prétention un démenti formel.
Nous avons déjà traité, dans un chapitre précé-
dent, la question de la fréquence de larago.
Il nous paraît utile de placer de nouveau sous
les yeux de nos lecteurs l'opinion des hommes
compétents pour répondre aux assertions des
pastoriens depuis l'impression de la première
partie de ce livre.
Voici ce que disait M. Leblanc, vétérinaire,
membre de l'Académie de médecine:
ï La rage, quoique étant une cause presque
infaillible et épouvantable de mort, est infmiment
moins fréquente que beaucoup d'autres causes
dont le résultat est le même. D'après M. Vernois,
la moyenne des cas de rage chez l'homme pour
toute la France, a été de 17.08 pour 100 ; et selon
M. Tardieu, de 20 à 24,3 pour 100 ; les coups de
pieds de cheval eux seuls, par exemple, occasion-
nent une bien plus grande mortalité.»
En ce qui concerne la mortalité par la rage,
Bouley, qui était un des plus fervents défenseurs
de la méthode Pastorienne, s'exprimait ainsi :
a En voyant combien les cas de rage sont rares
— 301 —
sur l'espèce humaine relativement au nombre des
animaux de l'espèce canine qui, chaque année,
sont atteints de cette maladie, nous inclinons à
penser que la proportion établie par Hunter est
celle qui se rapproche le plus de la réalité : 5 pour
100 seulement des personnes mordues seraient
vouées à la rage.»
On comprend facilement l'intérêt qu'ont au -
jourd hui les Pastoriens à exagérer la fréquence
de la rage, l'année 1886 qui vient de s'écouler
ayant donné une mortalité par la rage de beau-
coup supérieure à celle des années précédentes.
Comment il est mort en 1886, 46 personnes de la
rage alors qu'il n'en devait mourir que 25 ou 30
d'après les slatistiques des années antérieures ;
où donc sont les avantages de votre méthode ?
Dans la séance du 18 janvier 1887 (Académie
de médecine), M. Brouardel contestait ce chiffre
de 30 par an qu'il avait lui-même donné dans
son article i?r/^e, du Dictionnaire encyclopédi-
que des sciences médicales.
La meilleure réponse à opposer à M. Brouar-
del et aux Pastoriens qui cherchent à s'illusion-
ner sur la fréquence de la rage en France est le
passage suivant de Tardieu qui est extrait d'un
— 302 —
rapport officiel que ce grand hygiéniste a pré-
senté au ministre en 1863.
«... Ce cliiffre(24 à 25, s'il n'est pas l'expression
absolue de la vérité, n'en est pas certainement
très éloigné : car grâce à la stimulation inces-
sante de l'administration supérieure, grâce au
concours des autorités locales et des conseils
d'hygiène d'arrondissement, on est arrivé à ob-
tenir des réponses à l'enquête presque dans la
totalité des départements. Je maintiens donc
par toutes ces raisons ce chiffre de 25 cas de rage
comme représentant très approximativement les
faits de transmission qui se produisent chaque
année en moyenne dans toute la France, chiffre
encore trop considérable, à coup sûr, mais qu'il
est consolant de pouvoir opposer à ce nombre de
victimes six ou huit fois plus grand, dont il ne
DOIT PLUS ÊTRE PERMIS d'EFFRAYER LES ESPRITS.
MM. les pastoriens ont trouvé là un juge
sévère. En exagérant la fréquence de la rage,
ils ont simplement pour but ô.'eff'rayer les es-
/inïs et d'augmenter la peur qu'engendre cette
maladie afin de faire croire à la valeur de leur
méthode miraculeuse de traitement.
— 303 —
COMMENT M. PASTEUR PRÉSENTE LA STATISTIQUE
Voici comment un écrivain distingué, colla-
borateur du Journal de médecine de Paris, a
commenté les récentes statistiques fournies par
M. Vulpian, au nom de M. Pasteur, à l'Aca-
démie des Sciences et à l'Académie de Médecine.
Comment un homme de la valeur de mon-
sieur Vulpian peut-il soutenir l'argument sui-
vant qu'il emploie à la défense de la méthode
Pasteur ?
« Il est mort dans une année 16 individus en-
ragés, non inoculés préventivement : les sta-
tistiques antérieures donnaient une moyenne de
16 décès pour 100 mordus par des chiens enra-
gés, il y a donc eu en France, dans l'année qui
vient de s'écouler, 100 individus mordus par des
chiens enragés et qui ne se sont pas fait inocu-
ler I »
Jusqu'ici rien de mieux et rien de plus limpi-
de mais après, quel brouillard et par conséquent
quelle chute !
« Par contre, le laboratoire a inoculé 1726 mor-
dus et n'a eu que 12 décès au lieu de 276 que ce
chiffre de 1726 aurait dû produire ; donc, par le
procédé Pasteur, la mortalité est abaissée à
0,93 "IJBull. de VAcad. n' 3, page 105, 1887).
— 304 —
Est-il un raisonnement plus faux ? et ne doit-
on pas dire au contraire :
« Il est mort cette année 30 personnes de la
rage ; c'est la moyenne normale. »
Or cette moyenne s'appuyant sur le chiffre
de 16 décès de rage pour 100 mordus faisait sup-
poser pour les années antérieures 200 individus
environ mordus par année et pas six de plus.
Pourquoi, cette année, transfigurer ce chiffre
de 200 et accepter de gaité de cœur que la som-
me totale annuelle de 200 mordus par an qui a
paru rationnelle pour une statistique de 20 ans
sesoit élevée d'un bond à 1826 ?
Nous savons bien qu'on vient nous dire d'au-
tre part que le chiffre de 30 décès par an pour
la rage est approximatif, qu'un tiers des dépar-
tements n'a pas répondu à l'enquête et que,, par
conséquent, il doit être, non, il est trop faible :
soit. En ce cas il est permis de supposer que ce
tiers du territoire de la République n'était ou
n'est pas plus mal partagé que les deux autres ;
il y a même des esprits mal faits qui, s'appuyant
sur les exemples de Gonstantinople et d'au-
tres lieux, prétendraient au contraire que ce tiers
était peut-être mieux partagé et que pour cette
raison l'enquête n'a pas eu sa réponse, mais
nous ne sommes pas de ces esprits-là et nous
mettons au passif de ces départements heureux
— 305 —
ou négligents le tiers qu'aurait dû représenter
sa mortalité par cas de rage, ci 15
Mortalité déclarée d'autre part 30
Total.... 45
C'est bien loin du chiffre supposé par M. Vul-
pian.
Mais on vient nous dire encore: « Ce chiffre
est inférieur à la vérité parce qu il y a un grand
nombre de décès rabiques cachés par un autre
diagnostic, intentionnellement ou non. »
Nous croyons que c'était maintenant que cela
pouvait se dire : mais enfin soyons coulants et
quelque peu de créance que nous ayons dans
ce raisonnement, car il n'y a pas de maladie
inspirant tout à la fois plus de pitié et d'horreur,
plus terrible, plus frappante et par conséquent
moins ignorée dans ses résultats apparents que
la rage, admettons pour un instant que la moitié
des décès demeure inconnue: Nous n'en croyons
rien, mais c'est pour faire plaisir à nos adversai-
res.
Nous voilà donc en face de '^ fois 45, soit 90
décès annuels par rage : la proportion des décès
pour cent n'a pas changé, elle est la même ou à
peu près dans tous les pays qui ont fait les mê-
mes recherches ; cela suppose donc 563 mordus.
Voilà, nous l'espérons, une concession suffîsan-
18
— 306 —
te, et si, sur ce chiffre-là, la statistique de la
rue d'Ulm avait trouvé 1 décès %, exactement
0,93 % , comme, à tout prendre, il peut s'approcher
de la vérité, nous aurions été les premiers à crier
victoire.
Mais nous sommes loin de compte. On vient
nous dire : « Ce n'est pas 30 décès qu'il y avait
par année, on a mis ce chiffre dans les diction-
naires, c'est vrai, mais les dictionnaires, qu'est-ce
que ça prouve, si ce n'est que les éditeurs gagnent
beaucoup d'argent, ce n'est même pas 90, c'est
276 décès qu'il aurait dû y avoir cette année !...,
plus 16 enragés de mauvais caractère qui sont
morts dans Timpénilence finale sans recevoir les
secours de la nouvelle religion : total 292 décès qui
doivent avoir eu lieu antérieurement ou qui au-
raient dû avoir lieu cette année ; et cela parce
qu'il y a eu 100 mordus de votre côté et 1726
du nôtre, autrement dit 1826 mordus.
Nous déclarons bien humblement ne pas être
en état de suivre de pareils raisonnements. Le
moyen de croire, en effet, qu'un chiffre puisse
être diminué ou faussé par l'erreur de la statisti-
que de 9 fois sa valeur ! 11 ny a qu'une coquille
qui puisse donner un semblable résultat. Que
dans une épidémie de choléra ou autre, même à
l'heure actuelle et malgré les moyens perfection-
nés que nous avons, il se commette des erreurs,
— 307 -
que quelques centaines puissent être marquées
en plus ou en moins, c'est admissible ; il s'agit
là de chiffres imposants et se marquant par mil-
liers oudizainede mille, mais, pour unemaladie
si terrifiante, si connue dans la plupart de ses
phénomènes extérieurs, que, du chiffre de 30 dé-
cès qu'une enquête minutieuse a enregistrés et
que nous portons à 90 par une hypothèse aussi
large que gracieuse, on saute à 292 décès, pour
un lapin c'est peut-être facile, mais pour nous,
nos jarrets s'y refusent.
Le goût des chiens, heureusement pour le
fisc, s'est très répandu, c'est vrai, les petites da-
mes promènent une meute de gros chiens, les
hommes grands en ont de tout petits, mais cela
suffit- il à prouver, à faire supposer môme, que
malgré l'abandon dans lequel les ordonnances
de Police ont été laissées, nous voulons dire
malgré l'absence des muselières, le nombre des
mordus et par conséquent le nombre des chiens
enragés ait pu augmenter dans une proportion
aussi notable ? Non, évidemment. Nous disons
ceci avec d'autant plus de conviction que nous
sommes loin, bien loin même, de critiquer la
méthode en elle-même. Nous voudrions la voir
plus parfaite, voilà tout. Les essais tentés par
Monsieur Pasteur sur les chiens sont assez en-
courageants pour que son institut continue ses
— 308 —
recherches de ce côté. Les expériences qu'a pro-
duites bien involontairement la recherche de la
pierre philosophale ont fait progresser la^chi-
mie beaucoup plus que n'aurait pu le faire cette
découverte impossible.
Cherchez donc, messieurs les physiologistes,
et vous trouverez peut-être; mais en attendant
que vous ayez résolu ce merveilleux problème,
ne vous hâtez par trop de nous comparer à des
chiens, il n'y a pas que des chrétiens en ce monde
et vous n'êtes pas musulmans. En attendant, et si
A^ous êtes mordus, entrez toujours chez un ser-
rurier, chez un maréchal-ferrant, chez un char-
ron, faites rougir à blanc un clou bien pointu et
faites-vous cautériser profondément si vous ne
pouvez vous cautériser vous-mêmes.
Vous avez, sans ce moyen, cinq chances sur
six en votre faveur : après la cautérisation vous
en aurez un peu plus, mais pas beaucoup, car,
dans l'état actuel de la science, si on admet
qu'un virus inoculé préventivement puisse
préserver d'un autre virus (exemple unique
chez l'homme, la Vaccins pour la Variole) rien,
absolument rien, n'a jamais laissé supposer que
la marche d'un virus inoculé put être enrayée
par quoi que ce fût.
Les cautérisations les plus énergiques, l'exci-
sion même du chancre ont-elles jamais empêché
— 309 —
le développement de la Syphilis ? la Vaccine a-t-
elle jamais modifié l'évolution varioliqae en in-
cubation? chacun sait bien que non et quelques-
uns ont même été jusqu'à dire que la variole en
était exaltée*
Si la syphilis doit être mise à part à cause de
la longueur de son incubation, à cause surtout
de l'absence absolue de phénomènes précédant
l'apparition du chancre, condition qui, comme
dans la rage, rend impossible de savoir si on est
ou non infecté, les autres termes de comparai-
son sont exacts et, nous le répétons, les précau-
tions qui pour cette maladie sont à la disposi-
tion de la science n'offrent qu'un bien faible se-
cours étant surtout donné la difficulté de leur
emploi immédiat.
Pourquoi donc, dira-t-on, refuser aux cauté-
risations une réelle valeur et comment expli-
quez-vous sans cela le chiffre en somme mini-
me de 16 décès pour cent mordus.
Nous ne refusons pas aux cautérisations un
certain bénéfice, et la preuve, c'est que nous y
aurions recours, mais au plus vite encore, si
jamais un caniche prenait notre mollet pour un
gigot, mais nous n'en restons pas moins con-
vaincus que les cautérisations sauvent peu de
monde et que, s'il y a 16 malheureux qui meu-
rent sur cent qui ont été mordus, c'est qu'il n'y a
- 310 —
que 16 enragés, que 16 intoxiqués si vous l'ai-
mez mieux. — Et les autres ? — Les autres, ils
n'étaient pas inoculés ou ils étaient réfractaires,
voilà tout ? Qu'a cela d'extraordinaire ? Est-ce
qu'on ne sait pas qu'il y a des gens réfractaires
à la variole, à la scarlatine, à la syphilis même,
quoique ce soit moins net pour cette dernière
affection étant donnée maintenant la question
d'hérédité qui explique bien des mystères. Et
pais, d'ailleurs, j'espère bien que vous ne croyez
pas aux remèdes des sorciers, des empiriques
quelconques qui, depuis que la rage existe^ ont
inondé la terre et encombré les bureaux acadé-
miques de leurs panacées.
Il n'y a pas une province du monde où un
charlatan n'ait préconisé un antidote infaillible
contre la rage ; vous ne croyez pas davantage,
je l'espère pour vous, aux miracles ? eh bien,
si vous n'admettez pas qu'il y ait des natures,
des organismes réfractantes à la rage, vous êtes
obhgés de croire « toutes les bourdes que je
pourrais vous énumérer et dont vous me faites
grâce, n'est-ce pas! Car, il n'y a pas à dire, dans
chaque pays on vous citera des guérisons au-
thentiques par le remède de M. un tel, de Mlle
une telle ou de tel berger ; on vous citera des
guérisons encore bien plus nombreuses par l'effet
de telle chapelle, de telle eau miraculeuse et
— 311 —
pour ne citer qu'un seul endroit parmi ceux-ci, il
y a pas mal de siècles que le pèlerinage de Saint-
Hubert a la réputation de guérir de la rage; la
rue d'Ulm lui fait bien du tort en ce moment.
Or, qu'est-ce que c'est que toutes ces guérisons?
Ce sont des individus qui étaient bel et bien mor-
dus, mais qui n'étaient pas enragés, qui étaient
réfractaires ou à l'abri et qui ont guéri parce
qu'ils n'avaient pas la rage quoique mordus par
des chiens enragés. Et ne croyez pas que je plai-
sante en disant cela ; la masse du public est
bien stupide, mais si une apparence de raison
ne venait pas flatter ses erreurs, elle aurait bien-
tôt fait de jeter aux orties ses croyances irréflé-
chies et ses superstitions.
in. COMMENT ON AUGMENTE LE NOMBRE DES
GUÉRISONS FICTIVES.
Nous avons déjà démontré au chapitre IV que
la grande majorité des personnes qui ont été
inoculées à l'Ecole normale n'étaient ni enragées,
ni menacées de l'être. Les faits que nous avons
pubUés sont démonstratifs.
Depuis que ce chapitre IV est imprimé de nom-
breux faits nouveaux sont venus à l'appui de
noti/e assertion.
La lettre suivante que M. le secrétaire perpé-
tuel communique à l'Académie de médecine
— 312 —
émane du docteur Prince de Grodno et est re-
lative aux prétendues guérisons de la rage par
M. Pasteur. (Séance du 4 janvier 1887.)
« Au mois d'août dernier, par ordre du gou-
vernement russe, M. le D"" Cywinski a conduit à
Paris, chez M. Pasteur, dix soldats de Wilna
mordus par un chien soi-disant enragé. A tous
ces militaires, M. Pasteur a conseillé des inocu-
lations antirabiques ; douze jours après, les voya-
geurs retournèrent à Wilna ; mais grand fut
leur étonnement de trouver à leur retour le chien
qui passait pour enragé en parfaite santé qu'il a
conservée jusqu'à aujourd'hui (10/22 décembre).
De cette manière les braves militaires ont eu l'a-
gréable plaisir de voir gratis la belle ville de
Paris.
«c Le chien en question appartient au Régiment
et a été soupçonné de rage pour avoir légèrement
mordu ces soldats qui l'agaçaient. Or, les sol-
dats vinrent dire à leur chef qu'ils étaient bles-
sés par ce chien enragé. Etait-ce là leur croyance
ou simplement l'envie de voyager ? Ordre fut
immédiatement donné au D"" Cywinski de les
conduire auprès de M. Pasteur.
» Les soldats mordus n'ont pas été examinés
avant leur départ pour la France (1). »
(1) Ce fait a été, il est vrai, contesté par le gouver-
neur.
- 313 —
Le D"" Garcia Sola, professeur à l'Université de
Grenade a publié l'article suivant, très modéré
dans la forme, dans la Gaceta Media Calabona
(31 octobre).
f
Comme, en ce qui concerne la rage, on ne
connaît pas encore aujourd'hui d'une façon cer-
taiue, malgré toutes les recherches, le micro-or-
ganisme pathogène, le D"" {jarcia Sola estime
qu'il ne s'agit pour le moment que d'examiner
les résultats empiriques des inoculations de
moelle faites par Pasteur, et il vient juger les
garanties qu'offrent les statistiques du grand
chimiste au point de vue de cette question : les
Individus donnés comme s-auvés par les inocu-
lations avaient-ils réellement la rage en incu-
bation ? Sa critique présente des points de con-
tact remarquables avec les judicieux arguments
développés à ce sujet par M. Colin (d'Alfort) de-
vant l'Académie de Médecine (Voyez le chapitre
IX, page 149\ On en pourra juger par l'énoncé
des conditions qu'il requiert pour qu'on puisse
admettre la réalité de l'incubation rabique chez
l'homme mordu. Ce sont les quatre conditions
fondamentales suivantes :
1" Que le sujet soit mordu par un animal (loup,
vache, chien, renard, chat) qui soit atteint d'hy-
drophobie rabique.
18-
— 314 —
2° Que les morsures portent sur un endroit
découvert (visage, cou, mains) ou qu'elles aient
lieu de telle manière qu'elles déterminent la fixa-
tion du virus sur la surface cruente ; il ne faut
pas par exemple que le virus soit resté attaché
aux vêtements ou ait été entraîné au dehors de
la plaie..
3" Que le sujet n'ait pas d'immunité qui l'em-
pêche de contracter cette maladie.'
4° Qu'il n'ait été employé immédiatement après
l'inoculation aucun des moyens qui sont capa-
bles d'en annuler les-effets comme la cautérisa-
tion ou l'extirpation de la partie mordue.
Pour ce qui regarde les preuves répondant à
la première condition, il n'accorde, comme M.
Cohn, qu'une valeur tout à fait insignifiante à
l'autopsie, et il cite le fait suivant, qui montre
bien qu'on ne saurait se fier pour tous les cas aux
renseignements recueillis :
a Dans la soirée du 11 mai dernier, dit-il,
une sentinelle de la garnison de Grenade, soldat
des chasseurs de Cuba, fut mordue d'abord à la
jambe, ensuite au poignet et à l'avant-bras par
un petit chien que le blessé jugea enragé, en
raison de l'absence de motif à son attaque et de
sa persistance dans ses morsures. Très affecté,
le soldat demanda au caporal à être relevé et fut
— 315 —
mené à l'hôpital militaire, où on le traita par
les moyens appropriés pour éviter les effets pos-
sibles d'une inocnlation rabique. Quelques mo-
ments après l'accident le chien fut tué par d'au-
tres soldats de la même garde ; M. Dimas Mar-
tin vétérinaire militaire, ayant fait son autop-
sie' me remit les centres nerveux de l'animal
pour les examiner dans le laboratoire d'histolo-
gie dont j'ai la directionà la Faculté de Médecine,
et le gouverneur militaire de la place m invita
à déclarer si le chien était ou non atteint de la
rage .
. Pour m'acquitter de cette recherche, je consi-
dérai comme très secondaire l'investigation ma-
croscopique et microscopique des pièces re-
mises, car, contrairement à l'aifirmation de
Gowers. des lésions caractéristiques de la rage
manquent dans tous les débris de l'animal
qui en a souffert. Je me bornai donc a
faire durcir dans la solution d'acide chromi -
que un petit fragment du lobule frontal gau-
che au niveau d'un point qui me parut un
peu congestionné ; et je n'observai, après le dur-
cissement obtenu, pas même de traces d'encé-
phalite dans les diverses coupes que je pratiquai.
En revanche, je disposais d'un matériel irrépro-
chable pour pratiquer les inoculations expéri-
mentales, puisque la protubérance et le bulbe
— 316 '
du chien sont les points organiques où la viru-
lence rabique est la plus grande. Je préparai en
conséquence, pour l'expérimentation , deux lapins
un adulte de plus d'un an., et un autre jeune
de 4 mois, et je procédai à leur inoculation dans
la forme suivante. Après avoir cautérisé la sur-
face du bulbe rachidien, au moyen d'une ba-
guette de verre chauîfée que je passai dessus,
détruisant ainsi les germes atmosphériques qui
auraient pu se déposer sur cette surface, je sé-
parai avec des ciseaux courbes, venant d'être
rougis, une portion de la substance du bulbe,
que je diluai, après broiement, dans de l'eau
bien stérilisée, et je fis avec cela une bouillie
très diffluente, propre à l'inoculation. Je séparai
par une incision cruciale les parties molles extra-
crâniennes correspondantes à la région fronto-
pariétale gauche du plus âgé des lapins, puis je
fis marcher la petite scie du trépan .-j'obtins une
rondelle osseuse de 5 millimètres de diamètre,
dont l'ablation me mit à découvert ladure-mère,
intacte. Je pratiquai l'inoculation de la bouillie
au-dessous de cette membrane, je lavai aussitôt
le fond de la plaie avec une solution phéniquée
faible et suturai ensuite les quatre lambeaux
triangulaires des parties molles. Le lapin qui,
sans avoir été chloroformé, s'était fort peu agité
pendant l'opération, se montra gai dès qu'on le
— 317 —
mit par terre, poursuivant son repas avec la plus
grande vivacité. Chez l'autre lapin je fis deux
injections sous-cutanées, dans les flancs, avec la
ménle dilution du bulbe du chien. 24 heures
après l'inoculation, les animaux présentaient
seulement comme phénomène anormal une hy-
perthermie de 2 degrés. Cette température avait
baissé de 1 degré au bout des 48 heures, et elle
était redevenue physiologique le quatrième jour
après l'inoculation. Pendant ce temps, de même
queles jours suivants, jusqu'au terme d'un mois
plein après les inoculations, les deux lapins res-
tèrent en parfaite intégrité physiologique, étant
vivaces et gais, buvant de l'eau bien que man-
geant un aliment juteux (laitue), et témoignant
qu'ils conservaient intacte la motilité des extré-
mités postérieures, dans lesquelles s'accentue
tant la paralysie (forme médullaire) chez ces ani-
maux, quand ils sont atteints de la rage. Au res-
te, le processus de réparation du traumatisme
chez le lapin trépané marcha avec la rapidité
avec laquelle nous surprend toujours cet animal
en pareil cas. Considérant donc que le terme
moyen de l'incubation de la rage transmise au
lapin par injection sous-cutanée de bulbe rabi-
que, etsurtout par inoculation sous-arachoïdien-
ne, oscille entre 7 et 18 jours, je jugeai achevée,
au bout des 30 jours, l'observation des deux la-
- 318 —
pins et, ceux-ci se trouvant en parfait état
pliysiologique, je conclus, en déduisant que le
ctiien en question n'était pas atteint de l'tiydro -
phobie rabique.
« Mais, pendant que je tenais en observation
les animaux inoculés, l'autorité militaire me
pressait pour me faire prononcer à la hâte, car
elle désirait vivement envoyer à Paris le pauvre
soldat, au cas où le résultat de mon investiga-
tion eût été affirmatif. Je répondis que, jusqu'à
ce qu'il se fût écoulé au moins 17 jours depuis
l'inoculation aux lapins, je ne pouvais donner
aucune réponse catégorique. De cette lutte, d'une
part entre le très légitime désir des chefs du sol-
dat, qui souhaitaient vivement qu'on ne perdit
pas de temps, et d'autre part, le non moins jus-
tifié délai imposé par moi jusqu'à ce que j'eusse
vu le terme de la période d'incubation chez les
animaux qui étaient l'objet de mes expériences,
il résultat que, ne croyant pas opportun d'atten-
dre davantage, l'autorité militaire envoya à Pa-
ris, le soldat mordu, pour qu'il s'y soumît aux
inoculations de Pasteur. Ce départ s'effectua 12
jours après que les morsures avaient été reçues
et 11 jours après que j'avais inoculé les lapins,
de manière que le soldat était déjà àParis, quand,
le 29 mai, je certifiai la non-virulence des mor-
sures. »
-- 319 —
t De la précédente observation il ressort que. ce
prétendu malade ayant été traité par M. Pasteur
et la rage n'ayant pas fait son apparition chez lui,
on inscrira ce cas, parmi ceux favorables aux ino-
culations curatives.Tel est le vice de la statistique
que je me propose de signaler ; et l'on peut tant
généraliser cette objection que je n'hésite pas à
affirmer que le fait qui vient d'être rapporté se
grossirait de beaucoup d'analogues, si dans
tous les cas d'Espagnols adressés à Pasteur, on
avait fait la même investigation que j'ai ac-
complie au sujet de l'unique qui est allé de Gre-
nade à Paris (1). m
On ne saurait fournir un fait plus probant à
l'appui de l'assertion que nous avons émise dès
le début : t On inocule chez M. Pasteur tout
individu qui doit avoir été mordu par un
chien sans qu'il existe aucune preuve que ce
chien soit enragé.
(1) Ce fait est emprunté à la Revue internationale
des Sciences médicales que M. le D^ Martel dirige
avec autant de talent que d'indépendance.
CHAPITRE XXII
LA NOUVELLE MÉTHODE INTENSIVE.
Nous avons exposé, avec la plus grande im-
partialité, dans les premiers chapitres de cet ou-
vrage, la méthode Pasteur, première manière.
Nous avons vu que le Maître, se basant du
reste sur la fantaisie la plus pure, inoculait aux
individus qui se rendaient dans son laboratoire
sur la foi des réclames, un virus moelleux dont
on augmentait chaque jour l'intensité.
On devait ainsi s'opposer à l'action du poison
introduit primitivement dans l'économie par la
morsure de l'animal.
C'était en médecine l'application renversée du
fameux similia similibus des homœopathes.
Vous avez absorbé un poison : pour vous gué-
frir, on vous faisait absorber une dose centuple
de ce môme poison. C'est ainsi qu'on pratiquait la
logique dans le laboratoire de l'Ecole normale.
Mais hélas ! La méthode Pasteur, /)7'emiè7'e
manière, que M. Vulpian avait déclarée infail-
— 321 —
ijBLE (1), a été promptement jugée. Tous ceux
qui venaient au laboratoire et qui étaient vrai-
ment atteints de la rage, mouraient après la du-
rée ordinaire de l'incubation.
Un grand nombre d'étrangers, notamment les
Russes, les Roumains et les Hollandais, qu'on
avait déclaré PARFAITEMENT guéris ont succombé
dans nos hôpitaux. Les Français payaient mal-
heureusement le tribu à la maladie comme au-
paravant. C'était une véritable catastrophe.
Cette catastrophe était à prévoir. Irrationnelle
et antimédicale en principe, la méthode pasto-
rie^me devait être inefficace, sinon funeste en
réalité. Irrationnelle, puisqu'elle supposait, que
dans un organisme infecté déjà par une maladie
virulente en incubation, l'inoculation d'une ma-
ladie virulente ou identique mais atténuée, pou-
vait empêcher l'éclosion de la maladie incubante :
la variole étant là pour démontrer que, dans un
organisme en puissance de cette maladie, l'ino-
culation de la vaccine n'entrave point l'appari-
tion de la variole, les deux maladies infectieuses,
variole et vaccine, se développent simultané-
ment.
(l) A l'Académie des Sciences, séance du 12 avril,
M. Vulpian, ex-doyen de la Faculté de Médecine^
a prononce ces paroles : « La métliode Pasteur em-
pêche A COUP SUR le développement de la rage » !!!
— 322 ~
Maintenant, que la méthode pastorienne soit
inefficace, les résultats sont là pour le démon-
trer.
En présence des insuccès, les pastoriens ont
quelque peu perdu la tête, et, pour égarer la
galerie ignorante, ils ont, sans souci de la vérité
médicale, entassé hérésie sur hérésie. Ils ont,
pour expliquer la rage, malgré l'inoculation pas-
torienne, invoqué le fait que la morsure était
plus grave venant d'un loup — sans d'ailleurs
comprendre l'explication vraie de ce fait. Ils ont
dit ensuite que la cause de la rage (malgré les
inoculations du Sauveur) était, dans \q nombre,
\di profondeur des blessures, sans prendre garde
au peu qu'il faut de virus vaccin ou syphilitique
pour vacciner ou syphiliser ; sans prendre garde
au peu de profondeur de la blessure dans la vac-
cination ; sans prendre garde enfin à l'absence
même de toute blessure dans le cas de contagion
syphilitique, l'épiderme restant alors intact,
bien que le chancre induré soit engendré.
Dans un effort désespéré, un pastorien, M.
Grancher, n'a pas craint de dire cette monstruo-
sité : qu'on devait au Sauveur une nouvelle
découverte, à savoir que désormais il fallait faire
entrer dans la doctrine de la virulence la notion
de la QUANTITÉ du virus, et cela à propos de l'in-
cubation de la diphthérie ? Ainsi, il faut admet-
— 323 —
tre maintenant que la variole, la diphthérie, la
dothiénentérie se contractent par l'introduction,
dansl'organisme vivant, d'une quantité notable
de matière varioleuse, diphthéri.que ou dothié-
nentérique. Et c'est un professeur de la Faculté
de Médecine de Paris qui dit de telles choses
pour le salut d'une doctrine et d'une pathologie
également insensées ?
On verra plus loin, dans nos statistiques de
mortalité, que la méthode Pasteur, première ma-
nière., n'avait en rien diminué la mortalité et que
du 30 octobre 1885 au 30 octobre 1886, il est mort
de la rage en France le môme nombre d'indivi-
dus que pendant les années précédentes.
LA NOUVELLE MÉTHODE INTENSIVE.
C'est alors que ]\I. Pasteur, tellement convain-
cu de l'inutilité du traitement appliqué pendant
cette première année, a proposé une méthode
différente qu'il qualifie d'intensive.
C'est une sorte de martingale bizarre.
Nous en reproduisons religieusement la for-
mule :
I. Traitement pour les petites morsures à
travers les vêtements. — (Les moelles sont re-
présentées par des chiffres qui indiquent depuis
combien de jours elles sont soumises à la des-
5» »
6e »
7« »
8'^ »
9^ »
IGe »
— 324 —
siccation. La moelle 8 est celle d'un lapin mort
depuis 8 jours de rage exaltée : la moelle 1 celle
d'un lapin mort la veille).
!''• jour 3 inoculations avec les moelles 12, 11, 10
2« • 3 » » » 9, 8, 7
3« » 3 » » » 6. 5, 4
4e jour 1 inoculation avec la moelle 3
» » i> 2
t> t » 1
» » » 4
ï K » 3
i » s 2
» » » 1
IL Traitement poin^ blessui^es de parties
découvertes autres que la face. — Traitement
précédent, quelques jours de repos et nouvelle
série 4, 3, 2, 1.
III. Traitement intensif appliqué aux indi-
vidus mordus à la tête, à la face ou aux ré-
gions immédiatement voisines {cou, nuque),
ainsi qu'aux individus arrivés tardivement.
— Traitement précédent, puis la série 4, 3, 2, 1
est reprise plusieurs fois avec intervalles de 2 à
4 jours, pendant 4, 5 et même 6 semaines.
Voilà les formules algébriques que M. Pasteur
nous propose pour son nouveau traitement et
qu'il applique depuis trois mois, ce qui ne l'a
— 325 —
pas empêché de perdre un grand nombre d'ino-
culés.
Sur quoi, du reste, repose ce traitement ? Est-
ce sur l'expérimentation, sur la clinique? Hélas !
il faut bien le reconnaître, les chimistes de l'E-
cole normale, épouvantés et déconcertés, en sont
encore à la période de tâtonnement. Comme
leurs premiers virus moelleux n'avaient aucune
action sur l'économie (en ce qui concerne
l'homme, tout au moino) ils administrent leurs
bouillons au hasard comme le prouve surabon-
damment l'exposé de leur nouvelle méthode.
Lorsque nous prescrivons un médicament
toxique, nous tenons compte des effets qu"il
produit avant d'en augmenter ou d'en diminuer
la dose ; en un mot nous faisons de la méde-
cine clinique: maison a bien souci de cela à
l'Ecole normale.
La nouvelle méthode intensive n'a pas tardé
â produire ses fruits. Mise en pratique à la fin
de septembre, on vit aussitôt se produire un
nombre considérable de décès chez les impru-
dents qui s'étaient placés entre les mains des
empiriques de l'Ecole normale.
Les individus mouraient non pas de l'hydro-
phobie furieuse qui résulte de la morsure d'ani-
maux enragés, mais d'une sorte de rage para-
lytique présentant une analogie frappante avec
— 326 —
les symptômes observés sur les lapins auxquels
M. Pasteur avait inoculé ses virus.
On sait que lorsque les symptômes convulsifs
de la rage se manifestent chez l'homme, ils sont
le plus souvent précédés par une douleur sié-
geant au niveau de la morsure. Or, chez les in-
dividus traités par la nouvelle méthode, les dou-
leurs se montraient au niveau des points d'ino-
culation seulement et les symptômes étaient
exactement ceux de la rage du lapin.
En présence de tels faits se multipliant, le trai-
tement Pasteur était devenu un véritable danger
public. C'est alors, que M. le professeur Peter
intervint. On verra avec quel courage l'éminent
clinicien a fait le procès des dangereux thauma-
turges de la rue d'Ulm.
CHAPITRE XXIII.
M. PASTEUR NE GUÉRIT PAS LA RAGE, -
IL LA DONNE.
Les quelques remarques qui terminent le cha-
pitre précédent ont dû faire frissonner les moins
indifférents. Quelle était donc, en effet, cette nou-
velle maladie étrange, dont les symptômes n'a-
vaient figuré dans aucun Traité, maladie que
discutaient les médecins lesplus expérimentés et
qui survenait invariablement de vingt a tren-
te-cinq. JOURS après les inoculations pastoriennes
et qui déterminait la mort par paralysie, dans un
délai de deux a six jours.
Ce n'était plus la rage avec ses symptômes
convulsifs, mais une affection nouvelle qui pré-
sentait une analogie absolue avec la maladie que
M. Pasteur faisait naître chez les lapins, par ses
inoculations. C'était en un mot la rage du la.pin^
la rage paralytique, la rage de laboratoire.
Nous avions été les premiers à signaler les
symptômes suspects, avec- toutes les réserves
— 328 —
que comporte un sujet aussi grave, dans le Jour-
nal de médecine de Paris.
Un médecin éminent de Londres, M. J. H.
Clarlte^ avait déjà été frappé par les symptômes
étranges observés chez deux malheureux Anglais
traités à l'Ecole normale par les virus exaltés.
Voici la lettre que publiait le D^ Clarke, dans le
Daily Telegraph., le 6 décembre 1886.
« La mort de ces deux jeunes gens (Goffi. à
Londres, et Wilde, à Rotherham) survenue trois
semaines après un traitement complet à l'École
normale, constitue des faits qu'il importe d'exa-
miner avec. la plus stricte attention. Dans le cas
de Goffi, il y a eu une enquête, mais la mort n'a
pu être expliquée par aucune autre maladie que
la rage et les expériences qu'on nous a dit avoir
été faites n'ont pas encore donné de résultat.
Dans le cas de Wilde, il n'y a pas eu d'enquête,
mais les renseignements qui m'ont été donnés
par la mère, sont de telle nature que je considère
comme mon devoir de médecin de leur donner
la plus grande publicité.
On a prétendu que cet enfant avait succombé
à une congestion pulmonaire : mais celte version
intéressée ne peut être acceptée. Les symptômes
présentent la plus grande analogie avec ceux ob-
servés sur Gofïi. La prostration intense, la para-
- 329 -
lysie générale de tous les organes, l'invasion fou-
droyante de la maladie et la rapidité de la mort,
tous les symptômes présentent une identité pres-
que absolue avec ceux que M. Pasteur a décrits et
observés sur les animaux qu'il a inoculés et qu'on
désigne sous le nom deparalysie rabique. Pour
moi, IL ME SEMBLE ÉviD.iNT que CCS clcux ùiclwi-
dusont succombé à la suite des dix-neuf inocu-
lations de virusexaltés qu'ils ont subies à Paris.
La mère d'une des victimes, madame Wilde,
m'a autorisé h faire connaître ces faits, afm que
les autres individus, mordus légèrement par des
animaux, puissent se soustraire aux obsessions
dont ils sont l'objet et éviter le sort malheureux
de son enfant. Pour moi, j'ai la conviction que
lejeuneWilde n'a pas succombé à la rage, qui ne
lui pas été inoculée par un chien, mais qu'il est
mort delà paralysie rabique qui lui avait été ino-
culée par un des aides de M. Pasteur au labora-
toire de l'Ecole normale. J. H. Clarke.
Mais le docteur Clarke était étranger, et les
médecins, aveuglés par une sorte de chauvinis-
nisme, considéraient ses appréciations comme
dictées par l'envie et la jalousie.
Mais les décès à la suite du traitement Pasto-
rien devenaient déplus en plus nombreux. Cha-
que jour, le hasard faisait découvrir un nouveau
cadavre.
20.
— 330 —
C'est alors que M. le Professeur Peter, qui
avait gardé le silence depuis l'annonce pompeu-
se de la prétendue découverte pastorienne, s'est
décidé à parler.
Dans une première séance (4 janvier 1886), M
Peter communique à l'Académie l'observation
deRéveillac, mort de la rage paralytique, à la
suite du traitement Pastorien.
Ce fait ayant été contesté par les Pastorien, M.
Peter recueillit de nouveaux faits qu'il commu-
niqua à ses collègues.
Je supplie mes lecteurs de lire avec attention
cette communication. S'ils ne sont pas prévenus
et en proie à l'esprit qui a malheureusement di-
visé le corps médical, ils diront :
M. Pasteur ne guérit pas la rage, il la donne.
Voici comment s'est exprimé le professeur
Peter, à laséance du 11 janvier 1887.
Messieurs,
J'ai considéré la médication antirabique de
M. Pasteur, telle qu'il l'avait formulée d'abord,
comme inefficace et, pendant une année en-
tière, j'ai gardé le silence.
Depuis deux mois, elle me paraît devenir
périlleuse sous sa/orme intensive^ je considère
comme un devoir de parler :
— 331 —
RÉVEILLAC EST MORT DE LA RAGE EXPÉRIMENTALE
Je dirai d'abord quelques mots sur le cas de
Réveillac, mort de la rage paralytique, que j'ai
fait connaître à l'Académie, le 4 janvier dernier.
Il résulte de l'enquête qui vient d'être faite par
M. Pujardin-Beaumetz et moi. que les détails
que j'ai donnés à la dernière séance sont abso-
lument exacts. Il en résulte ensuite une dé-
monstration de plus en plus évidente sur la
nature de la mort. Cet individu a en effet suc-
combé à une affection paralytique sur la natu-
re de laquelle je reviendrai plus tard.
Ce qu'il y a de plus curieux dans cette en-
quête conduite avec sa loyauté habituelle par
M. Dujardin-Beaumetz, c'est que plus on cher-
chait le chien, plus on voyait apparaître le
lapin :
Douleurs au niveau des points d'inoculations
et non du doigt mordu ;
Forme paralytique de la maladie, et non for-
me convulsive, furieuse et délirante ;
Impossibilité de cracher et difficulté d'avaler,
au lieu de la sputation et de l'hydrophobie ;
Cécité pendant les dernières heures de la vie,
au lieu de l'acuité de la vision, etc , etc.
En résumé, Réveillac n'est pas mort de la
— 332 -
RAGE DU CHIEN, MAIS d'uNE AFFECTION QUI RAP-
PELLE LA RAGE EXPÉRIMENTALE.
Et voilà pourquoi les médecins qui l'ont vu
vivant n'ont pas pu faire le diagnostic exact; il
n'en faut pas accuser leur ignorance ; ils se
trouvaient en présence :
Non pas d'une maladie naturelle,
Mais d'une maladie artificielle;
Non pas d'une maladie qu'on observe dans la
salle de clinique, mais d'une maladie qu'on ne
voit que dans le laboratoire ; d'une maladie créée
de toutes pièces ; d'une maladie expérimentale.
Ils se trouvaient en présence de la rage de la-
boratoire.
En voulez-vous la preuve ? rappelez- vous la
parole de M. Pasteur lui-même.
A la séance du 26 février 1884, M. Pasteur rap-
pelle à l'Académie que, dans sa communication
du 11 décembre 1882, il avait annoncé que l'i-
noculation de virus rabique dans le système
sanguin offrait le plus souvent des rages vk-
RALYTiQUEs avec (26se/ice de fureur q\. ^'aboie-
ment rabique :
La trépanation donne le plus souvent la rage
furieuse.
Il cite, en outre, le cas d'un lapin qui est pris
de parahjsie rabique, treize jours après la tré-
panation. Les jours suivants, il se guérit complé-
— 333 —
tement ; la paralysie reprend quarante-trois
jours après, et il meurt rabique le quarante-si-
xième jour.
Chez la poule, il y a absence de symptômes
violents^ mais somnolence, inappétence et joa -
ralysie des membres.
Or, que fait M. Pasteur dans ses inoculations,
sinon des injections qui pénètrent dans la cir-
culation ? Et qu'obtient-il maintenant avec ses
inoculations intensives ? de la paralysie I! (cas
de Réveillac à Paris, de Née, à Arras) ou de la
courbature générale (cas de Soudini à Constanti-
ne).
Mes collègues, Dujardin-Beaumetz et Chau-
veau, ont très justementfait observerque la rage
PARALYTIQUE était absolumeut exceptionnelle
chez l'homme. Or nous venons devoir qu'elle
est fréquente chez le lapin, d'après M. Pasteur
lui-même ; et c'est ce qui constitue l'excessive
gravité du fait de Réveillac et de celui de Née,
d'Arras, que je vous citerai tout à l'heure.
Rouyer est mort delà rage expérimentale et
non pas d'urémie.
Chez l'enfant même dont a parlé M. Brouar-
del(l),ce qui paraît avoir dominé, ce sont bien les
syptômes paralytiques. En effet, cet enfant est
bien mort de la rage, les détails mêmes fournis
(1) Vojezplus ioinrobscrvalion deRouyer.
19*
— 334 —
par M. Brouardel le prouvent avec évidence. On
avait pu croire, mardi dernier, que l'autopsie
avait révélé des lésions rénales suffisantes pour
expliquer la mort. Pas le moins du monde. Les
reins étaient sains, sauf cette congestion qu'on
peut rencontrer dans tous les cas où le sujet est
mort par asphyxie, dans la rage sous toutes ses
formes. 11 y avait de l'albumine dans les urines;
mais c'est très fréquent chez ceux qui meurent
de la rage. Dans une observation écrite en 1878,
par exemple, M. A. Robin.insiste justement sur
ce point : il raconte que, dans l'urine extraite
par le cathétérisme de la vessie d'un homme
atteint de rage classique, convulsive, il a cons-
taté la présence de l'albumine. C'est donc un
signe qui vient appuyer et non infirmer le dia-
gnostic tmge. D'ailleurs, l'urine dont il s'agitétait
extraite de la vessie 48 heures après la mort ;
or M . Brouardel lui-même professe qu'il ne faut
pas attacher grande importance à l'albumine
trouvée dans la vessie d'un cadavre.
LE DIAGNOSTIC DE LA RAGE.
Je voudrais dire maintenant deux mots seu-
lement du nouveau critérium de la rage, formu-
lé par l'école de M. Pasteur ; la preuve expéri-
mentale par inoculation du bulbe.
— 335 —
' Autrefois, vous vous le rappelez, tout chien
dans Festomac duquel on trouvait des corps
étrangers : bois, paille, etc., était réputé enragé.
Cette preuve est abandonnée.
Voici la nouvelle : le diagnostic de la rage ne
peut plus être admis que quand on a inoculé le
bulbe de l'animal ou de l'homme qui a suc-
combé et quand cette inoculation donne des
résultats positifs.
Je dis que c'est là une prétention antimê-
dicale et antiscientifique.
D'abord elle conduit à rejeter comme non
avenues toutes les observations antérieures de
rage, ce critérium que l'on préconise leur
ayant manqué jusqu'à aujourd'hui.
Cette prétention est antiscientifique, car on
ne peut jamais tirer une conclusion absolue, en
médecine, du résultat purement négatif d'une
expérience quelle qu'elle soit. Il n'en est pas
des êtres vivants comme des réactifs de chi-
mie : ils ne se comportent pas tous de la même
manière quand on les place dans ties circons-
tances analogues. Ils sont plus ou moins résis-
tants aux agents. En ce qui touche la rage, par
exemple, il paraît certain que la plupart des
hommes y sont réfractaires naturellement.
D'ailleurs, le bulbe qu'on inocule est souvent
déjà plus ou moins décomposé, car, s'il s'agit
— 336 —
d'un homme, il faut attendre l'autopsie pour
prendre ce bulbe et souvent il s'écoule encore
beaucoup de temps avant qu'il n'arrive au labo-
ratoire. Si donc, on n'a pas produit la rage en
s'en servant, on n'a pas le droit d'affirmer que
l'homme qui a fourni ce bulbe n'avait pas la
rage.
Est-ce que d'ailleurs un médecin de campa-
gne a à sa disposition le laboratoire et le temps
nécessaires pour ces inoculations ? Et s'il ne les
a pas faites, à propos d'un cas de rage chez un
inoculé, ne pourra-t-on pas toujours lui répon-
dre : Votre observation ne prouve rien, vous
n'avez pas fait la preuve expérimentale, vous
n'avez pas inoculé à un animal le bulbe de
votre malade ?
Je vais maintenant faire connaître à l'Aca-
démie de nouveaux faits qui me paraissent
concluants.
NOUVEAUX CAS DE MORT PAR l.ARAGE.
Après l'observation de Réveillac, je désire au-
jourd'hui vous exposer celles de Jansen (de
Dunkerque), de Soudini (de Constantine) et de
Née (d'Arras).
C'est là une base d'opération solide pour l'ar-
— 337 —
gumentation de la critique, non seulement de
la médication intensive, mais de l'ensemble de
la médication de M. Pasteur.
Je vais vous communiquer, en premier lieu,
un cas de rage classique développée chez l'hom-
me, après les inoculations intensives précoces.
Je vous signalerai ensuite des cas de rage
modifiée ou paralytique.
Le premier cas (rage convulsive) est celui d'un
enragé mort à Dunkerque, et qu'on avait résolu
de tenir caché (vous en verrez la preuve tout à
l'heure).
Je dois cette observation à Tobligeance de
MM. les docteurs Corties et Duriau, de Dun-
kerque.
Dunkerque, le 9 janvier 1887.
Le médecin major de l^" classe Corties, médecin
chef de l'hùpital militaire de Dunkerque, à Mon-
sieur le Professeur Peter.
Monsieur le Professeur,
J ai l'honneur de vous adresser la relation d'un
cas de rage qui s'est déclaré 132 jours après la mor-
sure chez un individu qui n'a pas été cautérisé et
a été soumis, 48 heures après l'accident, au trai-
tement antirabique de Pasteur, d'après la métho-
de iNTENSiYB cowimwéQ pendant 15 jours.
— 338 —
Après avoir lu la discussion qui a eu lieu mardi
dernier à rAcadémie de médecine, je me proposais
de vous adresser cette observation qui, dans Fétat
actuel de la question, a une certaine importance et
présente un réel intérêt en raison de la netteté du
cas.
Voici les iaits :
Le nommé Jansen (Louis- Victor), âgé de 47 ans,
brigadier des douanes à Saint-Pol-les-Dunkerque. a
été mordu le 19 août 1886, à 9 heures 1/2 du matin,
parmi cliien appartenant au préposé Hamyau. L'au-
topsie du chien faite par M. Boudy, vétérinaire àDun-
kerque, démontra quil était enragé.
Jansen ne fut pas cautérisé.
Le 20, le Directeur des douanes emmenait à Paris
les nommés Jansen et Hamyau et les conduisait, le
lendemain 21, à 11 heures du matin, à lïnstitut Pas-
teur .
Là, il fut constaté que le nommé Jansen était por-
teur de 34 ou 35 plaies aux deux jambes et au poi-
gnet gauche. Il fut immédiatement inoculé et, à da-
ter de ce jour, le fut deux fois par jour pendant une
quinzaine.
Il revint parfaitement rassuré et reprit son ser-
vice.
Tout alla bien jusqu'au 29 décembre ; toutefois
certains signes (augmentation de l'acuité visuelle et
auditive) permettent de supposer que la première
période de la rage dont le malheureux allait pré-
senter un cas type, a débuté le 27 dans la nuit.
Le 29 décembre (132 jours après la morsure), ma-
— 339 —
laise dans la journée. Il ne put ni manger ni boire à
son dîner et emporta son repas avec lui en prenant
sa garde. Dans la nuit, vers deux heures, violent ac-
cès de suffocation.
Le 30, il est vu, dès le matin, par leD"" Bernard, de
Saint-Pol-les-Dunkerque, qui constate, ainsi que les
docteurs Duriau père et fils, dans la journée, l'hydro-
pliobie et des accès convulsifs.
A 5 h. 1/2 du soir, il est amené à l'hôpital mili-
taire par le Dr Duriau père, je le vois immédiate-
ment. Il se croit atteint d'asthme. Il présente tous
les signes caractéristiques de la rage à la deuxiè-
me période ; regard brillant, fixe, hyperesthésie
cutané et sensorielle amenant par action réflexe des
spasmes des inspirateurs ; hydrophobie. Rien du
côté des morsures.
Le 30 décembre, à 3 heures du matin, l'agitation
devient plus violente.
Le 31 décembre, à 7 heures, les crises se ra])pro-
client, commencement du délire maniaque. A 10
heures, manie furieuse. Il se lève et veut se jeter par
la fenêtre. On est obligé de lui mettre la camisole de
force.
La longueur des cordes lui permet de se tenir assis
et de se servir de ses mains, mais l'empêche de se le-
ver. Elles sont tenues par trois infirmiers ; il a d'ail-
leurs, toujours auprès de lui, 2 à 4 infirmiers sous la
surveillance d'un sergent.
Dans la journée (31), les accès se rapprochent et
deviennent de plus en plus fréquents et longs. Le
déhre et l'agitation sont extrêmes ; crachements;
— 340 —
bave. Tous ces symptômes sont momentanément
calmés par des injections de chlorhydrate de mor-
phine.
Les visites de son père, de sa femme et de sa
amille calment aussi pendant quelques instants le
malade qui va s'affaiblissant.
Jansen ignore la cause de sa maladie, mais a le
pressentiment de la gravité de son état. J'ai cepen-
dant réussi à le convaincre qu'il n'avait que des
accès d'asthme nerveux.
Vers minuit, lagitation diminue, il tombe dans le
collapsus (vers 3 heures du matin, le 1er janvier) et
meurt à 7 heures.
A aucun moment le malade n'a présenté de paraly-
sie. Ce n'est pas un cas de rage paralytique, mais bien
ie type absolument classique que j'ai d'ailleurs ob-
servé plusieurs fois.
Le seul phénomène nouveau pour moi a été l'exci-
tabilité exagérée du nerf olfactif. L'odeur du tabac
perçue par lui au moment où l'un de ses beaux-frè-
res, qui avait fumé, l'embrassait, a provoqué, le 31,
dans l'après-midi, un violent spasme réflexe des
muscles de l'inspiration et de la déglutition.
L'autopsie faite le 2 janvier, à deux heures de l'a-
près-midi, n'a tait découvrir, comme toujours en
pareil cas, aucune lésion caractéristique, mais seu-
lement les signes de l'asphyxie. Congestion intense
des méninges du cerveau et de la moelle ; pas même
de piqueté cérébral manifeste ; la substance grise
tranche un peu plus vivement peut-être que d'ha-
bitude par sa coloration sur la substance blanche.
— 341 —
Congestion hypostatique des poumons, rougeur des
bronches, mucosités visqueuses, sang noir, fluide; pas
de caillots dans le cœur. Traces d'éjaculation.
Autopsie faite en présence des D^s Duriau père et
fils, qui l'ont yu plusieurs fois après son entrée à
l'hôpital.
J'ai envoyé à M. le Dr Pelletan, rédacteur du Jour-
nal de Micrographie, 176, boulevard Saint-Germain,
qui me l'avait demandé, un morceau de moelle allon-
gée et de protubérance annulaire.
En résumé, un homme mordu par un chien en-
ragé n'ayant pas été cautérisé et soumis au traite-
ment antirabique par la méthode intensive, conti-
nuée 15 jours, a été atteint de la rage 132 jours après
l'accident et a succombé à la forme ordinaire de
l'affection.
Le préposé Hamyau, propriétaire du chien qui a
mordu Jansen, en apprenant, le 19 août, que son
chien était enragé, s'est rappelé que le 31 juillet il
avait été mordu à la fesse par lui et a été pris de
peur. Il a été conduit avec Jansen, le 21, à l'institut
Pasteur. Là on n'a pu trouver trace de la cicatrice
de la morsure. Cet homme était absolument dé-
monté; on fut obligé de le faire asseoir, il était sur
le point de se trouver mal. On chercha à le rassurer ;
on lui disait que le 31 juillet le chien ne pouvait être
enragé.
Lorsque le Directeur des Douanes apprit le déve-
loppement de la rage chez Jansen, pour ne pas ef-
frayer Hamyau, il pria le préfet du Nord et les
journaux, de ne pas donner de publicité au fait,
20
— 342 --
et une permission de lO jours fut accordée au pré-
posé Hamyau, qui n'est pas encore rentré.
Je me borne à constater ces faits et à vous les si-
gnaler.
Il s'agit là, bien évidemment, d'un cas de
rage convulsive classique^ développée malgré
les inoculations intensives, bien que ces inocula-
tions aient été pva.iiquGes hâtivement (4^ heures
après les morsures). — On ne peut donc pas in-
voquer ici l'époque tardive des inoculations.
On remarquera que les premiers symptômes
de la rage se manifestent cent trente-deux
jours après les morsures %icent ?^re/z^e jours
après les inoculations ; c'est-à-dire que la rage
canine est arrivée ici plus tardivement que la
rage canino-pastorienne dont je vous citerai des
exemples tout à l'heure.
On remarquera, enfin, la difficulté qu'on éprou-
ve à connaître les décès des inoculés. — Il y a
toujours une raison pour le secret : ici c'est une
raison d'humanité, là c'en est une autre.
Voici maintenant un fait de rage modifiée, de
rage canino- expérimentale.
Observation de rage chei un sujet mordu par un
chien enragé ayant subi les inoculations préventives à
l'Ecole normale et développée 15 jours après dans sa
famille,
Sodini (Bernard); âgé de 46 ans, observé à l'Iios-
— 343 —
pice civil de Gonstantine, dans le service de M. le
Dr Leroy.
Le 12 octobre 1886, un chien enragé lui fait trois
morsures à la partie interne et postérieure de la
jambe, au niveau du tendon du demi-membraneux.
Il entre de suite à l'hôpital, d'où il part le 16 pour
Paris.
Le 21, à 11 heures du matin, M. Pasteur lui fait
une première piqûre à la partie antéro-latérale du
thorax du côté droit, vers la dernière vraie côte,
puis une seconde à quatre heures du soir, puis une
troisième à neuf heures du soir. Dans les onze jours
suivants, 16 autres piqûres dans la même région (à
droite et à gauche).
Le malade revient à Gonstantine, en bonne santé le
8 novembre.
Après diverses applications de calmants, les dou-
leurs tendaient à disparaître, lorsque le 20 au matin
elles reparaissent et s'accentuent de jour en jour
jusqu'au 23. Pendant ces trois jours, /es régions inocu-
lées sont le siège de douleurs aiguës à pointe dirigée
vers le cœur. Le malade ne dort pas la nuit.
Le 23 novembre, à la visite, ■ les douleurs dans la
jambe mordue sont lancinantes et s'irradient pres-
que vers la partie supérieure de la cuisse. Il y a op-
pression, courbature générale, inappétence, les
yeux sont hagartis et la parole est un peu difficile.
Sentiment léger de répulsion pour les liquides.
Vers quatre heures du soir, respiration gênée au
point de produire un afflux de mucosités difficiles à
expectorer. Quelques crachats rejetés. Emphysème
"- 344 —
pulmonaire. Sentiment de répulsion pour les liquides
très prononcé, urines ai.bumineusks. La connaissance
est conservée jusqu'au dernier moment.
A l'autopsie, on trouve une congestion intense du
cerveau et du cervelet, il y a épanchement séreux
dans les ventricules. Les poumons sont fortement
congestionnés; il y a emphysème.
Les autres organes n'offrent rien de particulier.
On remarquera, dans cette observation, au
point de vue des douleurs prodromiques de la
rage, l'apparition de celles-ci d'abord au point
mordu, ensuite aux points inoculés, c'est-à-dire
qu'on voit deux virus se réveillant et collaborant,
le virus canin et le virus expérimental.
On verra ensuite, au point de vue des sym-
ptômes : 1° La courbature et la prostration du
virus du lapin, qui se manifestent d'abord ; 2-^
l'hydrophobie du virus canin se montrant en-
suite, mais légère et tardive.
On verra enfin qu'il y a dans ce cas de l'albu-
minurie comme dans le lait du petit enragé ob-
servé par M. BroUardel, albuminurie qui peut
exister dans la rage convulsive classique. Par
conséquent, l'argument qu'en avait tiré M.
Brouardel contre l'existence de laragedansce
cas milite au contraire en faveur de la rage.
Quant aux centres nerveux et aux poumons,
— 345 —
ils présentaient les symptômes de la rage clas-
sique.
En conséquence, il s'agit bien ici d'un cas de
rage, mais de rage canino- expérimentale démon-
trant à la fois l'impuissance de la méthode et la
collaboration des deux virus.
Voici un troisième fait de rage nouvelle plus
expérimentale que canine.
C'est celui de l'enragé d'Arras chez le chien
duquel le vétérinaire a nié l'existence de la rage.
Je dois cette observation à l'obligeance de
M. le D' Germe, d'Arras.
Arras, 6 janvier 1887.
Cher confrère et ami,
Je m'empresse de vous adresser la relation des
renseignements que j'ai recueillis de la bouche de la
femme, de la sœur et des frères du décédé.
Le nommé Léopold Née, âgé de 42 ans, colportait
des objets de vannerie dans les campagnes, avec une
voiture sous laquelle un chien était attaché. Le
vendredi 12 novembre 1886, étant près de Avesnes-le
Comte, il détacha son chien dans le but de calmer
ses aboiements. Mis en liberté, le chien mordit son
maître à la jambe droite, au travers des vêtements,
au niveau de la partie moyenne de la région antéro-
interne. Comme il menaçait de le mordre de nou-
veau, Née le saisit par le collier, rattacha et le tua.
Jusqu'alors le chien avait continué à manger.
— 346 —
Rentré à Arras, il fit faire l'autopsie de son chien
par un vétérinaire, qui déclara à la famille qu'il n'a-
vait constaté aucun fait Vauiorisant à penser que ce
chien était enragé. Le cadavre de l'animal fut envoyé
immédiatement à l'institut de M. Pasteur, et, jusqu'à
présent, les parents de Léopold Née attendent tou-
jours un avis leur apprenant si le cliien était ou
Nox enragé.
M. Née entra à l'institut de M. Pasteur le mercredi
17 novembre ; il y resta 11 jours, pendant lesquels il
subit 22 inoculations, et jusqu'à trois en un seul jour;
à la suite de ces inoculations, il se plaignait d'éprou-
ver des douleurs cuisantes à leur niveau, et, en sor-
tant de l'établissement, il éprouvait chaque fois des
éblouissements, se sentait sur le point de tomber
faible, et avait souvent des vomissements.
Revenu à Arras le 29 novembre, il ne présenta rien
de particulier jusqu'au 10 décembre, excepté un appé-
tit exagéré qui s'était déjà manifesté pendant son
séjour à Paris.
Dans la nuit du 10 au 11 décembre il eut des vomis-
sements abondants de matières glaireuses qui conti-
nuèrent un peu les jours suivants ; il éprouva ensuite
de vives douleurs au niveau des piqûres d'inocula-
tion, douleurs qui s'étendaient dans la région lom-
baire pour remonter le long du rachis, et qui per-
sistèrent jusque vers les derniers jours. Le malade se
plaignait aussi d'une grande fatigue, il était triste et
se trouvait dans un état nerveux qui lui fit dire qu'il
ressentait la même chose qu'après les inoculations,
et qu'il ne résisterait pas à ce mal.
— 347 —
Je vous ferai remarquer que, dans le cours de sa
maladie, M. Née n'a jamais accusé aucune douleur
AU NIVEAU delà morsure du chien, ni dans le mem-
bre correspondant.
Un médecin, appelé le 13, crut d'abord avoir affaire
à un lumbago, et quelques jours après à une myélite.
Les phénomènes signalés plus haut furent bientôt
accompagnés et suivis d'une grande gêne dans la res-
piration, d'une sensation de poids au niveau de la
partie antérieure de la poitrine et de sputation ; la
parole devint brève, saccadée, interrompue par des
mouvements respiratoires involontaires et entrecou-
pés ; des convulsions se manifestèrent dans les mus-
des de la face qm élsiil très altérée, dans ceux du
thorax et des membres supérieurs ; le sommeil
était agité, troublé par des cauchemars; la peau, sen-
sible au froid, était chaude et toujours couverte de
sueurs excessivement abondantes. Il n'y eut pas de
convulsions générales, ni d'hydrophobie. La déglu-
tition se faisait assez facilement, excepté dans fies
deux derniers jours.
Le 14, deux médecins furent adjoints au premier.
En présence de la gravité des phénomènes morbides,
ils se demandèrent s'il s'agissait d'une myélite ou
d'accidents consécutifs aux inoculations,
Bientôt, les phénomènes paralytiques se manifes-
tèrent, la vue se troubla pour s'abolir complètement,
la respiration devint de plus en plus embarrassée,
accompagnée d'un écoulement abondant de salive au
niveau des commissures, et le malade mourut le 17
décembre vers 1 1 heures du soir.
— 348 —
En présence de ces phénomènes, et bien que le
symptôme hydrophohie ait fait défaut, je pense que
l'on doit conclure que Léopold Née a succombé à la
rage. Et vu l'absence complète de douleurs au niveau
de la morsure et le long des trajets nerveux du mem-
bre correspondant, vu les douleurs au niveau des
piqûres d'inoculation et le long des nerfs se rendant
de ces joints à la moelle épinière, douleurs que le
malade a accusé si vivement et dont il s'est toujours
plaint à partir du début de la maladie jusque vers ses
derniers jours, je pense encore qu'il est permis de
conclure, sans s'écarter de la réserve qu'impose une
question aussi délicate et aussi grave, qu'il est extrê-
mement probable que cet infortuné — peut-être des-
tiné ou non, à succomber à la rage canine — a com-
mencé par mourir de la rage du lapin.
J'ajoute, entre parenthèses, que Mme Née m'a com-
muniqué une lettre de condoléances de son frère qui
habite l'Angleterre, et dans laquelle il lui raconte
qu'il connaît deux Anglais qui sont morts de la
rage en 1886, quelque temps après leur retour de
l'institut de M. Pasteur, oii ils étaient allés se faire
inoculer.
D"" L. Germe.
Je n'insisterai pas longtemps sur l'importance
de cette observation.
Un vétérinaire nie l'existence de la rage chez
le chien, néanmoins le mordu se fait inoculer
par la méthode intensive et il meurt 25 jours
_. 349 —
après d'une rage étrange, d'une rage exception-
nelle chez l'homme, de la rage paralytique, fré-
quente au contraire chez le lapin.
Je ne peux pas, d'ailleurs, ne pas insister sur
ce fait que les douleurs prodromiques se sont
fait sentir exclusivement aux points inoculés et
non pas aux points mordus, comme il est arrivé
d'ailleurs chez Réveillac.
Or, rappelez-vous cette phrase classique de
CœUus Aurélianus, ce premier historien scienti-
fique de la rage : Prœpatitur pars quœ morsa
vesatafuerit, quia pars quœ prœpatitur non
est ea quœ morsa vesata fuerit, secl quœ
inoculata, celle qui a été inoculée et qui a reçu
le virus pastorien.
Vit-on jamais fait plus hautement et plus
tristement significatif ?
Quant aux symptômes, on y vit, au début, de
la fatigue et de la tristesse, puis, contrairement
à ce qu'on observe dans la rage classique, des
douleurs lombaires qui font croire à l'existence
d'une myélite, puis une paralysie complète, puis
même de la cécité, contrairement à l'acuité
visuelle ordinaire de la rage classique, cécité
telle qu'on l'a observée dans le cas de Réveillac.
Ne sont-ce pas là tous les symptômes d'une rage
due au virus du lapin ?
Et l'absence d'hydrophobie, n'est-elle pas
20*
- 350 —
encore une preuve qu'il s'agit ici d'une rage, non
pas d'origine canine, mais d'origine expérimen-
tale.
J'ajoute, cependant, qu'il y a eu de la rage
canine, la sputation et l'écoulement de la salive,
mais que les phénomènes dominants ont été chez
cet enragé ceux qu'on observe par le fait du
virus du lapin.
Mais de tels faits de rage paralytique ne s'ob-
servent pas qu'en France ; on a constaté cette
même rage paralytique en Angleterre, chez des
inoculés de M. Pasteur. Et ces faits ont donné
lieu aux appréciations que je vais vous lire. .
Voir plus haut la lettre du D»" Clarke.
Le docteur Clarke, qui a publié deux cas de
rage paralytique, n'hésite pas à dire que c'est bien
là cette forme de rage, si rare chez l'homme, si
commune chez les animaux inoculés, qu'on
pourrait nommer essentiellement la rage de
laboratoire ou la rage expérimentale. Il n'y a
donc pas lieu de s'étonner que les médecins
aient de la peine à reconnaître cette forme de
rage. C'est une forme nouvelle chez l'homme et
qui pourrait bien être le résultat même des ino-
culations dites préventives.
Quoi d'étonnant, d'ailleurs, dans de pareils
faits ? On injecte dans l'organisme d'un homme
un virus d'une puissance telle qu'il peut donner
- 351 —
la mort à un animal et on cherche à utiliser cette
puissance pour neutraliser le virus rabique ino-
culé par la morsure d'un animal enragé. De
sorte que l'organisme de cet homme se trouve
infecté par deux virus : le virus rabique naturel
et le virus rabique artificiel. Et vous voulez que
ce dernier virus, dont vous voulez utiliser la
puissance pour neutraliser le virus rabique
canin, ne puisse parfois exercer cette puissance
au détriment même de l'organisme humain.
Vous admettez, par hypothèse, qu'il n'a de pou-
voir qu'à l'égard du virus canin et que son pou-
voir cesse à l'égard de l'organisme humain ; qu'il
est toujours bienfaisant et jamais malfaisant.
Qu'en savez-vous ?
En tout cas, et pour se placer dans l'hypothèse
qui soit la plus favorable à vos tentatives témé-
raires, vous ne pouvez pas ne pas admettre la
collaboration néfaste des deux virus. Les ana-
logies pathologiques sont contre vous . Ne voit-
on pas, chez un individu en incubation de
variole, l'inoculation du virus vaccin ne pas neu-
traliser l'action du virus varioleux ? Ne voit-on
pas alors chacune de ces maladies virulentes
apparaître à son jour, à son heure, le malade
présenter à la fois les pustules de la variole et
celles de la vaccine ? Mais au moins, quand on
a inoculé la vaccine, on a inoculé une maladie
— 852 —
toujours bénigne. Il n'en est pas ainsi dans vos
inoculations ; ce que vous inoculez, c'est un
virus mortel.
Que savez-vous d'ailleurs si, dans certains cas,
ce ne sera pas le virus rabique artificiel qui pré-
dominera et fera naître alors cette forme mor-
bide paralytique, inconnue jusqu'alors chez
l'homme, et que nous observons dans quelques-
uns des cas que je vous ai signalés et en parti-
culier chez Réveillac et chez Née ?
Pourquoi donc vous refuser à ouvrir les yeux
et à ne pas voir dans les faits de morts que je
vous signale des faits qui attestent, au moins, la
collaboration des deux virus ?
Enfin, depuis deux mois, au lieu des bien-
faits annoncés do la méthode intensive, je
vois se multiplier les cas de mort et j'estime
qu'il est de mon devoir de le signaler à votre
attention.
DIFFERENCE ENTRE LA RAGE DU CHIEN ET LA
RAGE DE LABORATOIRE.
Dans la séance suivante (18 janvier 1887),
M. le professeur Peter, après avoir commu-
niqué deux nouvelles observations de mort
par la rage paralytique, après le traitement Pas-
— 353 —
teur(l),a continué ainsi son argumentation:
1° La rage du cliien est convulsive ; inoculée
à l'iiomrae, elle est conmilsivante.
Par conséquent, lorsqu'un homme est mordu
par un chien enragé, la rage qu'il peut contrac-
ter est convulsive.
Vous en concluez que c'est le chien enragé
qui lui a donné cette maladie ; ici, vous êtes
logiques.
2° La rage du lapin est paralytique ; l'induc-
tion légitime est que, inoculée, elle doit être pa-
ralysante.
Vous inoculez à un homme la moelle de ce
lapin rabique, paralytique. Il meurt quelque
temps après, avec des symptômes paralytiques.
Et vous concluez que le lapin ne lui apas donné
cette maladie. Ici, vous cessez d'être logiques.
3" La rage paralytique est excessivement rare
chez l'homme. Elle est devenue fréquente depuis
les inoculations antirabiques.
Et vous niez que cette plus grande fréquence
soit due aux inoculations. Ici encore, vous ces-
sez d'être logiques.
Pourquoi ? C'est que vous avez la conviction
(1) Nous reproduisons ces deux observations plus
loin, dans un chapitre spécialement consacré à l'étude
de la rage paralytique o\x rage de laboratoire.
— 354 —
profonde, sincère, de l'efficacité, je dirai presque,
de l'infaillibilité de ces inoculations antirabiques .
Ceci me ramène à la discussion des cas que je
vous ai signalés, de ceux de Réveillac, de So-
dini, de Rouyer (1).
LES PASTORIENS PLAIDENT LES CIRCONSTANCES
ATTÉNUANTES.
Les défenseurs de la médication antirabique
invoquent volontiers la doctrine de Yalihi et des
circonstances atténuantes.
Ainsi, pour la petite Pelletier, la première
qui succomba malgré les inoculations, on crut
d'abord à une méningite ; puis, lorsqu'il devint
évident que c'était bien de la rage qu'il s'agis-
sait, on plaida les circonstances atténuantes ; on
avait « amené l'enfant trop tard » (trente-six
jours après la morsure). Ainsi pour Moermann,
inoculé 43 jours après avoir été mordu.
Et Pelletier, comme Moermann, sont rejetés
de la statistique mortuaire; on n'en a pas le droit
étant données les prémisses de la méthode, l'idée
mère dont elle dérive, et que je rappellerai tout
à l'heure.
C'est également l'alibi qu'invoquent les parti-
(1) Ces observations sont décrites plus loin, chapitre
XXIV.
- 355 -
sans de la médication, pour les cas successifs de
llouyer, de Réveillac, de Sodini et de Née.
Rouyer, dont M. Brouardel vous a lu l'obser-
vation, n'est pas mort de la rage, mais « d'uré-
mie » ; Réveillac est mort, « on ne sait pas de
quoi » ; Née, d'Arras, « de même ». Eh bien !
Rouyer, Réveillac, Sodini et Née, d'Arras, sont
morts : voilà qui est certain !
Ils sont morts dans les limites du temps de
Vinoculation ordinaire de la rage : ainsi
Rouyer, le 46'^ jour, — Réveillac, le 37e jour, —
Sodini, le 39'= jour. — Née, d'Arras, le 38e jour,
— après leurs morsures.
. Ils sont morts d'une maladie nerveuse,
étrange, insolite, qui déroute le diagnostic et fait
hésiter les plus clairvoyants en clinique.
Ils sont morts dans les limites du temps que
met la rage kparcourirson cycle ; ainsi Rouyer,
en Qz/a^re jours, — Réveillac, en cinq jours,
— Sodini, en trois jours, — Née, en sepi^ jours.
— Gérard (de Boran), en six jours, — Letang
(de Gourgeon), en siâ? jours.
— Mais, dira-t-on, « Rouyer a succombé à l'uré-
mie ». — Singulière urémie qui apparaît juste-
ment chez un mordu inoculé, qui apparaît
quarante-six jours après la morsure, qui tue en
deux jours ; qui n'a été précédée d'aucun des
prodromes urinaires de l'urémie aiguë (la cépha-
~ 356 —
lalgie, les troubles visuels^ les vertiges^ les
vomissements, V œdème léger du visage, etc.);
qui débute tout à coup dans un état de santé
si parfaite que l'enfant se livrait aux jeux actifs
et batailleurs de son âge ; même qui débute
brusquement en plein jeu, et à l'occasion d'un
coup reçu dans la région des inoculations.
Singulière urémie ! où l'on ne voit aucun des
symptômes soit de l'urémie co/iuw/si'ye (éclamp-
sie), soit de l'urémie comateuse., soit de la déli-
rante — et méconnaissable à ce point qu'au-
cun des médecins appelés ne sait la reconnaître,
pas même le docteur Rueff, ancien chef de clini-
que pour les maladies mentales et par consé-
quent très versé dans l'étude et la connaissance
de ces maladies dont relève précisément l'uré-
mie.
Singulière urémie ! que cette affection où l'on
constate, avec la conservation de l'intelligence
(il ne s'agit donc pas ù'yxvéïnxo, délirante)., le
nasonnement de la voix, comme dans la para-
lysie diphthérique, la difficulté paralytique d'a-
valer, « le liquide s'écoulant le long des commis-
sures labiales ».
Singulière urémie ! qui se traduit par des
collapsus et se termine au milieu d'un état de
dépression absolu avec pâleur extrême, symp-
tômes qui rappellent si bien les paralysies infec-
— 357 —
tîeuses et particulièrement celle de la diphthérie
avec paralysie du voile du palais.
Il n'y a guère que l'urémie dijspnêique qu'on
puisse un moment invoquer ici — en raison de
la difficulté qu'éprouvait le malade à respirer ;
mais cette difficulté était du même ordre et de
la même origine que celle d'avaler ; elle tenait
vraisemblablement à une paralysie des nerfs
glosso-pharyngiens et pneumo-gastriques, nerfs
qui émergent du bulbe — région intéressée dans
l'infection rabique.
Toutes ces raisons, et elles sont suffisantes, me
font donc rejeter la supposition de l'urémie, et
admettre la rage ; — mais une rage modifiée, dé-
formée, transformée, une rage qui, si elle n'est
pas la rage paralytique du lapin, est au moins
une rage mixte, produit hybride de la collabo-
ration du virus rabique du chien et de celui du
lapin.
En résumé, pour rejeter une rage insolite, où
l'on ne sait pas voir ce que j'y vois, on invoque
une urémie bien autrement insolite.
Dira-t-on que c'est à l'urémie que Sodini a
succombé? car lui aussi avait des urines albumi-
neuses. Ici l'urémie serait plus insolite encore et
ne se rattacherait à aucun des types symptoma-
tiques de cette affection. Lamaladie débute tren-
te-neuf jours ^'pvès la morsure, par des douleurs
~ 358 —
simultanées au niveau des morsures et des piqû-
res d'inoculation, comme si les deux virus vou-
laient signaler leur active collaboration morbifl-
que; — et ce qui domine dans ce drame qui dure
tr^ois j ours seiilement, ce sont encore des phéno-
mènes paralytiques : difficulté de la parole, de
l'expectoration, de la respiration, avec courbatu-
re générale.
Pour Réveillac (où l'on ne peut pas invoquer
l'urémie, cette fois) mêmes difficultés d'avaler ou
de cracher, — courbature générale dès le début et
paralysie terminale. Tout cela commençant tren-
te-sept jours B.'^vè,?^ la morsure (comme pour So-
dini,39 jours, et Rouyer, 46 jours) ; et le début
n'étant signalé que par la mise en branle d'un
seul virus — le virus du lapin manifestant à la
fois sa présence et son activité au niveau des ré-
gions inoculées.
Bien autrement significatif encore le fait de
Née,d'Arras.lci Xql paralysie n'est pas douteuse,
pas plus douteuse n'est Vactivité d'un seul vi-
rus— celui du LAPIN : — début par des douleurs
exclusivement aux points d'inoculation —
rayonnement de ces douleurs vers la moelle,
rachialgie.puis finalement paraplégie. — Et avec
cette paraplégie, paralysie bulbaire caractérisée
par la gêne de la déglutition et de la respiration ;
par l'écoulement de la salive le long des commis-
— 359 —
sures labiales ; enfin paralysie de la rétine, cécité
pendant les deux derniers jours de la vie.
Yit-on jamais plus large ensemble de phéno-
mènes paralytiques ? Et peut-on ici nier l'évi-
dence, à savoir le développement che;^ cethorri'
me de la rage du lapin ?
ILS SONT MORTS DE LA IIAGE EXPERIMENTALE.
En résumé, lesquatre observations de Rouyer,
de Réveillac, de Sodini et de Née ont entre elles
d'incontestables traits de par enté, début deV a.ï-
lection le quarante-sixième jour (Rouyer) : le 37"
jour (Réveillac), le 39^ jour (Sodini), le 38e jour
(Née) ; — durée de l'affection : 4 jours (Rouyer),
4 jours (Réveillac), 3 jours (Sodini), 7 jours
(Née) ; enfm, nature nerveuse de l'affection avec
prédominance des phénomènes paralytiques.
Or, il est impossible de nepas rappeler ici, que
c'est aux alentours du 40^ jour que se développe
ordinairement la rage classique, qu'elle dure de
trois à cinq jours ; que ses symptômes sont d'or-
dre nerveux mais convulsifs etnon paralytiques.
Or ce sont maintenant des accidents paralyti-
ques que l'on observe après les inoculations in-
tensives dans l'énorme proportion de ^z(«^re/o?s
sur cinq cas (Rouyer, Réveillac, Sodini, Née),
les accidents convulsifs de la rage classique
— 360 —
n'ayant été observés qu'une fois sur cinq (Jan-
sen).
Je ne veux pas insister davantage et j'ai résolu
de la sorte la seconde et la troisième partie du
problème que je m'étais posé : Comment est mort
Réveillac ? De quoi est-il mort?
Concluez !
LA MÉTHODE CONTRÔLÉE PAR l'eXPÉRIMENTATION.
Nous venons de voir les résultats pratiques de
la méthode ; voyons maintenant ce qu'apprend,
à ce sujet, le contrôle de V expérimentation (1).
Je ne vous aurais pas parlé de von Frisch, crai-
gnant qu'on ne m'accusât d'aller chercher des
armes à l'étranger ; mais puisqu'on a invoqué
ici son autorité, je puis bien le faire à mon tour.
Et, comme on n'a cité von Frisch que pour celles
de ses expériences qui sont confirmatives de
celles de M. Pasteur, et qu'on a omis de citer
celles qui sont contradictoires de celles de M.
Pasteur, laissez-moi combler cette lacune.
Voici ce que dit von Frisch : (or, il faut que
vous sachiez que von Frisch est professeur de
bactériologie à Vienne, qu'il était venu à Paris,
en partisan de M. Pasteur, qu'il s'est instruit sur
(1) Nous avons déjà reproduit, dans le chapitre VIII,
les expériences du savant Viennois avec quelques com-
mentaires. (Voyez p. 131).
— 361 —
lesujetqui nous occupe, dans le laboratoire delà
rue d'Ulm, et qu'il a fait ses expériences avec du
virus de lapin emporté par lui de ce labora-
toire) ; donc voici ce que dit von Frisch :
A. Des animaux aiiquels on a injecté sous la peau
une série de vaccins atténués (par un dessèchement
plus ou moins long), sont rendus réfractaires par les
vaccins plus faibles à l'action des vaccins plus forts,
à la condition que les virus renforcés graduellement
ne se suivent pas trop rapidement.
B. Des animaux auxquels on a introduit sous la
peau pendant 10 jours des vaccins d'une virulence
toujours croissante (de la moelle de quinze jours
jusqu'à celle d'un jour), ne sont pas restés complète-
ment réfractaires à l'infection avec du virus frais de
la rage des rues et ont échappé très exceptionnelle-
ment à l'action de l'infection intra-crânienne.
C. Des lapins et des chiens, infectés après trépana-
tion par la voie intra-crànienne avec du virus de la
rage des rues (d'une période d'incubation de 16
jours), ont succombés&ns exception à la rage, mal-
gré le traitement préventif institué de la manière
ci-dessus mentionnée.
Z). M. Pasteur a attribué à la méthode de vacci-
nation lente les résultats obtenus par M. von Frisch,
et a recommandé un procédé plus rapide : « La vac-
« cination doit commencer peu de temps après l'i-
« noculation, dès le lendemain, et l'on doit y procé-
« der rapidement, donner la série des moelles préser-
« vatrices en 24 heures et même dans un délai moin -
— 362 —
« dre, puis répéter, de 2 en 2 heures, le traitement
0 une ou deux fois. » Les expériences exécutées
con/orméjnent à ces indications n'ont donné aucun
résultat favorable, tous les ani^lvux sont morts de
LA RAGE.
E. Ces expériences ont encore montré un fait -très
important, c'est que, par ce procédé rapide, les
moelles plus faibles n'otfrent plus avec la même cer-
titude, l'immunité contre les plus fortes. Sur une
série de chiens et de lapins, qui ont servi de témoins
pour les expériences dont il est question à la lettre
D., et chez lesquels on a appliqué le procédé rapide
sans infection préalable, la plupart sont morts de la
rage.
« F. Des animaux qui ont subi le traitement pré-
ventif après l'infectioji sous-cutanée avec la rage des
rues, sont aussi presque tous morts de la rage, même
lorsque la période d'incubation était de 34 jours.
« Il résulte de ces expériences, dit M, von Frisch,
que la méthode de M. Pasteur, tendant à rendre les
animaux réfractaires à la rage, nécessite encore
beaucoup de recherches et d'expériences avant qu'on
puisse prétendre qu'elle est sûre et certaine. En at-
tendant, il n'existe pas de hase scientifique suffisante
pour l'institution, chez l'homme, d'un traitement
préventif de la rage après morsure ; en outre, il est
possible de supposer que,/)ar le tt^aitement préven-
tif \m-mème, ou tout au moins par le procédé rapide
préconisé par M. Pasteur, on pourrait transmettre
LA MALADIE. J
— 363 ->
De quelque façon donc que j'envisage la ques-
tion : soit au point de vue de l'observation clini-
que, soit à celui de l'expérimentation, j'arrive à
cette même conclusion, à savoir que la méthode
intensive peut être périlleuse.
Le 6 juillet 1885, sur l'avis conforme de MM.
Vulpian et Grancher, M. Pasteur inocula au petit
Meister, 60 heures après les morsures d'un chien
enragé, une moelle de 15 jours : puis successive-
ment il fit treize inoculations en 10 jours de
moelles de plus en plus virulentes. Aucun acci-
dent ne s'en suivit et, près de quatre mois plus
tard, le 26 octobre, Meister ne présentait aucun
symptôme rabique.
A la suite de cette communication de M. Pas-
teur à l'Académie des sciences, M. Vulpian, dans
un véritable élan d'enthousiasme;, s'écria : « La
rage, cette maladie terrible, a enfin trouvé son
remède. »
Le pubhc fut entraîné par cet enthousiasme
et la prophylaxie de la rage après morsure fut
essayéa sur une foule de mordus.
On fit ainsi un nombre considérable d'inocu-
lations sans accidents par les inoculations et sans
rage consécutive à la morsure ; aussi, quelques
mois plus tard, M. Pasteur venait-il dire aux
corps savants : « La prophylaxie de la rage après
— 364 —
morsure est assurée ;— il y a lieu de fonder un
établissement à cet effet. »
Malheureusement, il y eut un premier cas de
mort, celui de la petite Pelletier, puis trois cas
successifs chez des Russes, qui émurent vive-
ment M. Pasteur. Il fit alors une première mo-
dification à son traitement et pratiqua pour les
morsures de loup qu'il jugea avec raison beau-
coup plus virulentes que celles des chiens, jus-
qu'à trois inoculations par jour. Il n'eut aucun
accident à déplorer à la suite de cette modifica-
tion assez profonde déjà de sa méthode.
J'abrège pour dire qu'au bout d'une année la
mortalité chez les inoculés de France a été de 18,
et comme il y a eu d'autre part 17 morts par la
rage chez des non inoculés, la mortalité s'est
trouvée être ainsi de 35, ce qui dépasse la
mortalité moyenne annuelle par la rage en Fran-
ce, cette mortalité étant de 30 (1), d'après M.
Brouardel lui-même, et pour une période de 23
ans (de 1850 à 1872).
Les 18 décès chez les inoculés, sont : 14 ac-
ceptés par M. Pasteur, deux qu'il élimine comme
ayant été inoculés trop tard (Pelletier et Moer-
mann), un qu'il a oublié de citer, à l'hôpital La-
(1) Quant au ciilffrc de 30, il est emprunté à l'article
Rage, de M' Brouardel.
— 365 —
riboisière(Bc)nnenfant),et un 14" (Christin, delà
Haute-Savoie) .
Tels ont été les résultats de la médication an-
tirabique en France pour la première année.
Insuffisamment satisfait de ces résultats, M.
Pasteur résolut de modifier plus profondément
encore sa méthode, d'augmenter le nombre des
inoculations et d'arriver plus rapidement aux
moelles virulentes ; c'est ce qu'il a appelé la mé-
thode intensive. Voici d'ailleurs textuellement
l'exposition par M. Pasteur de sa nouvelle mé-
thode :
« Encouragé par ces résultats et par de nouvelles
expériences que j'exposerai tout à l'heure, j'ai modi-
fié le traitement en le faisant à la fois plus rapide et
plus actif pour tous les cas, et plus rapide encore,
plus énergique pour les morsures de la face ou pour
les morsures profondes et multiples des parties nues.
« Aujourd'hui, dans le cas de blessures au visage
ou à la tète et pour les blessures profondes aux mem-
bres, nous précipitons les inoculations, afin d'arriver
promptement aux moelles les plus fraîches.
Œ Le premier jour on inoculera, par exemple, les
moelles de douze, de dix , de huit jours, à onze
heures, à quatre heures et à neuf heures; le deuxième
jour, les moelles de six, de quatre, de deux jours,
aux mêmes heures ; le troisième jour, les moelles
de UN jour. Puis le traitement est repris: le quatrième
jour par moeUes de huit, de six, de quatre iours. Le
21.
^ 366 —
cinquième jour par moelles de irors et de deux jouTS.
Le sixième jour par moelle d'uN jour. Le septième
jour par moelle de quatre jours. Le huitième jour
par moelle de trois jours. Le neuvième jour par
moelle de trois jours. Le dixième jour par moelle
d'uNJour. On tait ainsi trois traitements en dix jours
en conduisant chacun aux moelles les plus fraîches.
« Si les morsures ne sont pas cicatrisées, si les per-
sonnes mordues ont tardé de venir au traitement, il
nous arrive, après des intervalles de repos de deux
à quelques jours, de reprendre de nouveau ces mê-
mes traitements et d'atteindre les périodes dange-
reuses pour les entants mordus à la face.
« Depuis deux mois, ce mode de vaccination fonc-
tionne pour les grièvement mordus, et les résultats
sont jusqu'ici très favorables.
L'Académie avouera que ces formules sont
bien plus logarithmiques que médicales ; qu'el-
les sont purement empiriques, ou plutôt qu'il s'a-
git ici d'expériences a prioiH pratiquées sur
l'homme.
Eh bien ! la mortalité par la rage de plus en
plus fréquente dans ces deux derniers mois, la
forme singulière des accidents auxquels succom-
bent les inoculés m'ont conduit à vous signaler
ces faits sur lesquels je crois devoir appeler la plus
sérieuse attention de l'Académie.
Ainsi la médication antirabique subit un dou-
— 367 —
ble échec : celui de l'expérience sur l'homme et
celui de l'expérimentation sur les animaux.
11 ne me reste plus qu'à conclure, et c'est ce
que je fais :
1° La mortalité annuelle par la rage en France
a-t-elle diminuée en 1886 par la médication anti-
rabique primitive ? — Non.
2" Cette mortalité tend-elle à augmenter avec
la médication rabique intensive ? — Oui.
Où donc est le bienfait ?
Ne pensez-vous pas, Messieurs, qu'il faut que
je sois mù par une conviction bien profonde
pour venir adresser ici aux doctrines médicales
de M, Pasteur les critiques que je viens de for-
muler, i
Ne pensez-vous pas qu'il faut que je sois mû
par une conviction bien profonde, pour risquer
ainsi de perdre ce qu'on appelle la popularité et
de m'aliéner ainsi la sympathie, à laquelle je
tiens tant, de cette Académie ?
Mais j'ai cru qu'il y avait péril à se taire da-
vantage et j'ai accompli ce que je crois être un
devoir. — Advienne que pourra !
Enfin, avant de terminer, je crois aussi de mon
devoir d'adresser quelques paroles à M. Vulpian.
Je lui dirai : Comment, vous, M. Vulpian,
vous médecin, n'avez- vous pas vu que le cas du
petit Meister ne prouvait rien, un seul cas étant
— 368 —
de nulle signification en thérapeutique ; — et le
petit Meister pouvant bénéficier d'ailleurs des
5/6* de chance que nous avons de ne pas deve-
nir enragés après morsure rabique ?
Comment avez-vous pu^ vous médecin, con-
clure si vite et si facilement du laboratoire à la
clinique, du chien à l'homme ?
Comment avez-vous pu pousser, au lieu de l'y
retenir, M. Pasteur dans cette voie inexplorée et
pleine de périls où il allait résolument s'engager.
Comment avez-vous pu, vous médecin, profé-
rer les paroles enflammées que je vais lire :
« La rage, cette maladie cruelle, contre laquelle
toutes les tentatives thérapeutiques avaient échoué
jusqu'ici, a enfin trouvé son remède ! M. Pasteur a
créé une méthode de traitement à l'aide de laquelle
on peut empêcher, a coup sûr, le développement de
la rage chez l'homme mordu récemment par un chien
enragé. 3e ûu à coup sûr, ipàvce que, d'après ce que
j'ai vu dans le laboratoire de M. Pasteur, je ne doute
pas du succès constant de ce traitement lorsqu'il
sera mis en pratique dans toute sa teneur, peu de
jours après la morsure rabique . »
Comment avez-vous pu risquer, par ces pa-
roles sans mesure, comme sans réserve, de com-
promettre à la fois rinstitut.M. Pasteur et vous-
même ? »
— 369 —
Le discours de M. Peter a été accueilli par les
applaudissements enthousiastes des tribunes de
l'Académie.
Enfin, la vérité s'est faite et le bon sens mé-
dical a repris ses droits. Une année d'observa-
tion a suffi pour réduire à néant les assertions
téméraires d'un homme qui se croyait tout per-
mis.
Les faits ont parlé. Pendant un an la méthode
a été inoffensive et inefficace, elle a succombé
sous le ridicule.
Aujourd'hui elle devient dangereuse: M.
Pasteur ne guérit pas la rage ; il est pro-
bable Q.u'lL LA DONNE.
Il en coûtera sans doute à nos corps savants
d'avouer qu'ils ont été l'objet d'une triste et cruelle
mystification ; il en coûtera à notre amour-propre
national de reconnaître le néant d'une découverte
Imprudemment annoncée avec tant d'éclat ; mais
la vérité scientifique doit dominer toute autre
considération et, quelque pénible que soit la dis-
cussion qui s'ouvre aujourd'hui, elle doit être
envisagée avec calme. 11 n'est pas douteux
qu'elle ne donne raison à la clinique et au bon
sens médical si outrageusement méconnus par
les prétendus savants de l'Ecole normale.
CHAPITRE XXIV
LA NOUVELLE MALADIE PASTEUR. RAGE
PARALYTIQUE, RAGE DU LAPIN, RAGE
EXPÉRIMENTALE.
C'est sous ces divers synonymes qu'on dési-
gne la nouvelle maladie qui a occasionné la mort
d'un grand nombre des malheureux qui ont été
traités récemment par la méthode intensive.
Le danger de cette méthode avait déjà été si-
gnalé par tous les savants compétents que n'a-
veuglait pas l'admiration irréfléchie que le
monde officiel avait vouée à M. Pasteur.
M. Colin, d'Alfort, dont tout le monde appré-
cie la compétence et la droiture, disait à l'Aca-
démie de médecine le 9 novembre 1886 (1) :
« Vos inoculations peuvent faire naître la rage ;
d'autres pourraient penser et vous dire, non sans
vraisemblance, que de tels accidents sont déjà
arriA^és En effet, si parmi les 10, 12 ou 34 su-
jets morts malgré le traitement il s'en trouvait
dont les morsures n'étaient pas rabiques ou sur
(1) Nous avons reproduit le discours de M. Colin
chapitre IX, page 149.
- 371 —
lesquels la cautérisation avait complètement
détruit la matière virulente, ne serait-il pas cer-
tain, ABSOLUMENT CERTAIN quc la ragc leur a
été communiquée par vos injections. »
Voilà un premier avertissement ! Combien il
est malheureux que les Pastoriens n'en aient
pas tenu compte !
Von Frisch s'exprimait ainsi dans sa commu-
nication faite à l'Académie des sciences de Vien-
ne :
« Par le traitement intensif ou tout au moins
par le procédé rapide préconisé par M. Pasteur
ON PEUT TRANSMETTRE LA RAGE. »
Deuxième avertissement î |\Iais les Pastoriens
restent sourds à la voix de la science et de la
raison ; ils n'en continuent que de plus belle
leurs pratiques irrationnelles et arrivent à la ca-
tastrophe que l'on sait. ... ils commettent l'ho-
micide PAR imprudence.
Il faut rendre cette justice à M. Pasteur, c'est
qu'il a créé une maladie nouvelle, purement ex-
périmentale et qu'il est arrivé à la transmettre
à l'homme, chose qui paraissait au premier
abord impossible, étant donné les difficultés
qu'on éprouve à acclimater certains virus d'une
espèce à l'autre.
Ce qui est certain, et c'est ce qui restera tou-
— 372 —
jours, c'est qu'on a créé une rage nouvelle, dont
les symptômes présentent une analogie frappan-
te avec celle qu'a obtenue le chimiste de l'Ecole
normale par l'inoculation de la rage du chien
au lapin.
Il nous suffira de reproduire l'observation dé-
taillée des cas de rage expérimentale inoculée à
l'homme, par M. Pasteur , pour démontrer qu'il
s'agit bien là d'une entité morbide caractéristi-
que et dont les symptômes sont toujours identi-
ques. Les faits sont malheureusement assez
nombreux. Voici les principaux observés de-
puis trois mois que M. Pasteur pratique sa
nouvelle méthode homicide.
On remarquera la persistance des symptômes
suivants : courbature intense, paraplégie rapi-
de, douleurs au niveau des points d'inoculation,
absence de douleurs au niveau de la morsure.
Voici les faits :
Obs. I. — M. Peter communique à l'Académie un
cas de rage survenu à Paris après traitement par la
nouvelle méthode intensive, et dont le récit lui a
été communiqué par M. le docteur Miquel.
Réveillac, jeune homme de vingt ans, charbonnier,
demeurant à la Villette, fut mordu à un doigt de la
main par le chien de son patron. Ce chien; fut abat-
tu peu de temps après.
Le lendemain, un pharmacien, consulté par le
— 373 —
jeune homme mordu, lui conseillait de s'adresser
au laboratoire de la rue Vauquelin, ce qu'il fit effec-
tivement qurante-huit heures après la morsure.
Au laboratoire, les inoculations furent pratiquées
à la région des hypochondres, suivant la nouvelle
méthode intensive.
La santé resta parfaite pendant cinq semaines, jus-
qu'au dimanche 12 décembre exclusivement. Ce
jour-là apparut un symptôme prémonitoire d'une
importance considérable : une douleur, qui bientôt
devint constante, au niveau de la cicatrice des piqû-
res des inoculalions antirabiques, et non au niveau
de la cicatrice de la morsure du doigt.
Bientôt malaise général et sentiment d'extrême
faiblesse. La journée du dimanche se passe ainsi
dans l'immobilité et dans la tristesse.
Le lundi, la faiblesse augmente, le malade ne peut
quitter la chambre et prend à peine quelque nourri-
ture.
Le mardi, il s'alite définitivement et meurt le jeu-
di, six semaines après la morsure. Le docteur Mi-
quel appelé ce jour-là, le trouve mort ayant une ba-
ve écumeuse à la bouche.
Des renseignements recueillis dès lors et depuis, il
résulle que le mercredi et le jeudi, troisième et qua-
trième jours de la maladie, il y eut des spasmes de
la gorge, de l'impossibilité à avaler les liquides, puis
qu'à d'autres moments, la déglutition de petites
quantités de boisson pouvait se faire.
— 374 —
11 n'y a jamais eu de convulsions, mais de la fai-
blesse, puis de la paralysie.
Tel est le cas de mort chez un mordu inoculé sui-
vant la nouvelle méthode intensive.
Il semble impossible de ne pas être ici frappé d'au
moins deux faits :
Le premier, c'est que les douleurs prémonitoires
se sont montrées, non pas au niveau des piqûres fai-
tes par les inoculations antirabiques ;
Le deuxième, c'est que les symptômes n*ont pas
été ceux de la rage ordinaire, puisque, à part le spas-
me œsophagien j les accidents dominants, au lieu
d'être convulsifs, ont été paralytiques.
Obs IL— Le i^r décembre,\e nommé Amédée Gé-
rard, âgé de 28 ans, demeurant à Boran (Oise), fut
mordu gravement à la main par un chien enragé.
On cautérisa immédiatement la plaie et le lendemain
matin, 5 décembre, Amédée Gérard partit pour Paris,
où pendant 12 jours il subit, au laboratoire Pasteur,
toutes les inoculations selon la dernière manière, et
au bout de ce temps, il fut, comme à l'ordinaire, ren-
voyé chez lui avec l'assurance qu'il était parfaite-
ment guéri.
Cet homme reprit, en etfet, son travail ordinaire,
ne pensant plus à cet accident ; mais vers le 29 dé-
cembre, il se sentit pris d'un étrange malaise avec
douleurs de tête, faiblesse, étourdissements, accu-
sant en outre une cZoM^eï^r sourde à la place où il
avait été inoculé.
Dans cet état, il se rendit aussitôt chez M. Pasteur,
—375 —
accompagné de sa femme. Là, on lui dit qu'il n'avait
pas lieu de s'inquiéter, que probablement il avait
pris froid, qu'il lui suffirait de retourner chez lui et
de s'y tenir chaudement.
Ce malheureux repartit donc ; mais son état s'étant
aggravé pendant le voyage, on dut le transporter
chez lui où il mourut le 3 janvier.
Un médecin, qu'on avait fait venir de Beaumont.
constata que le malade était atteint de la rage et
télégraphia immédiatement au laboratoire Pasteur,
d'où on répondit qu'il n'y avait rien à faire, attendu
que cet homme était déjà sous l'influence de la rage
lors du dernier voyage qu'il venait de faire.
Ce malheureux est mort certainement, non pas
de la rage ordinaire, furieuse et convulsive, mais
d'une maladie présentant tous les caractères de la
rage de laboratoire. *
En eff"et, pendant les quelques jours qu'il a souffert,
le malade qui avait d'abord accusé une sorte de gêne
dans la région où il avait été inoculé, s'est plaint
constamment à'atroces douleurs dans le ventre,
comme Révcillac, et d'une rétention d'urine qui
nécessita un sondage.
Il n'y a pas eu de convulsions ni V horreur des
liquides, puisque, une demi-heure avant de mourir,
en pleine connaissance, on lui fit boire un peu de
bouillon et de 1' « eau de Lourdes ! »
Il n'a présenté qu'un seul symptôme typique de la
rage ordinaire qui consistait en une sorte de cra-
chement continuel et bruyant produit par une cons-
triction de la gorge.
— 376 —
Obs. III. — Communiquée par M. le D' Pitoy,
de Combeau-Fontaine (Haute-Savoie). — Le sieur
Létang (de Gourgeon), tailleur de pierres, et, son
fils ont été mordus, le 3 novembre dernier, par un
chien reconnu à Tautopsie être atteint de la rage.
Le père avait été mordu au pied et le fils très lé-
gèrement au poignet. Ils partirent tous deux, le 7
novembre, à Paris, pour suivre le traitement antira-
bique, et revinrent, je crois, le 21 du même mois.
Le 2 décembre, L père, travaillant dans une
carrière, futpris de douleurs violentes dans les
côtes, au niveau des endroits où avaient été faites
les inoculations anti-rabiques, puis dans la tête, les
7'eins, et tous les membres.
Je le vis pour la première fois le 5 décembre ; il
n'offrait pas d'autres symptômes que les douleurs
précitées et un affaissement général.
A ma deuxième visite, le 7 décembre, je constatai
une paraplégie totale, avec anesthésie à peu près
complète des membres inférieurs jusqu'à la ceinture.
Cette anesthésie n'empêchait pas les douleurs spon-
tanées dans ces membres ; c'était ce qu'on a appelé
l'analgésie douloureuse. Pas de paralysie de la ves-
sie et du rectum ; continuation des douleurs dans
les côtes, les reins et la tête ; température à l'ais-
selle, 37o6 ; faiblesse considérable. Mort le 8 décem-
bre, à cinq heures du soir, sans que j'aie revu le ma-
lade .
Il n'y a eu ni difficultés de déglutition, ni délire,
ni accès convulsifs. Hallucinations passagères de
— 37r —
l'ouïe la veille de la mort. La morsure du pied était
cicatrisée et n'offrait rien de particulier.
Le fils continue à bien se porter.
J'ai été très indécis pour formuler un diagnostic
précis, j'ai songé à ce moment à une myélite aiguë,
et j'ai fait part à M. le D^'Roux, de l'Institut Pasteur,
de mes observations et de mon opinion.
Je livre cette observation à la publicité, à cause
de sa ressemblance avec celle du malade d'Arras,
portée à la tribune de l'Académie de médecine par
M. le professeur Peter,
Veuillez agréer, etc.
D' PlTOY.
Combeau-Fontaiue (Haute-Saône), 14 janvier 1887.
Obs. IV. Née, d'Arras. Nous avons reproduit cette
observation in extenso page 345,' dans la communi-
cation faite par M. Peter à l'Académie de médecine.
Née tut mordu par un chien qui fut examiné par
un vétérinaire et déclaré non enragé.
Il va néanmoins au laboratoire Pasteur où il reste
11 jours et subit le nouveau traitement intensif.
Un mois plus tard il éprouve de vives douleurs
au niveau des points d'inoculation, devient para-
plégique et meurt de la rage paralytique.
M. le D"" Germe, d'Arras. qui a transmis cette ob-
servation, déclare que ce malade a succombé à la
rage du lapin.
22,
— 378 —
Obs . V . Cas de rage paralytique survenu après le
TR.UTEMENT PaSTEUR. DOULEURS PREMONITOIRES SUR-
VENANT AU NIVEAU DES POINTS d'iNOCULATION ET NON
AU NIVEAU DU POINT MORDU.
Cette observation nous est transmise par MM. les
Di'5 Boisson et Daugats.
Goriot (Paul), 14 ans. Bonne santé habituelle. A été
mordu à Findex gauche par un chat, fin novembre
1886. Trois semaines après, vers le 21 décembre, ino-
culations antirabiques. Durée 10 jours.
Se plaint depuis quelques jours de malaises, de
fourmillements, de démangeaisons au niveau des
points où il a été inoculé.
Nous le voyons le U janvier.
Douleurs lombaires s'exagérant par les mouve-
ments. Se plaint légèrement de la gorge. A Texamen,
rien de particulier. Bougeurs. Diagnostic : lumbago
à la suite de refroidissement, pas de fièvre, anorexie.
Prescription.— Frictions, chaleur, purgation limo-
nade Bogé pour le lendemain.
15 janvier matin 8 heures, Temp. 38»5j pouls 80. A
bien dormi. Bespiration difficile, saccadée. Douleurs
lombaires plus prononcées. Impossible delemettresur
son séant. A vomi sa purgation . On le sort du lit. Bai-
deur musculaire s'étendant du cou jusqu'aux mem-
bres inférieurs. Auscultation. Bespiration normale.
Pas de râles. En continuant notre examen, nous
constatons qu'il est atteint de paralysie^
Il soulève cependant, mais très légèrement, ses
membres inférieurs.
— 379 —
Les membres supériem's ont conservé jusqu'au
dernier moment leur mouvements. Le malade n'a
pas uriné, ni fait de selles. Stupeur. Parle moins vo-
lontiers, se trouve bien dans son lit, n'éprouve aucun
malaise, que de la difficulté à cracher. Transpiration
abondante.
Prescription. — Vésicatoire au niveau des vertèbres
lombaires ; à l'intérieur, alcool de racines d'aconit.
A S heures, même jour, les phénomènes sont les
mômes. Son état n'a pas varié. A partir de cette
heure, la gêne respiratoire va en augmentant.
De 4 à 6 heures; il étouffé et crache abondamment
une salive spumeuse visqueuse.
En mon absence, mon confrère M. Daugats, vers
6 heures 1/2, le voit, applique des ventouses scari-
fiées le long des vertèbres doi'^ales et en avant des
ventouses sèches. Il paraît momentanément soulagé
et plus calme, sputation abondante facile.
A7 heures 1/2, nous le voyons tous les deux et as-
sistons pendant une heure aux phénomènes suivants :
La sputation devient plus difficile et nous remar-
quons que des phénomènes de contraction et de di-
latation pupillaire, ayant lieu alternativement, sont
plus fréquents au moment de la salivation. Nous re-
marquons, en outre : difficulté de la déglutition, mais
sans hydrophobie. La paraplégie est complète. La
sensibilité de tout le corps est conservée.
Mon confrère ayant ordonné un lavement purga-
tif, le malade Ta en partie rendu avec des urines.
Quelques heures auparavant le malade avait uriné . Le
pharmacien, M. Pierost, ni nous-mêmes n'avons trou-
— 380 ~
vé aucune trace d'albumine, urines troubles, mates.
La stupeur s'accentue. Il est difficile d'en faire sor-
tir le malade .
Les extrémités supérieures se refroidissent, la trans-
piration reste toujours abondante.
A 8 heures, le pouls est à 140, la terap. à 36o7.
Nous prescrivons un vésicatoire à la nuque; du café.
A 9 heures 1/2, nous revoyons ensemble notre
malade. Aggravation.
La respiration est de plus en plus mauvaise. Mort
à 11 heures l/'2.
A 3 heures du matin, après la mort, écoulement de
sang par le nez et par la bouche en assez grande
quantité. A 9 heures, nous constatons qu'il s'en
écoule encore pas mal.
Le corps est à l'état de rigidité cadavérique. Le
siège et les membres inférieurs présentent de larges
taches ecchymotiques rougeâtres .
Obs. VL Sodini, de Constantine. Nous avons repro-
duit cette observation in cœtenso, page 342.
Mordu par un chien le 12 octobre 1886, — subit le
traitement intensif du 21 au 24 octobre au labora-
toire de la rue Vauquelin.
Quand le 24 novembre il ressentit des douleurs
aiguës au niveau des points d'inoculation.
Paraplégie — Urines albumineuses.
Obs. vil Le 20 octobre 1886, le jeune Rouyer, âgé
de douze ans, demeurant 58, rue de Bretagne, était
mordu par un chien.
- 381 —
Les parents, avant même de faire faire une enquête
pour savoir si le chien était enragé, s'empressèrent
de conduire leur enfant au laboratoire de M. Pasteur,
où il fut soumis au traitement antirabique intensi
inauguré le 1" septembre dernier et renvoyé guéri
dans sa famille.
Le 23 novembre, le jeune Rouyer, qui avait repris
ses habitudes et était retourné à Técole, reçut en
jouant, d"un de ses camarades, un coup de poing
dans le côté.
Quelques heures après, il fut pris d'une crise ner-
veuse et se roula à terre en poussant des cris déchi-
rants. Il accusait surtout de vives douleurs au ni-
veau des points d'inoculation. Rien au niveau de
la morsure.
On le ramena en toute hâte tliez ses parents, où le
Dr Ruet, appelé aussitôt, lui prodigua des soins sans
se prononcer toutefois sur les causes de la maladie.
Le 26 novembre, le malheureux enfant expirait en
présentant tous les symptômes de la rage paralyti-
que.
Le corps a été transporté à la Morgue où l'autop-
sie a été faite le 29, à deux heures, par M. Brouardel.
L'éminent professeur a déclaré que le malade n'a-
vait pas succombé des suites du coup de poing qu'il
avait reçu, mais qu'il était peut-être mort d'urémie.
Obs. VIIL Ce cas est survenu dans la commune de
la Tour-du-Pin (Isère). Nous avons attendu la con-
firmation officielle du décès émanant de la mairie
de celte ville avant de le pubher.
— 383 —
Le nommé Fonlup, mordu par un chien en décem-
bre dernier, venu de suite au laboratoire Pasteur
pour y suivre le nouveau traitement, a été renvoyé
guéri. Son traitement avait duré douze jours.
Le 20 janvier, Fonlup éprouva des douleurs au ni-
veau des points d'inoculation, puis une faiblesse ex-
trême, puis de la paraplégie et des symptômes pul-
monaires qui fm-ent d'abord attribués à une pneu-
monie. Il succomba de la rage paralytique le 24 jan-
vier .
On a cherché à faire passer le décès sur le compte
d'une pneumonie.
Obs. IX. La femme Albert, de la commune des
Vigneaux, près de Vallouise (Basses-Alpes) est morte
de la rage paralytique le 26 janvier, après avoir subi
le nouveau traitement du 2.5 décembre au 5 janvier à
l'Institut Pastem\
Le Dr Vagniat, de Briançon, appelé près de cotte
malade, n'a pu arriver avant sa mort.
Voici les symptômes observés. Ils présentent une
analogie frappante avec ceux qui ont été constatés
sur les inoculés. Douleurs intenses au niveau des
points d'inoculation s'étendant jusqu'aux reins, mort
après 3 jours de maladie avec paraplégie et prostra-
tion. L'autopsie n'a pas été faite.
Ce cas nous a été confirmé par le maire.
Obs X. Le 23 octobre 1856, une enquête publique eut
lieu devant le coroner du district sur la mort du nom-
mé Joseph Goj5^ (surnommé Smith), employé dans
— 383 —
Brown Institution, sorte d'hôpital pour les animaux.
Le 4 septembre 1886, il fut mordu à la main gau-
che par un chat qu'on supposa enragé ; la plaie fut
immédiatement cautérisée et Goffi fut envoyé à Pa-
ris où le traitement commença le 6 septembre. Il
resta à Paris jusqu'au 9 octobre. Quelques jours après
son arrivée à Londres il se plaignit d'une faiblesse
extrême dans les jambes et entra à l'hôpital Saint-
Thomas, le 9 octobre. On diagnostiqua une paralysie
de Landry. Il mourut le ^0. Les médecins qui dépo-
sèrent devant le coroner ne purent affirmer d'une
manière positive que Goffi avait succombé à l'hy-
drophobie et le jury rendit un verdict de mort na-
turelle.
Le professeur Horsley, directeur de la Brown Ins-
titution, inocula des lapins avecja moelle de Goffi,
afin de s'assurer si l'individu était mort de la rage.
J'ai appris, de source certaine, que les lapins ainsi
inoculés sont morts au bout de sept jours.
On sait que M. Pasteur affirme que la petite Le-
pelletier était morte de la rage du chien et non des
inoculations parceque les lapins inoculés avec la
moelle de l'enfant ne sont morts qu'au bout de dix-
huit jours. Si les lapins étaient morts au bout de sept
A HUIT jours, ajoutait M. Pasteur, ce fait aurait prou-
vé que l'enfant avait succombé à la rage du lapin in-
troduite dans l'économie par les inoculations.
Les expériences faites avec la moelle de Goffi prou-
vent donc, d'après M. Pasteur, que la mort de cet
individu est due aux inoculations.
— 384 ■ -
Obs. XI. Arthur Wilde fut mordu au commence-
ment d'octobre par un individu qu'on croyait atteint
d'iiydrophobie. Les plaies furent immédiatement
cautérisées.
Le 6 octobre, il arriva à Paris où il fut soumis au
traitement intensif et reçut 19 inoculations. Il retour-
na chez lui le 19 et paraissait bien portant. Le 30 oc-
tobre il éprouva une grande faiblesse et accusa des
douleurs au niveau des points d'inoculation. Il de-
vint de plus en plus faible et dut s'aliter. Plusieurs
médecins furent appelés et ne purent arriver à un
diagnostic. Les uns diagnostiquèrent une attaque bi-
ieuse, les autres une paralysie intestinale, et ce n'est
que quelques heures avant la mort qu'on parla d'une
congestion pulmonaire.
C'est cependant ce dernier diagnostic très invrai-
semblable qui fut maintenu.
Le D"^ Whileside-IIime, de Sheffield, est un des
médecins qui se sont fait remarquer par l'ardeur
avec laquelle ils ont soutenu la méthode Pasteur en
Angleterre. Aussitôt qu'il apprit la mort de Wilde, il
arriva à Rotherham afin de parer le coup que la mort
de cet enfant devait nécessairement porter à la cé-
lèbre méthode. Son intention était sans doute de
faire des expériences et le British médical Journal
du 6 novembre dit « qu'il espère, dans l'intérêt de la
science, qu'on fera des inoculations avec la moelle
pour vérifier le diagnostic ■» .
Mais le D"" Hime trouva à son arrivée à Rotherham
que les choses ne pouvaient pas s'arranger comme il
'aurait désiré. La mort tragique de Wilde avait été
— 385 —
ébruitée et l'enquêle publique était nécessaire. Notre
confrère pensa que la réputation scientifique de Pas-
teur, intimement liée à la sienne, aurait fort à souf-
frir, si l'on connaissait la vérité et ne jugea pas né-
cessaire de faire aucune expérience. Peut-être avait-
il eu connaissance des résultats obtenus par le Df
Horsley en inoculant la moelle de Goffi.
Il fallaitcependant rassurer le public. C'est alors que
le Dr Hime écrivit à la presse médicale et politique
et déclara qu'on ne pouvait pas soupçonner l'existen-
ce de l'hydrophobie dans le cas de Wilde.
M. le D' Glarke, de Londres, qui a fait sur ce sujet
une sérieuse enquête, nous a transmis les renseigne-
ments suivants :
La question qu'il importe d'élucider est la sui-
vante: de quoi est mort Wilde Or, c 3 ne it pas en
s'adessant au D'^ Hime qui n'a assisté ni à la mort
ni à l'autopsie que nous connaîtrons la vérité, mais
en consultant l'opinion de ceux qui l'ont soigné pen-
dant la vie et ont fait l'examen post-mortem . Or,
voici les renseignements fournis sur ce sujet par le
Rotherham Advertiser du 6 novembre 1886 :
« Le 6 octobre Wilde se rendit à Paris, quelques
jours après avoir été mordu par l'infortuné Oates.
Le traitement, qui dura dix jours, consista en 19 ino-
culations selon la méthode nouvelle intensive.
Les premières inoculations avaient déjà produit un
malaise étrange (1). Le 30 octobre Wilde se plai-
(1) Née, d'Arras, qui a succombé à la rage paralytique, avait
déjà éprouvé des sensations analogues à la suite des ino-
culations. (Note de la Rédaction.)
22*
— 386 —
gnit, et le D^ Foote, qui fut appelé auprès de lui
crut d'abord qu'il s'agissait d'une attaque bilieuse
{BUious attack). Des vomissements eurent lieu en
effet, le jour suivant. On observe ensuite une sorte
de paralysie intestinale.
Le 1=^ novembre l'état s'aggrava, et la prostration
devint extrême. Le pouls était normal ainsi que la
température ; mais il n'y avait aucun trouble de la
respiration.
Ce n'est que le mardi soir, veille de la mort, que la
respiration devint difficile. Le malade succomba le
mercredi 3 novembre. La maladie avait duré trois
jours. A l'autopsie on trouva dans le poumon les si-
gnes de la congestion hypostatique.
Je le demande au D"" Hime et à tous les cliniciens,
sont-ce là les symptômes de la pneumonie ?
A-t-on jamais vu une pneumonie occasionner la
mort en 4 jours sans fièvre, sans point de côté, sans
troubles de la respiration et sans élévation de la tem-
pérature? Ce n'est que la veille de la mort que les
symptômes respiratoires, qui sont ceux de la paraly-
sie bulbaire observés chez tous les rabiques, se sont
manifestés !
Je comprends que le Dr Hime ait pu dire que Wilde
n'a pas présenté les symptômes ordinaires de l'iiy-
drophobie. En effet, la paralysie, la prostration, la
mort rapide sans convulsions ni hydropliobie cons-
tituent les symptômes d'une maladie nouvelle que le
Dr Hime n'avait pas encore observée par cette raison
bien simple qu'ils appartiennent à une maladie non-
— 387 —
velle introduite dans la pathologie par M. Pasteur.
C'est la rage du lapin, la rage du laboratoire dont es
cas se sont malheureusement multipliés depuis l'ap-
plication de la méthode intensive. Wilde est mort de
la même maladie que Gotfi. Je maintiens donc, dans
Fintérèt du public, que les deux individus ont suc-
combé dans des circonstances plus que suspectes et
j'ai les plus sérieuses raisons de croire que M. PaS'
teùr, au lieu de faire disparaître une maladie, en a
créé une nouvelle.
Ainsi voilà onze cas de rage paralytique re-
cueillis en moins de trois mois.
Nous ne comptons pas dans ce nombre les
cas de rage convulsive et les cas de rage surve-
nus en dehors de tout traitement Pasteur.
Que conclure de ces faits, sinon que le nou-
veau traitement a considérablement augmenté
la mortalité par la rage et que dans on::e cas au
moins il a inoculé la maladie à des gens qui
vraisemblablement ne l'avaient pas.
CHAPITRE XXV
RÉSULTATS COMPLETS DU TRAITEMENT
PENDANT L'ANNÉE 1886. CONCLUSION.
I. CHIFFRE DES INOCULÉS.
D'après le document qu'ils ont bien voulu
communiquer à l'Académie de médecine, le 18
janvier 1887, les Pastoriens ont traité, dans leur
célèbre Institut, jusqu'au 31 décembre 1886, 2682
enragés.
Sur ce nombre se trouvaient 1929 Français.
Les Pastoriens faisaient alors le calcul sui-
vant :
Nous avons inoculé 1929 individus, il en est
mort dix-huit, nous en avons donc guéri 1911.
On est vraiment tenté de se demander si MM.
Pasteur,Vulpian et Grancher ne se moquent pas
de l'Académie en voulant faire croire aux hono-
rables mathématiciens qui en composent la
majorité que ces 2.682 clients étaient atteints de
la rage. Nous savons tous qu'on a inoculé à l'E-
cole normale tous les individus qui s'y sont pré-
— 389 —
sentes, enragés ou non, et nous avons publié sur
ce point des faits nombreux et démonstratifs.
Il nous paraît, en effet, difficile d'admettre que
le fait d'avoir découvert le traitement de la rage
par les virus moelleux exaltés, ait donné à cette
affection îine fréquence inconnue jusqu'à ce
jour. Comment expliquer que la rage, qui faisait
en France 30 victimes chaque année, ait pris de
telles proportions ascensionnelles, depuis la
découverte du grand chimiste 1
M. Vulpian a complètement omis de répondre
à cette question qui avait bien son importance.
Nous aurions vivement désiré, dans l'intérêt de
la méthode Pasteur et de la science française,
qu'il voulût bien donner à cet égard quelques
explications.
A notre avis^ ce n'est pas en s'ébahissant
devant les 2,682 inoculés qu'on peut savoir si
M. Pasteur guérit la rage, mais en recherchant
combien d'individus succombent, chaque année,
à la suite de morsures d'animaux enragés.
Nous ne songeons nullement à contester que
le laboratoire de l'Ecole normale ait inoculé le
nombre fantastique de 2G83 individus ; ce que
nous nous refusons à admettre ce sont les con-
séquences que les Pastoriens en tirent, à savoir
qu'ils ont réduit la mortalité par la rage i 1 pour
cent.
— 390 —
Le raisonnement repose sur trois suppositions
ou jwstulats:
Le 1" postulat consiste à supposer que les
1,538 individus ont été mordus — ce qui n'est
pas. Il y en a qui n'ont pas même été griffés
(j'en ai la preuve).
Le 2" postulat suppose que tous les individus
vraiment mordus l'ont été par des animaux vrai-
ment enragés (ce qui n'est pas, j'en ai la preuve
également).
Enfin le 3* postulat suppose que tout individu
mordu par un animal enragé est destiné à deve-
nir enragé (ce qui n'est pas — de l'avis des plus
compétents).
En effet, Hunter — savant anglais de premier
ordre — admettait que la rage ne se dévelop-
pait, chez les individus mordus par des animaux
enragés, que dans la proportion de 5 0/0. M.
Leblanc, un éminent vétérinaire français, croit
cette proportion plus élevée et la porte à 16 0/0.
Un autre vétérinaire. M. Bourre! , estime que la
proportion ne dépasse pas 6 0/0.
Admettons — pour raisonner dans le sens le
plus large — la proportion de M. Leblanc, choi-
sie par M. Vulpian, et appliquons-la à ces 1,538
mordus — nous arrivons par une règle de trois
très simple, comme l'a fait M. Vulpian lui-même
— au chiffre monstrueux de 246 cas de rage en
- 391 —
France, dans l'année 85-86, s'arrétant au 31 oc-
tobre dernier !
« Si, dit M. Vulpian, la méthode prophylacti-
que ne leur avait pas été appliquée, ces 246 mor-
dus seraient morts de la rage. Or, comme il n'en
est mort que 16, il y en a eu 230 de sauvés par
les inoculations de M. Pasteur. »
Eh bien ! veut- on savoir ce que dans une
période de treize années, qui s'arrête à 1863, un
savant d'une haute valeur, M. Tardieu, profes-
seur de médecine légale et président du comité
consultatif d'hygiène, a trouvé comme chiffre
officiel de la mortalité annuelle par la rage en
France ? 25 cas ! Et le docteur Tardieu ajoute :
a que presque tous les arrondissements de
» France ayant répondu à l'appel de l'enquête,
» le chiffre de 25 cas doit être opposé aux chif-
» fres 6 ou 8 fois plus élevés, dont il ne doit
J) PLUS ÊTRE PERMIS d'eFFRAYER LES ESPRITS. S>
{Académie de Médecine, 1863.)
D'autre part, M. Brouardel, investi à cette
heure des mêmes fonctions que M. Tardieu,
donne comme chiffre de la mortalité annuelle
en France : trente cas ; mais il ajoute que les
deux tiers seulement des départements ont ré-
pondu à l'enquête. Supposons, avec M. Vulpian,
que le tiers qui n'a pas répondu, ait eu la même
mortalité que les deux autres, cela porterait le
— 392 —
chiffre de la mortalité totale à 45. (Je crois,
que les départements silencieux n'avaient point
de cas de rage à signaler.)
Il s'ensuivrait donc logiquement et arithméti-
quement que, dans les douze derniers mois
écoulés, il y aurait eu en France cinq fois plus
de cas de rage que dans les années antérieures.
Eh bien ! j'affirme que la chose est monstrueu-
sement invraisemblable. Et c'est là que gît l'ar-
tifice mathématique sur lequel les Pastoriens
ont échafaudé leur système (1).
NOMBRE EXACT DES DÉCÈS.
Dans la communication faite à l'Académie de
médecine, le 11 janvier 1887, M. Grancher affir-
mait que le nombre total des décès à la suite du
nouveau traitement s'élevait à 16.
Or nous sommes en mesure d'affirmer que
M. Grancher se trompait ou trompait l'Acadé-
mie. A cette époque le laboratoire Pasteur avait
été informé et avait accepté comme réel le q\\\Î-
[yq de dix-huit décès. Voilà comme on a tou-
jours honoré la vérité à l'Ecole normale.
Mais ce n'est encore rien. Nous affirmons que
le nombre des décès survenus en France à la
(1) Ce raisonnement a été exposé magistralement par
M. le professeur Peter dans une leçon clinique professée
le 26 janvier 1887.
— 393 —
suite du nouveau traitement s'est élevé à 28 dé-
cès dont 22 pendant l'année 1886 seulement.
Les faits mortels se trouvent établis dans le
tableau suivant dont nous garantissons l'au-
thencité. Afin de faire porter la statistique sur
une année entière nous n'y faisons pas figurer
les décès des enfants Pelletier et Bonenfant qui
ont eu lien en 1885.
Ainsi la mortalité par la rage après le traite-
ment Pasteur comprend :
Bonenfant et Pelletier inoculés en 1885.
Les 22 individus dont les noms figurent dans le ta-
bleau suivant.
Quatre individus ayant succombé en 1887 et q'ie
nous mettons à pai t pour ne pas établir de confusion
en empiétant d'une année sur l'autre.
Nous avons publié dans le chapitre précédent trois
individusmortsen I887dela rage paralytique (page 381).
Voici un quatrième décès qui porte à 28 le total des
décès connus pour la France jusqu'à ce jour (15 fé-
vrier 1887).
Bercé, de Bordeaux, mordu en septembre dernier par
un chien enragé, vint immédiatement à Paris, suivre le
trait'iraent Pasteur. 11 fut renvoyé complètement guéri.
Le 28 janvier, il fut pris des premiers symptômes et
succomba le 1er février, ^ l'hôpital Saint-André de Bor-
deaux, à la rage convulsive. L'aulopsie a été pratiquée
par le D"^ Pitres. Aucune lésion n'a pu expliquer la mort
par une maladie autre que la rage.
11 va sans dire que les pastoriens ont émis des dou-
tes sur le diagnostic et vont attendre l'épreuve du lapiu .
Une des choses les plus tristes qui ressort du tableau
suivant est que sur S3 personnes ayant succombé à la
rage, 2 seulement avaient été cautérisées. Il est constant
que, depuis la prétendue découverte, on ne cautérise plus
les morsures suspectes.
— 394 —
Individus traités au laboratoire Pasteur pendant Vannée 1886
2
SIÈGE
DATE
DATE
—
It
NOMS
AGE
DES
DES
DU
P
morsures.
morsures .
traitement.
1
Videaii
(Mathieu.)
3 ans
Arcade sour-
eilière.
24 février.
27 févr.— 7mars
2
Lagut
(Elvina.)
11 ans
Lèvre infé-
rieure.
18 mai.
24 mai.— 2 juin.
3
Bouvier
(Marius.)
40 ans
Main.
avril.
4
Clédière
(Emile.)
21 mois
Face palm.
et deux
doigts de
la main
droite.
17 juin.
21juin.— SOjuiu.
5
Peytel
(Henri.)
6 ans
Annulaire et
médius droit
28 juin.
SOjuin.— 9 juillet
6
Leduc
(Zélie.)
70 ans
A la main.
14 juillet.
àul8au25juill.
7
Magnevon
(Norbert.)
18 ans
A la main.
25 juillet.
du 1" au 7 août.
8
Moermann
(Alfred.)
40 ans
A la main.
28 juin.
du 11 au 21 août.
9
Cliristin
d'Evian,
12 ans
Paupière
supérieure.
juin.
du lor au 10 juin.
10
Moulis
(André . )
6 ans
Avant-bras.
31 juillet.
6 août.— 12 août
11
Grand
(Louis.)
41 ans
A la main.
5 septembre.
du 14 au 28 sept.
12
Duresset
(Edouard.)
A la jambe.
août.
septembre.
— 395 —
et ayant succombé à la rage après le traitement Pasteur {France).
NATURE
DU
traitement.
moelles de 14
à 6 jours.
moelles de 14
à 5 jours.
moelles de 14
à 4 jours.
DATE
DE LA
m 0 r t .
24 sept. 1886
17 juin.
21 juillet.
17 août.
16 juillet.
lOseptemb.
16 octobre.
7 septemh.
17 juillet.
8 septemb.
10 octobre,
tin septemb
cs 1=:
O o
Animal
ayant
mordu.
non
cluen
non
»
non
chat
non
cliien
non
»
non
»
caut.
»
3j.
après
»
non
»
caut.
non
»
'i
»
OBSERVATIONS.
Moi'surc légère. Incubation
remarquablement longue.
Rage convulsive. 200 jours
d'incubation.
Rage convulsive du chien.
Rage convulsive. Les Pa.s-
toriens ont prétendu qu'il
s'agissait du delirium tre-
mens. Incubation longue.
Rage convulsive du chien.
Rage convulsive du chien.
Courte incubation de 18 jours
Rage convulsive. Incuba-
tion de 50 jours.
Rage convulsive. 81 jours
d'incubation.
Rage convulsive.
Le laboratoire dit que
l'enfant est mort d'une mé-
ningite, mais l'autopsie faite
à l'hôpital d'Evian n'a révélé
aucune lésion. L'enfant est
mort de rage furieuse après
la morsure.
Le malade a été soigné
par le D'' Yot, à Versailles.
396
Individus traités au laboratoire Pasteur pendant Vannée 1886
9
SIÈGE
DATE
DATE
èi î;
NOMS
AGE
DES
DES
DU
'^ o
%3
morsures.
morsures.
traitement.
13
Astier
(Justin) .
2 ans
Deux joues.
4 août.
5 août.— 21 août
14
Janseu
(Louis.)
47 ans
Jambes et
• poignets.
18 août.
du 21 août au
3 septembre.
15
Clerjot
(Eugène )
27 ans
Avant-bras .
7 août.
du 11 au 23 août.
v:i6
Sodini
46 ans
A la jambe.
12 octobre.
du21au31octob.
1
(Bernard . )
fn
Leteng
59 ans
Mordu a u
3 novembre.
du 8 au 20 no-
fl
(Etienne.)
pied recou-
vembre.
j-
vert d'un
s
chausson.
^18
Née
42 ans
Mordu à la
21 novembre.
du 17 au 26 no-
^
(Léopold . )
jambe re-
vembre.
3
couverte
■a
d'un panta-
OJ
lon.
^19 J
Gérard
28 ans
A la main.
1" décembre.
du 3 au 13 dé-
: '
(Amédé . )
décembre.
:;^2oi
Réveillac
25 ans
A la main.
g i
(Louis)
|2lJ
Rouyer
12 ans
A la main.
20 octobre.
25 octobre au 5
f
(Arthur.)
novembre.
ce
|.22,
Goriot
12 ans
A l'index.
fin décembre.
•
- \
(PauL)
Ainsi il est bien établi que 22 des individus
qui ont été inoculés à l'Ecole normale en 1886
ont succombé. On remarquera que les sept der-
niers sont morts de la rage paralytique et que
— 397 —
et ayant succombé à la rage après letraitement Pasteur (France Suite-j
NATURE
DU
traitement.
moelles de 12
à 5 jours.
Nouveau trait,
indiqué dans
la com. du 2
iiov. 1886.
DATE
DE LA
mort.
u O
'S ^
1^
Animal
■= ayant
mordu.
16 septemb .
caut.
31 décemb.
non
»
24 octobre.
non
»
24 novemb.
non
■B
8 décembre.
non
3)
17 décemb.
non
S
3 janvier.
non
non
»
26 novemb.
non
S
14 janvier.
chat
OBSERVATIONS.
Rage convulsive, 146 jours
d'incubation.
Rage paralgtique. Dou-
leurs au niveau des piqûres.
Rage paralytique. Dou-
leurs au niveau des piqûres,
non à la morsure.
Rage paralytique. Dou-
leurs au niveau des piqûres,
rien à la morsure.
Rage paralytique. Dou-
leurs au niveau des piqûres,
rien à la morsure.
Rage paralytique. Dou-
leurs au niveau des piqûres,
rien à la morsure.
Rage paralytique. Dou-
leurs au niveau des piqûres,
rien à la morsure. Ce cas
d'après Brouardel serait de
l'urémie.
Ruge pctralytique. Dou-
leurs au niveau des piqûres.
cette mortalité énorme qui porte sur deux mois
seulement semble être la conséquence du nou-
veau traitement,
Pour avoir le chiffre exact des individus ayant
— 398 —
succombé à la rage pendant l'année 1886 il faut
ajouter à ce chiffre celui des individus ayant
succombé à la rage sans avoir subi le traite-
ment Pasteur.
Ils sont au nombre de 17 :
Nécrologie de la rage en i886 sans traitement
Pasteur [France.)
NOMS DKS MALADES
Un enfant
bagaz.
Beau-père de Lagaz.
Haremburc.. ....
Une femme
Riffiondi
Une femme
Jamin. ...
Masson (enfant) . . . . .
Ruffiu
Carpier
Jules L'hôte
Un enfant.
Ganet (MUe)
Deux malades (D"
Tueffard et Boucher)
Briimeaux
LOCALITES
Couvent de l'Aima
(Alger)
Vovray(Hte-Saône)
Amorates (Basses-
Pyrénées)
Dauljeuf ( Seine-
Inférieure)
Hôpital Beaujon..
Vouiaucourt
(Doubs)
Sarthe
Hôtel-Dieu de Mar-
seille
Hôtel-Dieu de Pa-
ris .. .
Vervins
Morte en chemin
de fer
Chavellois (Aisne)
DATE
DE LA MORT
Janvier 1886
Janvier 1886
Janvier 21 ■
Août
Février
Juin
Août
Juin
Août
Septembre ■
Août
Décembre —
— 390 —
Nous avons donc pour l'année 188G :
22 décès après l'application de la méthode Pas-
teur.
17 décès sans l'application de la méthode Pas-
teur,
Total 39 DÉCÈS. La moyenne annuelle des
décès pour la France étant de 30, d'après Tar-
dieu et Brouardel, il y a donc pendant l'an-
née 188Ô où la méthode a été appliquée, neuf
décès de plus que les années précédentes !
Voilà, Messieurs les Pastoriens, ce qu'a pro-
duit votre méthode !
Tout ce que nous venons de dire se rapporte à
la France où nous sommes à même de contrô-
ler les faits. Voyons maintenant ce que la triste
méthode des inoculations a produit sur les étran-
gers à qui vous faisiez subir les fatigues d'un
long voyage et dont plusieurs succombaient en
route quelques jours après avoir quitté votre la-
boratoire.
NOMS DES PERSONNES ÉTRANGÈRES MORTES DE LA
RAGE APRÈS LE TRAITEMENT.
Observations résumées.
IvANow^ (femme russe, 60 ans). Mordue le
21 mars, au front et aux mains, (blessures mul-
tiples sur les mains), par unchieil, 21 plaies eau-
— 400 —
térisées par un agent chimique (?), on ne sait à
quel moment. Mise en traitement le 5 avril,
c'est-à-dire 15 jours après. Traitée du 5 avril au
20 avril. Premier symptômes de rage le 20 avril.
Morte le 22 avril.
Gagou (Roumain. 40 ans). Mordu le 11 mai au
sourcil gauche, par un chien, cautérisé 12 heu-
res et demie après à l'acide phénique. Mis en
traitement le 25 mai, c'est-à-dire 14 jours après
la morsure. Traité du 25 mai au4juin. Premiers
symptômes rabiques le 4 juin au soir. Mort le 6
juin. 5 îiutres personnes mordues enmême temps
et traitées sont en bonne santé.
ZoroFF (Russe, 8 ans). Mordu par un cbien le
16 mai à la lèvre supérieure (2 dents ont été en-
levées), et à la joue droite. Cautérisé 2 heures
après au thermo-cautère. Mis en traitement le
25 mai, c'est-à-dire 10 jours après la morsure.
Traité du 25 mai au 1"" juin. Pris de la rage le
21 juin, 20 jours après la fin du traitement. (TA-
BLEAU B,)
Mjasnikoff (Russe, 8 ans). Mordu en même
temps que le précédent à la joue droite et au
bras droit, cautérisé au thermo-cautère 2 heures
après. Mis en traitement du 26 mai au 1" juin.
Pris de rage le 25 juin, 25 jours après le traite-
ment. (En même temps que ces deux enfanls,
— 401 —
5 autres enfants mordus par le même chien ont
été traités et vont bien.)
GiinzA (Roumain, 7 ans). Mordu par un chien
le 10 juin au bras droit de chaque côté du biceps,
12 morsures profondes, et à l'épaule droite une
morsure plus légère, cautérisé au fer rouge 6
heures après. Mis en traitement le 25 juin, 15
jours après la morsure. Traité du 25 juin au 4
juillet. Pris de rage le 16 juillet, 12 jours après
le traitement. IMort le 19 juillet.
Leendet (Hollandais, 13 ans). Mordu sur le
dos de la main droite par un chat, cautérisé par
un médecin, on ne peut a\^oir d'autres détails.
Mis en traitement du 25 juin au 29 juin. Pris de
rage le 5 août, 40 jours après la fm du traite-
ment.
NiKiFOROFF (Russe, 17 ans). Mordu le 5 juin
au pouce droit par un chien. Mis en traitement
le 5 juillet, un mois après la morsure, traité du
5 au 12 juillet. Pris de rage le 2 août, 21 jours
après le traitement. Mort le 5 août.
GuARDiA RiBÈs (Espagnol de Reuss, 14 ans)-
Mordu par un chien le 3 juillet à la main droite,
2 morsures. Les plaies sont sucées, lavées avec
du rhum. Mis en traitement le 9 juillet, traité
du 9 au 17 juillet". Pris de rage le 15 août, 17
jours après le traitement.
PiTA (Espagnole, 70 ans.) Mordue le 15 juillet.
23.
— 402 —
par un chien, à la main gauche, 2 morsures.
Aucun traitement. Mise en traitement ie 8 juil-
let, traitée du 28 juillet au 4;aoùt. Prise de rage
le 12 août, Sjours après la fm du traitement.
Requejo (Espagnol, 30 ans). Mordu le 17 juil-
let par un chien à la main gauche et avant-bras
droit, plusieurs fortes morsures. Mis en traite-
ment le 20 août, 34 jours après la morsure, trai-
té du 20 au 28 août. Pris de rage le 4 septem-
bre, 7 jours après la fin du traitement.
Bergui (Italien, 10 ans). Mordu le 23juin
main droite et main gauche, par un chien, cau-
térisé une heure après au fer rouge, dans une
morsure, et au nitrate d'argent pour les autres,
mis en traitement le 28 juin jusqu'au 8 juillet.
Pris de rage le 12 septembre, 66 jours après la
morsure.
CoLLiNGE (Anglais, 9 ans). Mordu le 8 juillet
par un chien à la lèvre supérieure et à la lèvre
inférieure, sur la muqueuse, 2 fortes morsures.
Cautérisé au nitrate d'argent 3 heures après.
Traité du 17 juillet au 28 juillet. Pris de la rage
le 16 août, 21 jours après le traitement.
Smith dit Goffi (Anglais, 36 ans). Mordu ie
4 septembre par un chat, à la main gauche, 5
morsures. Plaie lavée, puis cautérisée au phénol
10 minutes après, les blessures ont été excisées
plusieurs heures après. Traité du 5 septembre
-- 403 —
au 30 septembre avec des poses dans le traite-
ment. Pris de rage.
Nous ne reproduisons pas les chiffres qui nous
sont transmis sur la mortalité de la rage par le
traitement Pasteur pratiqué à l'étranger et no-
tamment en Russie. Nous n'avons pas pour cela
des données assez précises et nous n'avons ac-
cepté dans ce chapitre que les chiffres précis et
indiscutables qui nous ont été transmis par le
laboratoire lui-même.
RÉSUMÉ
Le nombre des individus ayant succombé
après le traitement Pasteur, se décompose donc
ainsi :
FRANCE.
En 1885 2J
En 1886 (Voyez le tableau). . 22 [Total. . . 28
En 1887 (Janvier) 4 )
ÉTRANGER.
Chiffre accepté au laboratoire 15
Total 43
Sur ce nombre, 11 ont succombé à la rage pa-
ralytique fVoyez obs. détaillées plus haut).
Ce chiffre de 43 ne comprend pas les nombreux
individus qui ont succombé à la suite du traite-
ment appliqué à l'étranger, en présentant éga-
— 404 - •
lement les symptômes de la rage paralytique
(Varsovie, Odessa, etc.)
CONCLUSIONS.
Nous ne pouvons que reproduire les terribles
conclusions formulées par M. Peter devant l'A-
cadémie de médecine (séance du ISjanvier 1886).
< Eh bien ! la mortalité par la rage de plus en
plus fréquente dans ces deux derniers mois, la
forme singulièredesaccidents auxquels succom-
bent les inoculés m'ont conduit à signaler ces
faits sur lesquels je crois devoir appeler l'atten-
tion.
Ainsi la médication antirabique subit un dou-
ble échec : celui de l'expérience sur l'homme et
celui de l'expérimentation sur les animaux.
Il ne reste plus qu'à conclure.
1° La mortalité annuelle par la rage en France
a-t-elle diminuée en 1883 par la médication an-
tirabique primitive ? — Non.
2" Cette mortalité tend-elle à augmenter avec
la médication rabique intensive ? — Oui.
Où donc est le bienfait ? »
APPENDICE
A COTÉ DU SAVANT, L'HOMME DÉSINTÉRESSE.
Nous avons déjà exposé dans la Préface quelques-
unes des considérations qui nous obligent, après avoir
consacré un volume au savant, à consacrer quelques
lignes à l'homme.
Avant cette malheureuse affaire de la rage qui a
été pour notre chimiste le signal d'une chute terri-
ble, le point de départ d'une véritable catastrophe,
les découvertes de M. Pasteur, les services que
M. Pasteur avait rendus à l'agriculture et à l'indus-
trie, le désintéressement de M, Pasteur étaient pas-
sés à l'état de dogme indiscutable.
Seuls quelques rares esprits d'élite avaient pu se
garer de l'engouement et gémissaient en silence.
La lettre suivante, écrite par M. de Saint- Valher,
sénateur et ambassadeur de la République Française
en Allemagne, adressée à M. Ghavée-Leroy, montre
quel était alors l'état des esprits indépendants :
le' juillet 1883.
... Je crois que vos observations sont dictées par
votre sage et exacte connaissance des choses et des
faits, par votre expérience et qu'elles ont l'autorité -
23*
— 406 —
du bon sens et de la pratique ; mais les assemblées
et les gouvernements subissent, comme les popula-
tions, des courants d'engouement, et c'est le cas en
ce moment pour ce qui concerne M. Pasteur et ses
découvertes; on se briserait, on s'exposerait à des re-
proches violents, à des huées, si l'on voulait s'oppo-
ser, au Sénat comme à la Chambre, au projet de loi
accordant une pension de 25,000 francs; ses services
à l'agriculture, ses découvertes, sont à l'état de dog-
me indiscutable pour la plupart des membres des
assemblées, et s'il y a quelques membres qui ne par-
tagent pas l'enthousiasme admiratif général, ils ne
peuvent que s'abstenir et garder le silence.
Par le triste temps où nous vivons, avec les faux
savants à bruyante trompette, de l'espècede Pasteur,
ce ne sont ni les sages, ni les modérés, ni les hom-
mes pratiques que l'on écoute. La faveur est à ceux
qui cherchent les sensations et font la plus bruyante
parade. Tous histrions de foire, s'embrassant pour
se décerner mutuellement, dans les journaux amis
et complices, l'encens de la célébrité. »
Cette lettre, empreinte d'une profonde tristesse,
nous représente quelle était l'opinion des hommes
sensés sur M. Pasteur dont les réclames intéressées
fatiguaient depuis longtemps les oreilles.
Mais la question de la rage est venue rappeler l'at-
tention sur le merveilleux savant. C'est alors que la
réclame organisée par M. Vallery-Radot ne connut
— 407 —
plus de bornes et qu'on vit de nouveau apparaître
les clichés :
M. Pasteur le savait désintéressé.
M. Pasteur qid a rendu la. joie et la fortune aux
départements du midi
M. Pasteur, etc., etc.
On sait le reste.
Eh bien ! il nous a paru bon, utile et sain de pla-
cer sous les yeux de nos lecteurs quelques documents
de nature à les éclairer sur le désintéressement de
M. Pasteur et sur la valeur réelle de ses prétendues
découvertes. Nous aurions voulu nous borner à trai-
ter dans cet ouvrage la seule question scientitîque,
mais l'attitude imprudente prise par M. Pasteur et
ses acolytes dès le début de cette campagne où il
s'est posé en maître indiscutable et infaillible, nous
a obligé à nous livrer à une étude approfondie de la
personne et de l'œuvre tout entière de ce nouveau
génie.
Les documents que nous publions et qui seront
certainement utilisés par ceux qui écriront plus tard
riiistoire scientifique du XIX« siècle sont de la plus
scrupuleuse authenticité. Nous les synthétiserons
autant que possible.
i I. — M. PASTEUR SAVANT DÉSINTÉRESSÉ.
L'étude attentive des travaux publiés par AL Pas-
teur pendant ces vingt dernières années nous mon-
tre que ces travaux ont toujours eu pour but la re-
— 408 —
cherche de la fortune ou d'un procédé capable de la
conquérir rapidement. A peine M. Pasteur croyait-il
avoir fait une découverte qu'il s'empressait d'en
monopoliser le profit par un brevet.
Nous ne critiquons pas cette manière d'agir qui est
celle d'un homme qui cherche à s'enrichir, mais nous
faisons simplement remarquer qu'elle est absolu-
ment en contraste avec les habitudes habituellement
en honneur dans les sciences médicales. Tout méde-
cin qui fait une découverte utile à l'humanité s'em-
presse de la rendre publique et non de la monopo-
liser à son profit.
Avant d'exposer les brevets pris par M. Pasteur
pour se réserver le profit de découvertes qui, hélas !
n'avaient aucune importance, nous allons examiner
dans quelles circonstances M. Pasteur s'est fait al-
louer une pension de 25.000 fr. de rente réversible à
sa veuve et à ses enfants.
II. — LA PENSION DE 25,000 FR.
Il n'est pas sans intérêt de se rendre compte de
la situation de fortune de M. Pasteur au moment où
il sollicitait cette pension de 25,000 fr.
Il ne nous appartient pas, cela va sans dire, de
parler de la fortune de M. Pasteur, nous n'avons à
nous occuper que des sommes qui lui étaient four-
nies annuellement par le Trésor et dont le con-
trôle appartient à tout citoyen.
Les revenus de M. Pasteur consistaient en 1883 en :
— 409 —
Pension nationale 12.000
Subvention annuelle pour son la-
boratoire 40.000
Traitement de l'Ecole normale, lo-
gement, chauffage, éclairage, etc. 20.000
Traitement de l'Institut, jetons de
présence au comité d'iiygiène, à
l'Académie, etc 3.000
Produit de la vente des tubes à vac-
. cin (d'après l'estimation de M.
Pasteur lui-même) 100.000
Total... 175.500
Ainsi, voilà un homme qui, outre son revenu per-
sonnel, se fait un traitement de 175.000 fr. Quelle que
soit la valeur du savant, on conviendra que la pré-
bende était bonne et que beaucoup s'en seraient con-
tentés.
Mais M. Pasteur veut encore de l'argent. Pensant
que le revenu provenant de la vente des tubes à vac-
cin n'aurait qu'un temps il veut s'assurer un revenu
plus sûr pour lui et les siens.
Voici comment il s'y prit.
M. Pasteur savait que M. Paul Bert, membre de la
commission du budget, était tout-puissant auprès du
Gouvernement. Il savait aussi que M. Paul Bert dési-
rait vivement entrer à l'Institut.
Or l'Institut, corps bien pensant, ne voulait à au-
cun prix accepter dans son sein un homme aussi
compromis que Paul Bert, qui affichait partout ses
opinions révolutionnaires et athées, qui avait dit en
— 410 —
pleine assemblée que la France était envahie par le
phylloxéra clérical.
Voici ce qui advint. Je tiens les faits comme abso-
lument exacts ; ils m'ont été aftirmés par Paul Bert
lai-même.
Pasteur, qui était tout-puissantà l'Institut, s'en fut
trouver Paul Bert et lui dit : « L'Académie des
sciences doit procéder prochainement à une élection ;
c'est Davaine qui est désigné, mais j'ai assez d'in-
fluence sur ce corps savant, pour vous faire nommer.
Je le ferai à une condition, c'est que vous fassiez ac-
cepter par la commission du budget ma commission
de 25,000 fr, »
4 Marché conclu », répond Paul Bert. Et, en effet,
Paul Bert entra à l'Institut à une voix de. majorité,
contre ce pauvre Davaine qui en mourut de chagrin.
Ceux qui savent que Davaine a été le maître et le
précurseur de Pasteur, qu'il a été son ami et son
bienfaiteur, seront surpris de cet acte d'ingratitude.
Mais Paul Bert a tenu sa promesse et la pension de
25,000 fr. a été votée. Le vote a été escamoté, afin d'é-
viter la divulgation à la tribune de certains docu-
ments que M. Michou avait préparés pour démon-
trer que M. Pasteur tirait un immense profit de la
vente de ses tubes à charbon. Ces documents, qui
prouvent également le désintéressement de M. Pas-
teur, n'ayant pas été portés à la tribune, nous devons
les publier ici. Ils nous ont été remis par M. le D""
Michou, député de l'Aube.
— 411 —
III. — LA VENTE DES TUBES A CHARBON.
Aussitôt qu'il ei!it fait ses retentissantes communi-
cations à l'Académie des sciences sur la prétendue
valeur de ses vaccins charbonneux, M. Pasteuri son-
gea à en tirer le meilleur parti possible.
Il organisa donc immédiatement à Paris, 22, rue
Vauquelin, une sorte d'usine, de dépôt pour la vente
de ses vaccins. Afin d'éviter les critiques que n'eût
pas manqué de soulever le côté marchand de cette
affaire, il choisit comme prête-nom un certain M.
Boutroux. »
Ce M. Boutroux, qui est le gérant du célèbre chi-
miste, est le beau-frère du fils de M. Pasteur, aujour-
d'hui attaché d'ambassade à Rome.
Les affaires marchèrent à souhait. Pendant un
temps il exista chez les vétérinaires un véritable en-
gouement pour les vaccins charbonneux. Les maires
des communes rurales étaient accablés de prospec-
tus, circulaires, etc., vantant les avantages de la
nouvelle vaccine, le bon marché des tubes, etc. D'a-
près un compte estimatif établi par M. Pasteur lui-
même, Iors([u'il a cherché à vendre ses brevets, le
produit (les tubes à vaccin était le suivant :
On vend en moyenne 5,000 doubles doses par joUr
à 10 centimes, soit francs 500 par jour ou francs
180,000 par an. Défalquez de cette somme appointe-
ments à ses trois collaborateurs. . . . francs 29,000
à M. Boutroux — 5.000
dépenses réelles pour double dose, 1 centime, soit
— 412 •
par 5,000 doubles doses 50 francs par jour (ce qui
est exagéré) ou 18,000 par au. Total des dépen-
ses 52,000, bénéfice net 128.000 par an, car son appar-
tement et ses laboratoires sont fournis gratis par la
ville et le gouvernement.
Mais il était facile de prévoir que l'engouement des
vétérinaires pour le vaccin charbonneux ne pouvait
durer éternellement. M. Pasteur était trop habile
pour ne pas se préoccuper de Favenir.
Aussi chercha-t-il Tcccasion de vendre sa décou-
verte. Un agent d'affaires, nommé Kuntz, entra aussi-
tôt en campagne et s'aboucha avec des banquiers.
Les premiers pourparlers euren t lieu avec la mai-
son Cordier, toujours par l'intermédiaire de Kuntz.
Lors du vote de la pension de 25,000 francs à la Cham-
bre, ]\1. Michou, député de l'Aube, demanda, sans
pouvoir l'obtenir, rajournement de la discussion,
alin d'examiner diverses lettres dans lesquelles M.
Pasteur demandait un million pour livrer le secret
de son vaccin charbonneux. M. ù\licliou montra néan-
moins, séance tenante, ces lettres à M. Paul Bert qui
répondit : « Je connais ça, je vais l'expUquer. Des
propositions ont été faites à M. Pasteur qui les a
noblement refusées, disant qu'ayant une pension de
l'Etat, ses travaux ajipartiennent à l'Etat. »
Or, ce que le futur vice-roi du Tonkin avançait
ainsi était précisément tout le contraire de la vérité,
comme on va le voir. Ces lettres, qui n'ont jamais
été publiées que nous sachions, nous allons les re-
produire textuellement, telles qu'elles nous ont été
remises par l'honorable député de l'Aube. Il est bon
— 418 -
de faire remarquer cju'elles étaient adressées à l'a-
gent d'affaires allemand Kuntz.
La première, datée de Paris, 20 mai 1882, est ainsi
conçue :
« Monsieur, sauf revision par un homme d'atFaires,
je suis disposé à accepter votre projet de traité aux
clauses suivantes : Somme fixe à payer le jour du
contrat: un million de Jrancs. Part dans les bénéfi-
ces nets. 30 0/0. Le maximum des demandes de vac-
cin sera de 20,000 tètes d'animaux pendant 10 mois
de l'année: de 10,000 pendant les deux autres mois.
C'est un maximum de 6,600,000 têtes par an, qui, au
prix actuel, (10 c. par tête de mouton ; 20 c. par bœuf
ou vache) pour la France, représenterait un bénéfice
net déplus de 600,000 fr. — Signé : L. Pasteur.
— « Un des savants russes qui m'ont été adressés
par le Ministre de la Maison de l'Empereur, m'a
appris ce matin qu'un propriétaire de 800,000 têtes
de moutons avait perdu 100,000 têtes en 1878. »
Signé : Pasteur.
Voici une autre lettre, datée du 16 juin :
« Je reçois votre lettre au moment où je suis obligé
de sortir, sans avoir le temps de vous attendre. D'ail-
leurs, je vous prie de considérer qu'il me serait im-
possible de donner une signature avant d'être en
présence d'une société constituée. D'autre part, ainsi
que je vous l'ai dit, il faut que je consulte un homme
d'affaires avant de rien conclure par ma signature
24.
— 414 —
"donnée. Je suis trop ignorant des affaires de négoce
et de commerce pour m'avenlurer livré à mes pro-
pres inspirations. Ce qui importe, c'est que nous
soyons d'accord sur les bases ; mais, pour le reste, je
dois m'en rapporter à une personne compétente.
Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de mes
sentiments très distingués. Signé'. Pastexir.
Je serai chez moi ce soir à 5 h.
Enfin, voici une autre lettre adressée au même
agent, et datée du 10 octobre suivant ; elle est plus
laconique, mais non moins significative.
ce Monsieur, après avoir pris l'avis de mon cher et
vénéré maître (il s'agit de J.-B. Dumas), j'accepte
avec reconnaissance pour ma femme, mon fils et ma
fille. Veuillez agréer. Monsieur l'assurance de mes
sentiments très distingués. Signé : Pasteur. »
Nous reproduisons maintenant le projet de traité
avec la maison Cordier, rédigé par les soins de M.
Josseau, ancien député, demeurant 7, rue de Sures-
nes, ami et avocat de M, Pasteur. Cet avant-projet a
été signé par MM. Cordier et Pasteur, devant MM.
Josseau et Seman, le 27 octobre 1882.
Article premier, — Une somme de 1 million de
francs sera payée à M. Pasteur en espèces ou en
billets delà Banque de France, le jour même delà
signature de l'acte de la Société.
— 415 —
ARTICLE DEUXIÈME, — UiiG remisG de 5 % lui sera
allouée et en cas de décès sera allouée à sa veuve
ou à ses descendants pendant la durée de la Société,
ARTICLE TROISIÈME.— M. Pastcur 86 réscrve la four-
niture du vaccin aux vétérinaires français pour leurs
besoins locaux.
Il fait la même réserve pour les colonies françaises;
ARTICLE QUATRIÈME.— La société prendra le nom de
Société ou Compagnie générale pour l'exploitation
du vaccin Pasteur, ou toute autre dénomination à
adopter d'un commun accord.
ARTICLE CINQUIÈME. — M. Pastcur s'eugagG à four-
nir du vaccin en telle quantité qu'exigera la vente
dès que la fabrique sera construite, mais jusque-là,
jusqu'à concurrence de 10,000 doses par jour.
ARTICLE SIXIÈME. — M. PastGur s'eugagG à rester â
la tête de la fabrication pendant toute la durée de la
Société (sans aucune rémunération ni appointe-
ments), lia fait prendre le même engagement à ses
collaborateurs, choisis et formés par lui et qui seront
rémunérés de ses deniers personnels.
ARTICLE SEPTIÈME. — M. Pastcur prend en outre
l'engagement de ne jamais fabriquer ni vendre du
vaccin que pour le compte de la Société (sauf l'ex-
ception art 3.)
En conséquence, toute demande qui lui arrivera
directement sera transmise par lui à la Société et
exécutée pour le compte de la dite Société.
ARTICLE HUITIÈME. -— M. Pasteur s'engage à rédiger
— 416 —
ou corriger toutes les notices, prospectus, annonces
etc., que la Société croira devoir publier.
ARTICLE NEUTiÈME. — M. Pastcur livrera Ic vaccin à
la Société au prix de 0.05 centimes la double dose
pour les petits animaux.
0.10 centimes la double dose pour les gros ani-
maux.
ARTICLE DIXIÈME. — La Société ne pourra vendre
d'autre vaccin charbonneux que celui de M. Pasteur.
ARTICLE ONZIÈME. — La Société devra construire
une fabrique à Paris, fde préférence rue Vauquelin)
Elle ne pourra être affectée à un autre usage.
ARTiciE DOUZIÈME. — Toutc amélioratiou relative au
vaccin sera acquise de plein droit à la Société qui
aura, en outre, la préférence, à prix égal, pour tout
traité à intervenir, qui pourrait être la conséquence
de découvertes nouvelles au sujet des maladies con-
tagieuses des animaux.
ARTICLE TREIZIÈME. — Lors dc la constitution, les
présentes seront réalisées par acte sous seing privé ou
authentique aux frais de la Société.
ARTICLE QUATORZIÈME. — La sommc dc 1 million,
ci-dessus stipulée, sera payée à M. Pasteur le jour
de la signature de Lacté de Société. — Il est bien
entendu que cette somme ne devra être réduite sous
aucun prétexte, et ne devra subir aucune diminution
à raison des frais d'émission, de constitution, ho-
noraires, commissions, prélèvements, etc., etc., pour
— 417 -
lesquels M. fera tels arrangements ou telles sti-
pulations qu'il lui plaira de faire avec les capitalistes.
Ainsi il est donc établi que, contrairement aux as-
sertions de M. Paul Bert, M. Pasteur avait sol-
licité et accepté de vendre son vaccin charbonneux,
en faisant miroiter personnellement, devant les yeux
de l'acquéreur, 600,000 fr. de bénéfices annuels. Ce
n'est que par suite de difficultés survenues au der-
nier moment qu'il a dû renoncer à cette affaire, les
intéressés n'ayant pu se procurer la somme au mo-
ment voulu et la diminution de la vente des vaccins
charbonneux ayant diminué la valeur matérielle de
la célèbre découverte.
IV. — LE FILTRE CHAMBERLAND-PASTEUR .
Nous voyons chaque jour annoncer dans les jour-
naux un célèbre filtre système Pasteur.
Ce n'est point ici le lieu de discuter la valeur de ce
filtre; mais ce qui est certain, c'est que MM. Pasteur
et Chamberland ont passé un traité avec la maison
Hermaiin-Lachapelle pour l'exploitation de cet ins-
trument.
Un certain nombre d'industriels ayant également
vendu des filtres semblables et ayant déclaré qu'ils
étaient construits d'après les principes de M. Pasteur,
le pauvre savant entra dans une vive colère et écri-
— 418 —
vit à MM. Hermann-Laçhapelle la lettre suivante qui
fut habilement exploitée pour la vente du filtre Cliam-
fcerland-Pasteur :
Paris, le l^mars 1886.
Monsieur,
Par votre lettre en date du 26 février 1886, vous me
demandez si j'ai autorisé de vendre, avec mention de
mon nom sur des affiches ou prospectus, des filtres
autres que celui de M. Chamberland.
Je n'ai point donné cette autorisation et c'est tout
à fait à mon insu et contre mon gré que cette usur-
pation de mon nom a pu avoir lieu.
Pour le filtre de M. Chamberland, filtre imaginé
par moi et éprouvé dans mon laboratoire, récom-
pensé d'un des prix de l'Académie des Sciences et
dont je connais toute la valeur scientifique et hygié-
nique c'est au contraire d'une manière voulue et re-
fléchie que jai autorisé M. Chamberland à ajouter
aux mots '.Filtre Chamberland, ceux-ci: Système
Pasteur.
Recevez, Monsieur, l'assurance de ma considération
très distinguée. Signé : L. Pasteur.
V. — LA VACCINATION CHARBONNEUSE.
Nous avons vu les avantages matériels que M. Pas-
teur avait tirés de cette découverte. Nous allons
maintenant dire C[uelques mots de la découverte elle-
même et de ses résultats.
— 419 —
M. Pasteur isole la bactéridie charbonneuse, la
cultive à part, atténue sa virulence, et l'inocule aux
bêtes à cornes comme préservatif du charbon.
Il a institué, à cet effet, une fabrique de vaccin, rue
Vauquelin, 22, sous la direction de M. F. Boutroux.
Voici un extrait du prix courant imprimé :
« Le vaccin charbonneux est expédié franco, par
tubes, aux prix suivants :
• Le tube : l^vacciu 2° vaccin Total
Pour 24 bœufs, ou 50 moutons. 2,50 2,50 5 fr.
50 -™ 100 — 5 5 10
100 — 200 — 10 10 20
« Il n'est pas envoyé de tubes pour un nombre d'a-
nimaux inférieur à 25 bœufs ou 50 moutons, »
La statistique de la mortalité à la suite du traite-
ment par le vaccin charbonneux est concluante.
On ne peut citer que quelques laits parmi des mil-
liers.
Dans une ferme des environs de Laon, on vaccina
jusqu'à trois fois, à 15 jours d'intervalle, un troupeau
atteint du charbon, sans pouvoir enrayer la maladie.
Dans une ferme voisine, on vaccina les chevaux
qui n'étaient nullement malades, et trois périrent
des suites de l'opération ; M. Magnier, le proprié-
taire, réclama le prix de ses chevaux, qui lui fut
remboursé.
Aux environs de Meaux, un vétérinaire ayant tué
quatre vaches avec le fameux vaccin, M. Pasteur paya
ces animaux pour couper court aux réclamations
des intéressés.
— 420 —
Autres exemples, cités par M. Paul Boullier, vété-
rinaire à Gourville (Eure-et-Loir) :
« En 1882, M. Franchamp, cultivateur au Trem-
l)lay, canton 'de Châteauneuf (Eure-et-Loir), perdit
pour cinq mille francs de chevaux, vaches et mou-
tons, m orts des suites de la vaccination charbon-
neuse,
«En 1883, M, Fournier, vétérinaire à Angerville
(Loiret), vaccine un troupeau de 400 moutons; or,
quelques jours après l'application du premier vaccin,
90 moutons succombaient du sang de rate (charbon^
« Enfin, en 1884, deux de mes clients et amis, M.
Henri Thirouin, maire de Saint-Germain-le-Gaillard,
et M. Marcel Lebrun, cultivateur dans cette même
commune, firent vacciner leurs moutons par un de
mes collègues de Chartres, M.'ErnestBoutet; ils per-
dirent à eux deux autant de moutons qu'il en est
mort dans les trente communes où j'exerce la mé-
decine vétérinaire et où l'on ne vaccine pas, et qua-
rante-cinq fois plus que n'en ont perdu cinquante
autres cultivateurs, qui possèdent des moutons à
S ain t-Ger main-le-Gaillard .
« C'est par millions que se chiffrent les pertes
causées en France par la vaccination charbon-
neuse ! »
La commission sanitaire du gouvernement hon-
grois terminait ainsi, en 1881, son rapport sur l'ino-
culation du bétail préconisée par M. Pasteur :
« Les maladies les plus graves, pneumonie, fièvres
catarrhales, etc., ont frappé exclusivement les ani-
— 421 —
maux soumis à l'inoculation. Il suit delà que l'inocu-
lation Pasteur tend à accélérer l'action de certaines
maladies latentes et à hâter l'issue mortelle d'autres
affections graves. »
Le gouvernement hongrois a aussitôt interdit ces
inoculations.
Mais la meilleure démonstration de l'inutilité de
la vaccination charbonneuse est qu'elle cesse d'être
aujourd'hui pratiquée, la plupart des vétérinaires
ayant reconnu son inefficacité.
VI, — LE CHOLÉRA DBS POULES.
D'après M. Pasteur, ce choléra est produit par un
microbe, auquel on peut opposer un vaccin atténué.
Malheureusement, ces inoculations produisent,
comme toujours, les effets les plus bizarres, et met-
tent la plupart du temps en défaut les prophéties
qu'aime à faire M. Pasteur. Mais, sur mille expérien-
ces, il su^t qu'une seule réussisse, pour qu'il ait
raison (sic).
Pratiquement, les inoculations faites aux volailles
restent inutiles, ou deviennent nuisibles.
Le mieux est de ne pas les pratiquer et d'attendre
qu'on ait trouvé le véritable remède à ce mal assez
désastreux.
Tout récemment une épidémie de choléra sévissait
sur les basses-cours de Nancy ; après s'être localisée
dans le quartier de l'avenue delà Garenne, elle s'est
24-
— 422 —
étendue sur différents points de la ville. Un habitant
a perdu 120 poules ; un propriétaire de la même ave-
nue en a perdu 60, Enfin, un troisième, demeurant
rue du faubourg Sainte-Catherine, a perdu en un
jour 13 poules atteintes de la même maladie.
Quelques inoculations pastoriennes, pratiquées sui-
vant toutes les règles de l'art, n'ont pas enrayé la
mortaUté (1)
VII. — LES TRAVAUX SUR LE ROUGET DU PORC. —
TOUJOURS LE MICROBE ET LE VACCIN.
Rien de plus instructif à cet égard que le Rapport
de M. le baron de Serres de Monteil sur l'immu-
nité des porcs ayant reçu le vaccin contre la mala-
die du rouget.
Voici ce document, lu devant la Société d'Agricul-
ture de Vaucluse, et inséré dans son Bulletin (jan-
vier 1885).
« Messieurs, le vaccin du rouget est dû, vous le sa-
vez, aux savantes recherches de l'illustre chimiste M-.
Pasteur, qui s'est proposé de communiquer aux porcs
une maladie anodine pour les préserver, pendant
plusieurs années, du mal rouge qui décime les por-
cheries presque tous les étés, au grand préjudice des
éleveurs de plusieurs contrées.
(1) Ces détails sont empruntés à un très intéressant tra-
vail de M. Paul Combes, intitulé: Les Douze travaux de
Pasteur, Paris, Librairie universelle, 41, rue de Seine.
— 423 —
« Le porc une fois vacciné, nous assure-t-on, ac-
quiert l'immunité et peut impunément être rais en
contact avec ses congénères morts ou mourants du
rouget, manger même de leur cliair sans prendre la
maladie.
« C'est pour bien constater cette précieuse pro-
priété du vaccin que notre zélé collègue, M. Maucuer,
médecin-vétérinaire à Bollène, nous invita, dans le
courant de novembre dernier (1884,) à nommer une
commission qui pût constater la vérité de ce fait,
après avoir assisté à l'inoculation du microbe du
rouget à des porcs déjà vaccinés.
« La commission fut nommée et ses membres, MM.
de Balincourt, Soumille, Laugier et moi, nous nous
rendîmes le 29 novembre à Mondragon, où rendez-
vous nous avait été donné dans une des fermes de
M. Coste. M. Maucuernous y attendait ; il avait reçu
de M. Pasteur du virus virulent qui, inoculé à un
porc non vacciné, devait lui communiquer la maladie
du mal rouge, dont il mourrait dans les 48 heures,
tandis quïl ne produirait aucun effet sur un porc
déjà vacciné.
« Cette épreuve réussissant, elle devait être très
concluante en faveur du vaccin préventif,
« Sur six porcs âgés de six mois, de race com-
mune, à soie longue, ayant été déjà vaccinés, le U
et le 16 juin, M. Maucuer nous en fit choisir trois,
auxquels il inocula devant nous, M. Coste et ses fer-
miers, le virus virulent, contenu dans une petite
bouteille que lui avait envoyée M. Pasteur. — Cette
opération terminée, trois autres porcs de la même
— 424 —
race, ceux-ci non vaccinés et âgés de 40 jours seule-
ment, furent également inoculés avec le même virus
qui devait, en 24 heures environ, produire sur eux
un rouget suivi de mort.
« Ici, Messieurs, j"ai le regret de vous dire que
nous avons tous été déçus clans notre attente. Tous
les sujets, vaccinés et non vaccinés, ont également
résisté à l'inoculation du microbe et se portent par-
faitement.
8 Hâtons-nous de croire que le vaccin expédié par
M. Pasteur devait être éveuté ou détérioré par toute
autre cause. Ce fut donc partie à refaire.
« A un second appel de M. Maucuer, le 29 décem-
bre, votre commission s'est de nouveau rendue à
Mondragon pour procéder à une nouvelle expérience
d'inoculation. La même opération, avec du virus
nouveau,/) réparé exprès et envoyé encore par M.
Pasteur, a été recommencée sous nos yeux, d'abord
aux trois porcs vaccinés, les mêmes qui avaient été
inoculés le 20 novembre devant la commission ; en-
suite à trois nouveaux sujets âgés de deux mois en-
viron, l'un blanc et noir, et les autres noirs, tous
trois de la race commune du pays.
« Une lettre que nous avons reçue hier (5 janvier
1882) de M. Maucuer, nous dit que cette dernière
opération n'a pas mieux réussi que la première, he?,
porcs inoculés se sont montrés réfrac taires au mi-
crobe et se portent à merveille.
« M. Maucuer attribue cet échec à l'affaiblissement
du virus, causé par un trop long séjour dans le vase
qui le contenait. Cette opinion peut être admise, puis-
— 425 —
qu'il est notoire que dans les essais de vaccination
qui furent laits kHoWhBO, parMM. Pasteur et Thuil-
lier, en 1882, nombre de porcs moururent du rou-
get communiqué par la simple inoculation du vac-
cin (préventif) , Donc le virus virulent employé à
Mondragon, par M. Maucuer, aurait dû au moins
jeter une perturbation dans la santé des trois porcs
non vaccinés. S'il n'a produit aucun effet, on peut en
conclure qu'il était certainement altéré ou mal pré-
paré.
« Toutefois, votre commission, Messieurs, n'étant
pas suffisamment éclairée sur l'immunité des porcs
vaccinés, s'en tient à conseiller la prudence aux
éleveurs. — Le président de la commission, baron
DE Serres de Monteil. »
On ne saurait être, en effet, trop prudent dans le
maniement de virus qui tuent lorsqu'ils sont ^réyen-
tifs et deviennent inoffensifs lorsqu'ils devraient
être virulents.
VIII.'— LES TRAVAUX SUR LES VERS A SOIE.
Le cliché sans contredit le plus répandu est le sui-
vant : M. Pasteur a rendu la fortune aux dépar-
tements du midi en leur indiquant le moyen de gué-
rir les maladies des vers à soie.
Or c'est là une des assertions les plus fausses qui
aient jamais été produites.
Malgré M. Pasteur les départements du midi sont
ruinés et n'ont plus de vers à soie. Voilà le fait.
— 4-26 —
Un des sériciculteurs les plus expérimentés, M. de
]\Iasquard, de Nîmes, a depuis longtemps démontré
c[ue le grainage des vers, à soie proposé par M. Pas-
teur n'a aucune influence sur cette industrie.
Le grainage des vers au microscope vulgarisé de-
puis longtemps par d'Arbabitier Ozimo, Cantoni,
Joly, de Plagniol,Cornalia, qui avaient eu la bonne
foi d'en reconnaître plus ou moins l'impuissance ;
repjris par M. Pasteur, à grands renforts de ré-
clames, a achevé la ruine de la sériciculture.
En effet, la production française qui était autrefois
de 30 millions de kilogrammes de cocons, s'était
abaissée à 17 ou 18 millions vers 1865, époque où l'il-
lustre chimiste qui n'y entendait rien fut envoyé
pour guérir les vers à soie malades. Naturellement,
sous son influence, comme le dit le savant séricico-
logiste docteur Luppi, de Lyon, l'art séricicole fut
bouleversé, anéanti et la production s'abaissa peu à
peu à 3 ou 4 millions de kilog. de cocons.
Ces résultats déplorables que les statistiques offi-
cielles et officieuses ne purent parvenir à cacher en-
tièrement, n'empêchèrent pas ce bon Jules Simon,
ministre de l'instruction publique, de s'écrier devant
les Sociétés savantes réunies àla Sorbonne : « M.
« Pasteur a fait gagner des millions aux agriculteurs ;
5) nos vers à soie étaient malades ; grâce à lui, leur
» santé est aujourd'hui si florissante que la Chine et
» le Japon viennent se pourvoir de graines en Fran-
» ce ».
Ce fut grâce à cette monstrueuse erreur (système
Pasteur) que P. Bert obtint pour le prétendu sauveur
— 427 —
de vers à soie une première récompense nationale
de 12 mille francs de rente.
D'après M. Pasteur, la maladie était produite par
un microbe que le microscope permettait de dé-
celer.
En choisissant, par un examen microscopique at-
tentif, les graines saines, c'est-à-dire ne présentant
pas de corpuscules, on devait obtenir des vers sains
et des récoltes superbes.
M. Pasteur concluait : « Je suis maître de la mala-
die, je puis la donner et la prévenir quand je veux. »
(Rapport au Ministre.)
Ces affirmations créèrent l'industrie des graines
microscopisées système Pasteur. Tous ceux qui en
vendirent, à haut prix, firent fortune. Tous ceux qui
en usèrent, continuèrent à voir leurs vers devenir
malades, et leurs récoltes péricliter.
Au début de la maladie (vers 1850), la France pro-
duisait annuellement environ 30,000,000 de kilogram-
mes de cocons. En 1866-67, la production s'était abais-
sée à 15,000,000 de kilogrammes. « Depuis lors, dit
M. deMasquard, sous l'influence du remède préventif ,
valant mieux à beaucoup d'égards qu'un remède
crtraîft/ (Pasteur, lettre au Ministre, du 29 décembre
1873), la production continuant sa marche descen-
dante, est arrivée à 8,000,000 de kilogrammes en
1873. » (E. de Masquard, Le Congrès séricicole inter-
national de Montpellier et les doctrines de ses prin-
cipaux: membres^ librairie agricole, 1875).
, Depuis lors, dit M. Combe, à qui nous emprun-
— 428 —
tons plusieurs documents importants (1), les récoltes
ont diminué constamment et n'ont plus donné que l
à 2,000,000 de kilogrammes de cocons dans ces der-
nières années.
Voilà commentM.Fasteur a sauvé la sériciculture !
La réputation qu'il conserve encore à cet égard,
auprès des ignorants et des savants à vue courte, lui a
été faite 1° par lui-même, à coups d'affirmations
inexactes; 2° par les marchands de graines microscopi-
sées, système Pasteur, qui ont réalisé de gros bénéfi-
ces aux dépens des éleveurs ; 3» par la complicité des
académies et des pouvoirs publics, qui, sans examen,
répondent aux plaintes des sériciculteurs : « Mais la
sériciculture est sauvée !... Employez donc le systè-
me Pasteur ! » Mais, tout le monde n'est pas disposé
employer un système qui consiste à s'enrichir en
ruinant les autres.
IX. — LES TBAVATJX SUR LA BIÈRE
On se plaît à répéter que c'est grâce à M. Pasteur
qu'on peut aujourd'hui fabriquer, conserver et boire
de la bonne bière et que l'industrie française lui est
redevable de ce chet d'une grande source de ri-
chesse.
Or il est certain :
1° Que le procédé préconisé par M. Pasteur est ab-
(1) Les douze Travaux de M. Pasteur, par M. Paul
Combes, Paris, 1886, 41, rue de Seine.
— 429 •—
solument abandonné et n'est jamais entré dans la
pratique.
2° Que la fabrication de la bière en France est à
peu près nulle et que celle-ci est à peu près exclusive-
ment importée d'Allemagne.
S-' Que M. Pasteur avait pris des brevets sur les
procédés et fondé en 1874 une société anonyme pour
les exploiter.
Il suffit de consulter le Bottin de l'année 1874.
On y lit, page 693, col. 2: a Société des bières inal-
térables, procédé Pasteur, siège social, 31, BdHauss-
mann. Président du conseil d'administration, M. L.
Pasteur , commandeur de la Légion d'honneur,
membre de l'Institut, etc.
Le procédé Pasteur étant inapplicable, la Société
n'a pas tardé à tomber en déconfiture.
X. — LES TRAVAUX SUR LE VIN, SES MALADIES, ETC.,
DÉDIÉS A l'empereur NAPOLÉON III.
« Sire, si, comme je l'espère, le temps consacre
l'exactitude de mon travail, etc.. »
Dans ce travail, M. Pasteur proposait, comme Ap-
pert, de chauffer les vins, pour les préserver infailli-
blement de toute altération.
L'espérance a été trompée. Le temps n'a pas consa-
cré l'exactitude de ce travail. Tous ceux qui eurent
confiance en ce procédé firent de grandes perles. L'E-
tat seul persista à chauffer les vins destinés aux ar-
mées de terre et de mer. Gela les rendait si mauvais
- 430 -
que les hommes préféraient boire de l'eau. Il y a
beau temps que les œnothennes — appareils pour
chauffer les vins, système Pasteur — ont été mis à la
Yieille ferraille (l).
XI . --- M. PASTEUR ADMINISTRATEUR DU CREDIT FONCIER .
C'est sans cloute comme financier que M. Pasteur
doit révéler les plus remarquables aptitudes.
Il est entré, en effet, dans cette grande entreprise à
la suite de la mort de Dumas. Nous espérons qu'il y
rendra de plus grands services que ceux qu'il a ren-
dus à la médecine sur cette malheureuse question de
la rage.
Enfin nous terminons cet appendice en reprodui-
sant le jugement porté sur cet homme extraordinai-
re par un savant quil'a longuement étudié (2).
« M. Pasteur n'est pas un novateur ordinaire ; il ne
veut pas seulement révolutionner la médecine, il
travaille tout aussi ardemment à révolutionner les
croyances religieuses. Autrefois on cherchait à ex-
pliquer tout par l'infiniment grand, immatériel, invi-
sible, immortel ; aujourd'hui on veut tout expliquer
par les infiniment petits, matériels, visibles, mor-
tels. Voilà où tendent les théories microbiennes du
(1) Voir les importants travaux de M. Cliavée-Leroy, à
Clermont-les-Fermes, par Bucy (Aisne) .
(2) M. Chavée-Leroy.
— 431 —
protégé des athées PaulBertet Jules Ferry. Ces théo-
ries mensongères ont fait déjà un mal incalculable
au point de vue matériel elles ont jeté la médecine
en pleine anarchie ; au point de vue religieux elles
ont troublé les consciences et rendu l'obscurité plus
profonde ; au point de vue politique, elles ont si bien
conduit à la confusion des idées que les radicaux
prennent Pasteur pour un clérical, les conservateurs
pour un spiritualiste et les opportunistes pour un
matérialiste. »
Cette appréciation de II. Ghavée-Leroy est des plus
justes. C'est en se présentant ainsi sous des attitudes
diverses que M. Pasteur a pu recueillir l'appui de
tous les partis qui divisent la Piépublique. C'est ainsi
qu'il a fait nommer son préparateur Ghamberland,
député radical ; qu'il avait fait entrer l'athée Paul
Bert à l'Institut et qu'il a sollicité au conseil munici-
pal de Paris l'appui des anciens membres de la com-
mune, MM. Humbert et Longuet.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
PREFACE
INTRODUCTION.
Questions a M. Pasteur 17
Objections théoriques contre la méthode 17
Le chien qui a fait la morsure est-il enragé ?. . . 20
L'individu traité est-il atteint de la rage ? 23
Pourquoi le nombre des enragés a-t-il centuplé
depuis la découverte de la méthode ? 25
Qu'est-ce que la rage des loups ? kl
Pourquoi la rage est-elle plus grave lorsque la
morsure est plus profonde ? 31
Pourquoi le virus moelleux ne donne-t-il lieu à
aucune réaction locale ou générale ? 32
Chapitre I.
exposé de la méthode.
1" temps. — Trépanation du lapin 36
5« temps. — Dessfccation des moelles 39
5e temps. — Pï'éparation du virus moelleux 40
On néglige la notion de quantité et de poids 43
4« temps. — Inoculation à l'homme 45
Rôle du professeur Grancher 46
Il doit y avoir des erreurs 47
Traitement pour les morsures du loup 48
— 433 —
Chapitre II.
EXAMEN DE LA MÉTHODE. — LES PARTIES VRAIMENT
SCIENTIFIQUES DE LA DÉCOUVERTE NE SONT PAS DUES A
M. Pasteur.
C'est Magericlié (jui a découvert cliez les chiens
l'état réfractaire à la rage 52
Cest Galtier, qui a étudié la transmission de la
rage du chien au lapin 56
C'est Duhoué qui a démontré que les centres
nerveux sont le siège de la virulence 58
Chapitre III.
POURQUOI LE VIRUS MOELLEUX NE DONNE-T-IL LIEU CHEZ
l'homme a AUCUN PHÉNOMÈNE MORBIDE ?
Comparaison avec la vaccine. le charbon, la
svphiHs 62
M. Pasteur ignore l'action des virus moelleux sur
l'homme 66
Chapitre IV.
LES PERSONNES TRAITÉES A l'ÉCOLE NORMALE NE SONT
PAS ENR.\GÉES.
Des individus n'ayant pas même été mordus,
sont inoculés 68
On inocule sans avoir aucune preuve de la rage
du chien 73
Chapitre V.
FRÉQUENCE DE LA RAGE,
Fréquence de la rage en France 77
Fréquence chez les enfants 7'J
Combien de mordus deviennent enragés ? 80
Durée de l'incubation '. 81
Les médecins observent rarement la rage 83
— 434 —
Chapitre VI.
LA RAGE DU CHIEN.
Les symptômes sont mal définis 94
Siège de la virulence , 9(î
Spontanéité de la rage. . . • 97
Epidémies de rage 99
La rage est inconnue dans certains pays 104
Licubation de la rage du chien , . 103
Symptômes de la rage du chien 108
Le chien enragé n'est pas toujours furieux lit
Le chien qui lèche est dangereux 112
Le chien enragé hoit et mange 114
Influence des lysses 116
Frénésie et excitation sexuelle 117
Opinion de M . Colin d'Alfort 120
Chapitre VII,
LA RAGE btr LOUP.
Gravité de la morsure du loup 123
Mortalité après les morsures de loup 125
Chapitre VIII.
LA MÉTHODE DEVANT LE CONTRÔLE DE L'EXI^ÉRlMENTAtlON
Expériences du professeur von Frisch 131
Réflexions sur les expériences 136
Réponse de M. Pasteur à M. von Frisch 140
Chapitre IX.
LA MÉTHODE A l'aCADÉMIE DE MÉDECINE. M. COLIN.
On ne peut accepter sans examen les chiffres
fournis par M . Pasteur 152
Importance de la cautérisation 158
Résultats réels du traitement . . . . , 1 60
Les inoculations charbonneuses 161
Danger des vaccinations rahiques , 163
— 435 —
Chapitre X.
LA RAGE DANS LES HÔPITAUX DE PARIS,
M. Pasteur fournit des chiffres inexacts ]65
Mortalité réelle dans les hôpitaux 167
Mortalité pendant l'année 1886 173
Chapitre XI.
LA MÉTHODE DEVANT LE CONSEIL MUNICIPAL DE PARIS.
Discours de M. Ghassaing 182
Importance réelle de la rage en France et à l'é-
tranger , . . 187
Chapitre XII.
LA MÉTHODE A LA FACULTÉ DE MÉDECINE, M. PETER.
La pathogénie est diminuée par la bactériologie ?SG
Les inoculations antirabiques 201
Chapitre XIII.
l'opinion de LA PRESSE MÉDICALE.
Le Journal de Médecine de Paris 203
Le Progrès médical S04
Le Praticien 206
L'ouvrage de M. Constantin James. 209
La Société de médecine de Saint-Pétersbourg. . . 212
Chapitre XIV.
LA MÉTHODE PASTEUR A LETRANGER.
Opinion du D'' Kessler, de Saint-Pétersbourg. . . 2â0
Ce qu'on en pensait en Allemagne 221
Ce qu'on en pensait en Angleterre 226
Ce. qu'on en pensait en Suisse 229
Chapitre XV.
GOMMENT M. PASTEUR INTERPRÈTE LES INSUCCÈS.
Les malades sont morts, non de la l'age, mais
— 436 —
de toute autre maladie 230
Le roumain Gagu est mort alcoolique 231
Bouvier, de Grenoble, est mort alcoolique 235
Chapitre XVI.
LONGUEUR DE l'iNGUBATION. — RARETÉ DÉ LA RAGE.
Réflexions sur le cas de Videau, 7 mois d'incu-
bation 245
La rage n'est pas une maladie propre à l'homme. 248
Le traitement Pasteur avait surtout une action
consolante 243
Fréquence de la rage à l'Etranger ' 250
Fréquence de la rage en France 251
Chapitre XVII.
LA RAGE EXISTE-T-ELLE . — SES RELATIONS AVEC LE
TÉTANOS.
La rage et le tétanos 5^55
Opinion du D"^ Lormser, de Vienne 255
La rage existe-t-elle 259
Chapitre XVIII.
LA RAGE EST-ELLE CONTAGIEUSE DE l'hOMME A l'hOMME,
Opinion des médecins russes 273
Opinion de M. Pasteur 275
Chapitre XIX.
LE TRAITEMENT RATIONNEL DE LA RAGE.
La mortalité a été augmentée en 1886, parce
qu'on n'a pas cautérisé §7T
Il faut cautériser - 278
Autres moyens de traitement 283
Mesures prophylactiques 289
— 437 —
Chapitre XX,
l'institut pasteur et ses succursales a l'étranger .
Emploi (les fonds remis à M. Pasteur pour fon-
der un Institut 291
Les instituts à l'étranger . . 292
Chapitre XXL
les statistiques pasteur.
Gomment M. Pasteur traite les chiffres 299
Fréquence réelle de la rage 290
Comment il faut présenter la statistique 302
M. Vulpian se trompe 302
Les prétendus guéris n'étaient pas enragés 310
Comment on augmente les guérisons futures. . . 311
Opinion du professeur Garciasola, de Grenade.. 312
Chapitre XXII.
LA NOUVELLE METHODE INTENSIVE.
La première méthode était inefficace 320
La catastrophe 321
La nouvelle méthode intensive , 323
Résultats de la nouvelle méthode 325
Chapitre XXIIl.
M. PASTEUR NE GUERIT PAS LA RAGE; IL LA DONNE.
L'ne nouvelle et terrible maladie 3-26
La rage du laboratoire 327
Opinion du D^ Glarke 329
<->çinion du professeur Peter 330
Piéveillac est mort de la rage expérimentale 331
Le diagnostic de la rage 335
Les cas de mort se multiplient 336
Née, d'Arras, est mort de la rage expérimentale. . 345
Opinion du Dr Germe, d'Arras 347
[ics douleurs ont lieu au niveau des points d'i-
25.
~ 438 —
nocalation et non au niveau des points mordus 348
Différence entre la rage du chien et la rage du
laboratoire 352
Les pastoriens plaident les circonstances atté-
nuantes 354
Ils sont morts de la rage expérimentale 359
La méthode intensive contrôlée par l'expérimen-
tation. Nouvelles expériences de von Frisch. 360
ChapitreXSlN .
LA NOUVELLE MALADIE PASTEUR.
La rage paralytique ou la rage expérimentale. . . 370
M. Pasteur transmet la rage 37 1
Neuf observations de rage expérimentale :
Obs. L Réveillac 372
Obs. IL Amédée Gérard 374
Obs. III. Letang (D^ Piltoy) 376
Obs. IV. Née, d'Arras (D^ Germe) 377
Obs. V. Goriot, de Sceaux (D^^ Boisson et Dauzats) 378
Obs. VI. Sodini, de Gonstantine (Dr Leroy) 380
Obs. VIL Rouyer, de Paris (D^ Rueft) 380
Obs. VIII. Fonlup, de la Tour-du-Pin 381
Obs. IX. Albert, de Vallouise 382
Obs. X. Smith, de Londres 383
Obs. XL Wilde, de Rotherham 384
Chapitre XXV.
RÉSULTATS RÉELS DU TRAITEMENT PENDANT UN AN. —
LES DÉCÈS. — CONCLUSIONS.
Chiffre des inoculés... 388
Nombre exact des décès 392
Personnes étrangères mortes de la rage après
traitement 399
APPENDICE
M. Pasteur savant désintéressé 405
Les grandes découvertes de M. Pasteur 417
Clermont (Oise).— Imp. Daix frères, place Saint- André, 3'
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